[email protected] On ne reverra donc pas l'Egypte et la Turquie unies dans une même cause, comme dans la première guerre d'Irak en 1991. John Kerry a tenté, en vain, de convaincre l'Egypte de s'engager dans la guerre contre Da'ech, comme elle l'avait fait contre Saddam, il y a 23 ans. En fin de compte, le Secrétaire d'Etat américain a trouvé un compromis : au lieu des soldats, ce sont les imams égyptiens qui seront mobilisés contre le califat amovible et extensible de Mossoul. Comme tout flatteur s'apprêtant à rouler celui qui l'écoute dans la farine, John Kerry a vanté les mérites et l'influence supposée de l'université Al-Azhar, qui n'est plus que l'ombre de son ombre. Il a même suggéré que les prochains sermons du vendredi soient axés sur la lutte contre l'Etat islamique, se rappelant sans doute que dans cette même ville du Caire, Obama avait apporté, en 2009, sa caution à l'Islam des apparences. Depuis, Al-Azhar oppose le mutisme à l'islamisme, et ne «légifère» plus que sur le superflu au détriment de l'essentiel. Au point que même un serial-opportuniste, comme l'animateur de télévision Amr Adib, a pu affirmer que Da'ech était de «fabrication égyptienne». Une reconnaissance de paternité que peuvent revendiquer, d'ailleurs, toutes les entités arabes et/ou musulmanes, y compris le Liban et le Kurdistan. Le fer de lance de la guéguerre médiatique menée contre l'Algérie, après la «bataille d'Oum-Dorman», s'est enfin attaqué au vrai problème en dénonçant l'apathie de l'institution religieuse, face à la montée des périls. Au demeurant, les nouveaux dirigeants de l'Egypte, confrontés au terrorisme armé et médiatique, orchestré à partir du Qatar, ne semblent pas disposés à se coaliser avec l'émirat. Doha a certes fait un petit geste en demandant à sept dirigeants (sur combien?) du mouvement des Frères musulmans, dont le prédicateur anti-algérien Ouejdi Ghenim, de quitter le territoire, mais sans convaincre. Les médias égyptiens se sont montrés sceptiques, au demeurant, sur ce qui peut être interprété comme un revirement du Qatar, après une mobilisation sans précédent contre Le Caire. La méfiance est d'autant plus légitime qu'elle est alimentée par les «expulsés» eux-mêmes qui se sont confondus en remerciements à l'égard du futur ex-pays hôte. L'un des dirigeants Frères musulmans a même trouvé des justificatifs à décharge, affirmant que ce n'était pas le moment de créer des problèmes supplémentaires au Qatar. Quant à ceux qui s'attendaient à un changement d'orientation dans la ligne éditoriale de la chaîne Al-Jazeera, ils en seront pour leurs frais, si on en juge aux réactions des journalistes de la station. L'un des présentateurs attitrés d'Al-Jazeera, tout en déclarant respecter la décision du Qatar, y est même allé de son envolée lyrique, comparant l'organisation terroriste égyptienne à «une forteresse que n'ébranlent ni les tremblements de terre ni les explosions des volcans». Une façon de reconnaître que la colère des millions d'Egyptiens qui a eu raison des Frères musulmans est plus forte que les séismes et les éruptions volcaniques. De son côté, la Turquie, non contente de dénoncer l'éviction du président égyptien Mohamed Morsi par l'armée, elle soutient ouvertement les Frères musulmans et leurs actions armées, en abritant notamment la chaîne Al-Charq, filiale d'Al-Jazeera, et porte-parole officiel des anciens maîtres de l'Egypte. Quant au refus de prendre part à la guerre contre l'Etat islamique, la doctrine officielle d'Ankara est que la Turquie craint de mettre en danger la vie d'une cinquantaine de ses ressortissants, qui seraient détenus par les milices du califat. Or, il apparaît que le gouvernement Erdogan, qui rêve tout haut de rétablir les «splendeurs» ottomanes, a plus de scrupules que le Qatar à se retourner contre ses protégés. Le journaliste syrien Nizar Mayouf qui a passé près de 10 ans dans les geôles du régime de Damas affirme même que la Turquie est le principal soutien de Da'ech. Pour étayer sa certitude de la collusion entre Ankara et Mossoul, il relève que peu de jours avant l'offensive sur Mossoul, les services turcs ont fait parvenir à Da'ech quelque 1500 véhicules, qui ont transité par la Syrie. En outre, la revue officielle du califat, éditée après la prise de Mossoul, porte le nom de Dabiq, or ce choix n'est pas le fruit du hasard, mais une volonté délibérée de faire plaisir à Erdogan. En effet, c'est dans la plaine de Dabiq, au nord d'Alep, qu'eut lieu, le 24 août 1516, la bataille entre les armées ottomanes de Sélim 1er et les Mamelouks, une bataille qui acheva la déconfiture des seconds. La victoire de Merdj-Dabiq marque historiquement le début de la domination ottomane sur la Syrie, puis sur le monde arabe. «Alors qu'il existe tant de noms en Islam, à prendre en référence, le choix de Dabiq n'est donc pas fortuit, ni innocent», observe Nizar Mayouf. De plus, ajoute-t-il, l'Etat islamique n'a montré aucune considération pour les lieux et sites religieux qu'il a profanés sans distinction, qu'ils soient musulmans, ou chrétiens. C'est ainsi qu'il a investi la cathédrale chaldéenne, et l'a transformée en siège social, après en avoir extirpé tous les signes religieux et détruit l'autel. Les miliciens islamistes ont aussi entrepris la destruction de la plupart des mausolées musulmans d'Irak et de Syrie, mais ils ne se sont jamais attaqués au tombeau de Suleïman Shah (grand-père d'Othmane 1er fondateur de l'empire attaché à son nom et que le gouvernement actuel d'Ankara projette de réactiver un jour, pas si lointain que ça). Erdogan a menacé, à plusieurs reprises, d'intervenir militairement en Syrie, au cas où le mausolée turc serait menacé. Il semble bien qu'il ait reçu des assurances à ce sujet, puisque le sujet n'est plus revenu sur la table des discussions. Quant aux autres sanctuaires, et lieux saints, qui n'ont personne pour les défendre et que la providence divine a oubliés, semble-t-il, tant pis pour eux! Ils sont appelés à ne bénéficier que d'une seule sollicitude, celle des archéologues et des historiens. Ces derniers classeront sans doute, parmi les responsables de ces destructions, et de ces atteintes au patrimoine de l'humanité, un certain Obama, héritier hésitant de la dynastie des tergiversants. A. H. http://ahmedhalli.blogspot.com/