Au Burundi, Rwanda, Bénin, Congo... plusieurs présidents africains sont accusés de vouloir, comme Blaise Compaoré, s'accrocher au pouvoir en modifiant leurs Constitutions. Mais les émeutes provoquées par les ambitions du dirigeant burkinabé, finalement chassé du pouvoir, devraient leur servir d'avertissement, estiment des analystes. «Ce qui se passe au Burkina est un cas d'école», résume David Zounmenou, chercheur à l'Intitute for Security Studies, estimant que si Blaise Compaoré avait réussi à faire «passer l'amendement constitutionnel», alors les dirigeants du «Bénin, du Congo et des autres pays» lui auraient «emboîté le pas». Mais c'est aussi «un avertissement, à la fois pour les régimes vieillissants et pour ceux qui essaient de se maintenir au pouvoir au-delà des limites constitutionnelles», poursuit Thierry Vircoulon, de l'International Crisis Group. Ni le Burundais Pierre Nkurunziza, ni le Rwandais Paul Kagame, ni le Béninois Thomas Boni Yayi, ni Joseph Kabila en République démocratique du Congo ni encore Denis Sassou-Nguesso au Congo-Brazzaville n'ont publiquement déclaré leurs intentions de briguer des mandats au-delà des limites constitutionnelles. Certains, comme Thomas Boni Yayi, nient même. Mais la plupart entretiennent le doute, tout en préparant le terrain par des voies détournées. Au Rwanda, le débat sur un maintien de Paul Kagame au pouvoir a été lancé par trois petits partis proches du pouvoir. Au Burundi, une réforme ouvrant la voie à un troisième mandat de Pierre Nkurunziza a été retoquée, mais ses proches estiment qu'il pourrait se représenter sans même changer la Constitution, car il n'avait pas été élu au suffrage universel pour son premier mandat. En RDC, l'opposition redoute que le pouvoir n'utilise une révision constitutionnelle sur des questions secondaires — l'élection des députés provinciaux — pour préparer une nouvelle campagne de Joseph Kabila en 2016. Pour tous ces dirigeants, la question se posera quoi qu'il arrive rapidement : les élections sont prévues en 2015 au Burundi, en 2016 au Bénin, en RDC et au CongoBrazzaville, en 2017 au Rwanda. Entre ces pays et le Burkina Faso, il y a des différences — des dirigeants pas forcément «au pouvoir depuis aussi longtemps» — et des similitudes — «des divisions au sein du pouvoir, clairement des militaires qui ne sont pas totalement alignés derrière le président»—, poursuit M. Vircoulon. Peu doutent que MM. Kagame ou Sassou-Nguesso «parviendraient à changer les règles pour rester au pouvoir», estime Paul Melly, du Chatham House. Mais dans des pays comme la RDC ou le Burundi, où le pouvoir est moins fort et la société civile «donne de la voix», l'entreprise serait plus risquée pour MM. Nkurunziza et Kabila, poursuit-il. Pour M. Vircoulon, la tournure que prendront les événements dans tous ces pays dépendra beaucoup de l'«état d'esprit des populations. Et à ce titre, poursuit-il, «l'exaspération de la population est un peu similaire en RDC» et au Burkina Faso. «Ce qui se passe au Burkina peut donner du courage aux peuples des pays de la région dont les chefs d'Etat veulent modifier la Constitution et donner à réfléchir aux dirigeants», renchérit un responsable onusien au Burundi. Dans les rues de Bujumbura, nombreux étaient d'ailleurs ceux à parler vendredi du «courage du peuple burkinabé». «Les Burkinabè sont des lions, ils viennent de faire honneur à Sankara (père de la révolution burkinabè) et à toute l'Afrique», estime un haut cadre burundais, membre... du parti au pouvoir. «C'est un exemple qui devrait nous inspirer ici au Burundi car le président veut faire la même chose que Compaore». Pour M. Zounmenou, il reviendra d'autant plus aux «citoyens de prendre leurs responsabilités» que les institutions régionales ne jouent pas leur rôle de garde-fou. L'Union africaine, dont les règles sanctionnent pourtant les changements constitutionnels à des fins de maintien au pouvoir, n'a par exemple jamais pu stopper la révision constitutionnelle orchestrée par le Sénégalais Abdoulaye Wade pour se représenter en 2012, rappelle-t-il. Le dirigeant avait finalement été sanctionné, mais par les urnes. En matière d'alternance politique, des pays se démarquent. Après une série de coup d'Etat, le Ghana n'a plus connu, à partir de 1992, que des élections démocratiques, qui ont porté au pouvoir quatre présidents différents. En Tanzanie, où certes le même parti gouverne depuis les années 1960, un projet de révision constitutionnelle est sur la table, mais qui ne permettra pas un troisième mandat au président Jakaya Kikwete. Mais avant le Burkina Faso, d'autres pays avaient à l'inverse aussi vu leurs leaders prolonger leur vie politique au-delà des limites initialement permises : Djibouti, Tchad, Cameroun, Angola, Ouganda, Algérie, Togo... «L'Afrique est le continent où on parle d'Ebola, de maladies, de chefs d'Etat qui tripatouillent leurs Constitutions pour rester au pouvoir», déplore M. Zounmenou. «Il est temps de changer cela, de mettre en place des structures démocratiques dépersonnalisées pour donner une chance au développement socio-économique».