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Tournons la page
En Afrique comme ailleurs, pas de démocratie sans alternance !
Publié dans Le Soir d'Algérie le 07 - 10 - 2014

«Tournons la page, pour l'alternance démocratique en Afrique !» : c'est l'intitulé d'une initiative citoyenne internationale lancée il y a quelques jours. L'appel est clair et net : «Ensemble, nous citoyens d'Afrique, d'Europe et d'ailleurs, intellectuels, artistes, militants, journalistes, responsables religieux, associations, syndicats, unissons nos forces pour tourner la page des régimes autoritaires et construire les conditions d'une véritable démocratie en Afrique. Partageant les mêmes valeurs démocratiques et non violentes, nous sommes déterminés à faire vivre les conditions d'une mobilisation citoyenne pour l'alternance démocratique, dans tous les pays d'Afrique subsaharienne. Il en va du devenir du continent africain.»
«L'Afrique continent de l'avenir». Le slogan est devenu la tarte à la crème des chancelleries, des médias et des milieux économiques internationaux. Mais de l'avenir de qui parle-t-on ? Celui des investisseurs étrangers et de quelques familles dirigeantes ? L'économie internationale a besoin des richesses de l'Afrique, mais elle peut prospérer sans les Africains (plus de 2 milliards de personnes en 2050). Et elle le fait d'autant plus facilement que leur parole est confisquée. L'avenir du continent n'appartiendra aux Africains qu'à condition d'une véritable démocratie. Or, pas plus qu'ailleurs, il n'est de démocratie en Afrique sans alternance.
Le pouvoir de père en fils
Les Constitutions sont théoriquement les garantes de cette alternance. Fixer une limite au nombre de mandats prési­dentiels constitue en effet une saine mesure, adoptée par la majorité des pays africains. La disposition est parfois même inamovible. Ces précautions n'ont toutefois pas empêché nombre de chefs d'Etat de se maintenir au pouvoir, des décen­nies durant, par une violation répétée des principes démocra­tiques et dans l'indifférence générale des médias et de l'opinion publique inter­nationale. Dans certains pays africains, de véritables dynasties se sont empa­rées du pouvoir transmis de père en fils. Douze familles aujourd'hui au pouvoir en Afrique l'étaient déjà en 1990. 87% et 79% des Gabonais et des Togolais n'ont connu qu'une seule famille à la tête de l'Etat ! Ces régimes ne jouissent pas moins d'un soutien plus ou moins tacite des dirigeants des autres Etats. Ils ont réussi à asseoir une légitimité internationale, après la Guerre froide, par une subtile manipulation de la menace terroriste. Au Nord, tout se passe comme si la démocratie était un luxe que les pays d'Afrique ne pouvaient se payer. Il résulte de ces situations des conséquences mortifères pour les sociétés africaines. En témoignent les troubles politiques et militaires qui secouent certains pays.
Les citoyens qui se mobilisent pour l'alternance et le respect des règles constitutionnelles et démo­cratiques paient un lourd tribut à la répression. Le souffle démocratique n'est cependant pas près de s'estom­per. Les tentatives de succession dynastique ont été mises en échec au Sénégal par les urnes, en Tunisie et en Egypte par les révolutions arabes. Et le cri «Y en a marre !» venu de Dakar en 2012 résonne bien au-delà du Sénégal. Les rues de Maputo, Bujumbura, Libreville, Ouagadougou ou Alger expriment une même aspiration à l'alternance. Un même refus du pouvoir dynastique.
La menace de coups d'Etat constitutionnels
Dans les années 1990, le vent de constitutionnalisme avait conduit de nombreux pays africains à limiter les man­dats et à s'ouvrir au multipartisme. La mobilisation citoyenne interne fut décisive pour contraindre au changement les régimes autoritaires de l'époque, avec le soutien de forces démocratiques extérieures. Aujourd'hui est venu le temps d'une nouvelle alliance entre citoyens d'Afrique et d'Europe, pour une nouvelle étape : faire vivre l'alter­nance. Le refus de toute manipulation constitu­tionnelle pour convenance personnelle en est la première pierre. Si, en soi, la révision d'une Constitution n'est pas une pratique antidémocratique, sa transformation en instru­ment de perpétuation d'un pouvoir personnel est aux anti­podes des attentes citoyennes et des valeurs affichées par la communauté internationale en termes de promotion de l'Etat de droit. L'invocation de la stabilité politique et l'artifice de la lutte contre la menace terroriste ne doivent pas faire illusion. Partout dans le monde, l'expérience a montré que le respect des règles démocratiques constitue le meilleur antidote contre l'instabilité politique, les conflits armés et le terrorisme. C'est la solidité des institutions qui garantit la stabilité et non la pérennité du pouvoir personnel. Or la menace d'un coup d'Etat constitutionnel se profile en 2015 au Burkina Faso avec Blaise Compaoré et au Burundi avec Pierre Nkurunziza, mais aussi en 2016 au Rwanda avec Paul Kagamé, au Congo avec Denis Sassou Nguesso et en RDC avec Joseph Kabila. Au Togo la succession dynastique a déjà eu lieu en 2005 au prix d'un tripatouillage constitutionnel faisant 800 morts. L'héritier, au mépris du dialogue politique autour des réformes institutionnelles et des recommandations de la Commission Vérité Justice et Réconciliation s'apprête à se porter candidat pour un troisième mandat.
Les dirigeants ont rendez-vous avec l'Histoire
Dans ces pays, les présidents et leur entourage posent des actes qui ne trompent personne sur leur volonté de se maintenir au pouvoir par une manipulation constitutionnelle. Par le passé, de nombreux chefs d'Etats africains se sont parjurés sur cette question : Gnassingbé Eyadema au Togo en 2002, Idriss Deby Itno au Tchad en 2005, Paul Biya au Cameroun en 2008, Ismaïl Omar Guelleh à Djibouti en 2010, ou Yoweri Museveni en Ouganda en 2010, Abdoulaye Wade au Sénégal en 2012. D'autres ont par contre fait le choix de l'alternance, à l'instar de Jerry Rawlings au Ghana, Mathieu Kérékou au Bénin, Pinto da Costa à Sâo Tomé et Principe, ou encore des présidents Aristides Pereira, Antonio Mascarenhas et Pedro Pires qui se sont succédé aux îles du Cap-Vert. Les dirigeants attirés par la tentation dynastique ont rendez-vous avec l'Histoire : en acceptant l'alternance, ils rendraient le pouvoir à son ultime dépositaire, le peuple, posant un dernier acte marqué du sceau de l'apaisement. De son côté, l'absence de réaction de l'opinion internationale serait, pour les régimes africains concernés, un véritable blanc-seing pour imposer, y compris par la violence, une intolérable modification constitutionnelle pour se maintenir au pouvoir. Laisser l'un d'eux perpétrer ce parjure, c'est ouvrir la brèche qui les autorisera tous à s'y engouffrer. Mais l'effet domino peut jouer en sens inverse : après l'alternance sénégalaise en 2012, après le renoncement du président sortant au Mozambique début mars 2014, il est temps d'agir pour obtenir les conditions d'une alternance ailleurs aussi, à commencer par le Burkina, le Burundi et le Togo.
Et dans bien d'autres pays, où la mobilisation se cristallise sur des enjeux autres que constitutionnels (l'usage de la biométrie, la liberté de manifestation, l'indépendance des commissions électorales...). L'Europe fut surprise par les révolu­tions arabes. Elle trahirait ses intérêts et ses valeurs à cautionner par son silence la perpétuation de régimes archaïques au sud du Sahara.
Donner un contenu à l'alternance
Pour que le mot alternance ait un sens, il s'agit aussi de lui donner un contenu. C'est bien sûr à chaque peuple qu'il revient de le définir suivant son histoire, sa culture et son imagination créatrice. Mais quelques mesures pourraient ancrer une véritable alternance porteuse de démocratie : transparence sur le budget de l'Etat, les contrats avec les multinationales et les recettes issues de l'exploitation des ressources naturelles ; respect des normes républicaines dans les nominations aux postes de commandement militaire et policier ; liberté d'opinion, de presse et de manifestation sans préalable autre que l'information de l'autorité administrative ; nomination des magistrats indépendamment du pouvoir politique...
Une large alliance non partisane
Nous voulons former, en Afrique, en Europe et ailleurs, une large alliance non-partisane de citoyens, intellectuels, artistes, associations, syndicats et responsables religieux pour :
- refuser toute manipulation constitutionnelle pour convenance personnelle, délégitimer les régimes dynastiques aux yeux de l'opinion publique et obtenir l'arrêt de la caution apportée par les dirigeants occidentaux aux pratiques antidémocratiques en Afrique ;
- protéger les militants engagés pour l'alternance démocratique en Afrique et soutenir le renforcement de la société civile en Afrique, par la mise en réseau et la médiatisation de leurs mobilisations sur la scène internationale ;
- imaginer collectivement l'après-alternance en soutenant l'émergence d'une vision partagée de l'avenir de la démocratie en l'Afrique.
Premiers signataires
En Afrique : Y en a marre !* (Sénégal), le front des indignés et Ça suffit comme ça (Gabon), Dynamique citoyenne et Assoal (Cameroun), le Balai citoyen* (Burkina Faso), le CSAPR* (Tchad), le Gramp-TC* (Tchad), les Commissions Justice et Paix du Congo, du Tchad* et de la RDC*, Action Sud (Togo), Publiez-ce-que-vous payez*, Emmaüs Africa, Ibrahima Thioub (historien sénégalais), Achille Mbembe* (historien camerounais), Yves Dossou (journaliste togolais)...
En Europe : Le Secours catholique-Caritas France*, Terre des hommes France, le CCFD-Terre Solidaire*, Survie*, la Fédération des Congolais de la diaspora, la Société civile de RDC (diaspora), Mouvement de la paix*, Peuples solidaires-ActionAid*, l'Amicale panafricaine, le Conseil représentatif des associations noires (Cran), la CFDT*, Frères des hommes*, le Crid, le CNCD-11.11.11* (Belgique), Misereor* (Allemagne), Emmaüs International, Jean Merckaert (Revue Projet), Laurent Duarte (Festival international du film des droits de l'homme), Richard Banégas*, Jean-Pierre Olivier de Sardan*, Bertrand Badie, Vincent Foucher*, Eva Joly...
* En attente de validation officielle.
La société civile en quelques mots
La société civile est «le domaine de la vie sociale civile organisée qui est volontaire, largement autosuffisant et autonome de l'Etat». Une élection est un des événements principaux où la société civile se trouve mobilisée, notamment à travers l'éducation de l'électorat. C'est le corps social, par opposition à la classe politique. Voici la définition la plus commune de la société civile en science politique : «L'ensemble des rapports interindividuels, des structures familiales, sociales, économiques, culturelles, religieuses, qui se déploient dans une société donnée, en dehors du cadre et de l'intervention de l'Etat.» (J-L. Quermonne). (*) En somme, la société civile, c'est ce qui reste d'une société quand l'Etat se désengage complètement.
En prônant le désengagement de l'Etat, on prônerait un renouveau ou une réactivation de la société civile: imaginons tout ce qui se vit, se pense, se crée et se contracte en dehors des officines gouvernementales, de l'armée, du parlement et des tribunaux. Evidemment, la société civile n'habite pas un lieu précis; elle s'attache plus aux rôles institutionnels qu'aux personnes. Un fonctionnaire entre dans la société civile sitôt qu'il quitte ses bureaux.
(*) Source : Encyclopédie de l'Agora http://www.agora.qc.ca/RefText.nsf/($all)/8525675500434F0D8525681E005A5632?OpenDocument


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