Par Haïder Bendrihem [email protected] «C'est pure folie de faire sans arrêt la même chose et d'espérer un résultat différent.» (Albert Einstein) La crise de l'été 1962 plane, par ses effets négatifs, sur l'Algérie de 2014, avec cette différence faisant que le militant pour la démocratie étouffé dès l'indépendance n'est pas celui de l'Algérie actuelle. Celui qui refusait la mainmise de l'armée des frontières sur l'Etat et le système politique se trouve aujourd'hui armé de 50 ans de déceptions et d'échecs suffisants pour revendiquer haut et fort un changement démocratique pour la sauvegarde de la nation. Ceux qui ont pris le pouvoir par les armes, en ravissant au peuple sa victoire sur le colonialisme après une guerre terrible ayant terrassé nos campagnes et nos villes, ont édifié un système antipopulaire, en se permettant le luxe d'écraser dans le sang des djounoud de la véritable ALN qui voulaient défendre la légalité et épargner au peuple la mise en place d'un système basé sur le parti unique qui glorifie le zaïm unique. Les mêmes personnes qui avaient ramené Ben Bella, un politique égaré, complètement coupé de la réalité, ont pu réussir là où le colonialisme avait échoué. Séduire un peuple sous des slogans creux et le mettre au pas. Aujourd'hui, le peuple se croit toujours colonisé, en passant de la situation de colonisabilité — accepter le colonialisme — à la situation de servilité, accepter d'être servile, contraire de dignité et liberté pour qui tout un peuple s'est continuellement soulevé. Ben Bella a eu ce génie de faire adopter la première Constitution de l'Algérie indépendante dans une salle de cinéma, en marginalisant une Assemblée constituante formée de la crème révolutionnaire de l'Algérie et qui pouvait doter l'Algérie de l'instrument idoine pour la construction de l'Etat-nation tel que rêvé par nos glorieux chouhada. En faisant le vide autour de lui, Ben Bella subira le coup de force de 1965 de son ministre de la Défense, Houari Boumediene, qui va geler sa Constitution. Le parti unique fut mis entre parenthèses et le nouvel homme fort d'El Mouradia va asseoir un régime fort mais sans institutions viables. Malgré les efforts fournis durant les années soixante-dix du siècle passé, pour mettre le pays sur la voie du progrès et du développement, le pouvoir, qui puisait sans retenue de la fougue révolutionnaire suscitée par l'indépendance d'un colonialisme qui avait maintenu ce peuple cent-trente-deux ans durant dans les ténèbres de l'ignorance et la misère, avait failli dans son œuvre pour absence de démocratie et d'institutions librement élues au suffrage universel qui pouvaient mettre en œuvre cette politique volontariste. Le peuple commençait à réaliser qu'il s'éloignait de plus en plus des objectifs arrêtés par les fils de la Toussaint. L'objectif majeur de la Révolution de 1954, à savoir l'édification d'un Etat démocratique et social, fut mis aux calendes grecques et le régime autoritaire pesait de tout son poids sur la société. Les réformes engagées dans les années 1980 n'ont rien ramené, si ce n'est la destruction du tissu industriel maladroitement édifié durant la décennie de 1970. En l'absence d'une vision économique claire et d'institutions démocratiques et fiables, le parti unique fut remis en service pour parachever les rares acquis de l'indépendance. Le soulèvement populaire d'octobre 1988 a eu une seule réussite, dans le sens où il avait pu imposer une révision de la Constitution, amendée déjà en 1976, après avoir été adoptée dans une salle de cinéma. Les objectifs majeurs de ce soulèvement, amené par le vent de liberté qui soufflait dans le pays, furent confisqués par une bipolarité sanglante ayant opposé d'abord des islamistes radicaux aux tenants du pouvoir autoritaire caché sous le slogan de l'Algérie moderne, pour finir par une guerre sans merci livrée contre le peuple durant les années 1990. Le peuple algérien a pris conscience du danger que représente l'islamisme radical et finit par vaincre ce fléau, mais au lieu de mettre en œuvre les ingrédients nécessaires pour changer le système et édifier un état démocratique et moderne, tel qu'il était édicté par les raisons ayant amené le mouvement du 11 Janvier, c'est le système qui fut sauvé. Le pluralisme issu du soulèvement de 1988, et grâce aux réformes engagées en 1989, devient une simple façade qui cache mal un régime autoritaire qui venait d'inventer, sous l'ombre du terrorisme, l'Etat sécuritaire qui refuse le débat politique contradictoire et qui a verrouillé les espaces d'expression. Boudiaf fut un espoir qui n'a pas duré longtemps, il est assassiné en direct avec son projet national et son amour pour ce peuple et son pays. 30 ans après l'indépendance, le symbole de Novembre se rend compte que la souveraineté de la nation algérienne est loin d'être garantie. Un autre symbole des Aurès répond au devoir de la nation et accepte le sacrifice et la responsabilité lourde au moment où le pays croule sous les dettes, au moment où le baril ne dépassait guerre les 9 dollars, au moment où le terrorisme menaçait les fondements de la République, au moment où beaucoup se cachent ailleurs dans des capitales européennes et orientales loin des cris, de la misère et de la peur quotidienne. Le général Zeroual accepta la responsabilité avec d'autres patriotes afin de sauvegarder l'Etat-nation de la désintégration. C'est dans ce contexte de crise multiforme qui menaçait l'Etat algérien de désintégration que le président Zeroual a décidé d'engager une nouvelle révision de la Constitution en 1996, avec cependant un acquis majeur, dans ce qu'elle limite les mandats présidentiels à deux. Le président Zeroual, malgré la situation économique et sécuritaire, a lancé un vaste chantier de réhabilitation des institutions et notamment les organes de consultation et d'expertise tels le Conseil supérieur de la jeunesse, le Conseil supérieur de l'éducation, le Conseil national économique et social, le Conseil algérien de l'énergie. Cet élan a été stoppé net après la démission de Zeroual et l'arrivée au pouvoir de Bouteflika qui a commencé par interdire la création de tout parti politique pendant 12 années de son pouvoir. La fermeture du champ politique et médiatique a engendré une nouvelle faune de politiques affairistes qui ont réduit l'image du politique en général et du député en particulier à un salaire. Le pouvoir en place a réussi à créer le vide politique et économique malgré l'aisance financière et la stabilité politique. Durant le premier mandat du président Bouteflika, l'ère de la Réconciliation nationale fut annoncée, à grandes fanfares, et le pouvoir en place vient encore d'user d'une autre arme pour justifier son rôle d'arbitre. Au lieu d'aller vers une véritable réconciliation avec les Algériens, dont notamment ces nationalistes qui furent assassinés pour une hypothétique accusation de berbérisme, avec ces moudjahidine écrasés par les blindés de l'armée des frontières en 1962, avec ceux qui se sont soulevés contre la dictature en 1963 en Kabylie et en 1967 dans les Aurès, avec ceux qui furent internés par l'arbitraire, avec les victimes du printemps de 1980, avec les chouhada du soulèvement populaire de 1988, avec les familles des 200 000 Algériens morts dans la folie meurtrière des années 1990, le pouvoir a réconcilié les deux belligérants de la décennie et il ne s'est pas épargné le luxe de commettre un autre carnage lors du printemps noir de 2001 et dans le sillage de la mise en œuvre de sa Réconciliation nationale, en ravissant à la vie 125 jeunes Algériens en Kabylie. Au lieu de restituer l'Etat aux Algériens et de se réapproprier l'islam comme religion des lumières et de progrès, le régime de Bouteflika a fait totalement le contraire de ce qu'attendait de lui le peuple. Le reflexe sécuritaire devient une religion d'Etat et le système qui vient encore de s'accorder une longévité abusa de l'islam qu'il a érigé en religion du système. C'est ainsi que les confréries religieuses se frayèrent un chemin vers le palais d'El Mouradia, pour se voir ériger en Conseil de culte pour le nouveau locataire des lieux. Au lieu d'encourager l'émergence d'un Etat civil, en épargnant l'islam de l'activité politique, le pouvoir en place a monopolisé l'islam pour s'octroyer le droit d'usage exclusif, et en se créant ses propres islamistes lissés et apprivoisés. Le pouvoir a collectionné de la sorte les ratages avec les rendez-vous de l'Histoire, pour réconcilier l'Etat algérien indépendant avec son siècle et avec sa jeunesse. Il continue à le faire en refusant de se remettre en cause et de tirer les leçons de ses échecs. Nageant à contre-courant de l'Histoire, le pouvoir a encore usé de son bistouri pour violer la Constitution en 2008, afin de permettre à son soldat de briguer un troisième mandat qui fut le mandat de trop, le mandat de tous les dérapages. Le seul levier de l'alternance au pouvoir fut évacué pour assouvir les caprices du maître du jour. Le chef de l'Etat s'est attribué ainsi des prérogatives d'un monarque absolu. Au moment où, sous d'autres cieux, on donne plus de prérogatives au Parlement et au gouvernement, au moment où dans les monarchies, on rehausse le Premier ministre en chef de gouvernement, le pouvoir algérien, alors qu'il savait très bien que le Parlement hermétiquement verrouillé par son alliance présidentielle lui était acquis corps et âme, il fait de régression en régression en s'appropriant les prérogatives du chef de gouvernement et le remplacer par un simple Premier ministre, en fermant la scène politique, en dynamitant les partis politiques, en apprivoisant la justice, en asservissant l'administration et s'appropriant les médias lourds. En réalité, le chef de l'Etat est revenu à la caricature du pouvoir populiste, personnel et absolu qui sévissait dans les années soixante, sous Ben Bella. Au moment, encore, où sous d'autres cieux les gouvernants adoptent des projets pour anticiper sur la demande politique de leurs populations en proposant un système parlementaire, avec des prérogatives élargies pour les élus du peuple, des mesures qui annoncent les prémices d'une véritable révolution politique pacifique, faisant que la nature du pouvoir, même dans un royaume, s'achemine vers un royaume constitutionnel, en Algérie et dans une République, le chef de l'Etat s'est attribué les prérogatives d'un empereur, avec des velléités de pouvoir à vie. En assistant au changement brutal des pouvoirs autoritaires à nos frontières en 2011, le pouvoir, pris de panique, a décrété unilatéralement d'aller vers des consultations sur les réformes politiques, mais il semble répondre par les mêmes vieilles recettes dont il a usé par le passé. Il voulait gagner du temps, comme il voulait dans les faits, contrôler tout, y compris ce qui reste d'une opposition atomisée. Il est déplorable de constater, encore, que le pouvoir refuse visiblement de reconnaître ses échecs et ses limites et le danger qu'il constitue pour une Algérie pérenne. Au lieu de répondre positivement à l'avertissement du peuple, en engageant des changements réels à travers un programme qui consacre une fois pour toutes les principes et les règles que tout le monde sera appelé à respecter, à commencer par les tenants du pouvoir, voilà qu'il redécouvre encore ses vieux reflexes séculiers pour sauver son personnel et sa clientèle, quitte à jouer l'avenir du pays dans un tour de passe-passe, en vidant les réformes politiques engagées sous la pression de la rue par une fraude sans précédent durant les élections législatives du 10 mai 2012 avec la complicité des Occidentaux et leurs multinationales, en utilisant des institutions de la République censées être au-dessus des partis, notamment la justice, l'administration et l'ANP. Si on continue à ruser pour gagner du temps, tôt ou tard, le vent du changement arrivera et balayera et la Constitution et ses gardiens. Le pouvoir s'éloigne de jour en jour de la volonté d'instaurer un système démocratique soit en passant par le chemin le plus court vers la légitimité, en allant vers une Constituante, ou au moins vers des élections présidentielles propres et honnêtes sans le président malade, afin de permettre au futur président d'engager des négociations sérieuses à la hauteur de la gravité de la situation pour persuader l'ensemble de la classe politique de s'engager vers une sortie de crise collective en organisant des élections législatives ; et à ce moment, ouvrir des débats sur la portée et le contenu d'une refondation constitutionnelle consensuelle. Aujourd'hui, nous avons des exemples à méditer à nos frontières, soit la leçon libyenne et son anarchie, soit la victoire du peuple tunisien grâce à la responsabilité et la conscience collective de sa classe politique. Le peuple algérien en général et l'opposition en particulier doivent savoir qu'il n'y a plus rien à attendre du pouvoir d'Alger qui se permet le luxe de défier tout un peuple en présentant un président visiblement malade à un 4e mandat et lui permet de gagner cette élection à 80% sans être entendu ni vu. Ce pouvoir est devenu un danger pour la sécurité de l'Etat et la stabilité du pays. Il a montré par ce geste méprisant et inconscient qu'il a perdu le sens de la responsabilité et qu'il a choisi volontairement et égoïstement le syndrome libyen, quitte à mettre le pays à feu et à sang pour sauvegarder ses privilèges en gardant encore le pouvoir pour un quatrième mandat. Quinze ans de destruction, de mensonges, de dilapidations et de corruption généralisée ne leur suffisent pas, ils veulent maintenant enterrer le pays et une grande partie de son peuple avant l'enterrement de leur gourou. Il continue à ignorer et mépriser tout le monde en reproduisant la faillite par une modernisation de l'autoritarisme, de la corruption et de la fraude en particulier. On peut comprendre que dans des pays pauvres leurs jeunesses prennent des embarcations de fortune pour mourir en Méditerranée. Mais pour un pays comme l'Algérie qui a dépensé plus de 1 000 milliards de dollars, dont une grande partie pour des projets improductifs et qui se targue d'avoir plus de 200 milliards de dollars, qui ne contribue guère à améliorer le quotidien du citoyen, en ce moment, sa jeunesse se suicide en mer, c'est le témoignage incontestable de la faillite d'un régime et la fin d'une époque. Toute la politique actuelle est un échec, on n'a rien réglé pour relancer le grand Maghreb, on n'a pas réussi la réforme de l'éducation pour préparer le pays à l'après-pétrole, ni celle de la justice pour donner de l'espoir à notre jeunesse, et encore moins celle de l'Etat à travers des institutions pérennes et au service du citoyen pour instaurer un Etat de droit et du citoyen libre. On n'a pas réussi à vendre les régions touristiques aux opérateurs, on n'a pas convaincu les grands groupes étrangers d'investir en Algérie, on n'a pas profité de la crise européenne en investissant les réserves de change, qui ne rapportent rien en ce moment, à travers la création de grands groupes nationaux dans le cadre de partenariats ciblés, on n'a pas non plus réussi la réconciliation de l'Etat avec son peuple. C'est la reproduction de la faillite, de l'échec et du désespoir qui continue. Il est temps d'admettre la vérité des chiffres et de la situation alarmante du pays : des milliers de contestations violentes enregistrées à travers le pays, des milliards de dollars détournés, des milliers de jeunes se jettent à la mer, des milliers de cadres et universitaires de haut niveau quittent le pays. Tout cela montre le fossé qui se creuse quotidiennement entre l'Etat et ses citoyens. Il est temps de se dire la vérité et de tirer les conséquences d'une telle situation ubuesque, en s'organisant pour créer le déclic d'une nouvelle révolution démocratique et pacifique dans le cadre d'un regroupement de toute l'opposition algérienne afin de faire converger tous nos efforts vers un projet d'une transition démocratique qui permettra de sauver notre pays d'une désintégration certaine. Cette transition pose le préalable de retour à la légitimité : une commission souveraine et indépendante qui sera chargée d'organiser toutes les élections de la façon la plus transparente et démocratique. Un gouvernement de transition qui sera chargé de gérer les affaires courantes jusqu'à l'élection d'un président de la République. Un président qui s'engage à respecter les partis politiques en général et l'opposition en particulier comme étant ses partenaires et non ses ennemis, un président qui considère la jeunesse comme un atout pour l'Algérie et non des traîtres potentiels au service de l'étranger, un président qui mettra la richesse du pays au service du développement et non au service des courtisans et les multinationales, un président qui garantira la séparation des pouvoirs et non les concentrer entre ses mains pour se servir et servir ses courtisans, un président qui rassemblera tous les enfants de l'Algérie à un débat national, franc et responsable qui tracera le chemin à prendre durant la décennie à venir et les réformes à engager, notamment une Constitution consensuelle. Plus on retarde ce changement et surtout politique pour maîtriser et contrôler les réformes économiques, plus les factures économiques et sociales seront plus douloureuses et politiquement désastreuses. La refondation politique n'est pas seulement souhaitable mais indispensable avant que ce ne soit trop tard. Elle doit être menée en concertation avec l'ensemble des acteurs politiques, économiques et sociaux pour assurer une transition. Une transition démocratique et pacifique est le salut pour notre pays, car la rente n'est pas éternelle. Seuls le génie de l'Algérien et son patriotisme sont les garants de ce sursaut patriotique à la limite du miracle.