Vingt-huit ans après son dernier film, Lakhdar Hamina renoue avec le grand écran. Le crépuscule des ombres, son nouveau long-métrage tant attendu, a été présenté à la presse hier à la salle El Mouggar. Celui qui a décroché l'unique Palme d'Or de l'Algérie a visiblement perdu la main ! A peine avait-on eu un brin d'espoir avec L'Oranais de Lyès Salem et son traitement littéralement révolutionnaire de l'Histoire du pays, nous revenons dare-dare à la bonne vieille démagogie et son indispensable supplétif : la glorification ! Le crépuscule des ombres dure près de deux heures pendant lesquelles on fera un bond dans le temps pour rejoindre les bancs de l'école où nos valeureux instituteurs nous prodiguaient les leçons aseptisées sur la guerre de Libération. Si l'éducation algérienne ne pouvait, et ne peut toujours pas, se départir de son inexplicable statut d'instrument de propagande bien que la guerre soit finie depuis longtemps, le cinéma, lui, a certes rempli consciencieusement son rôle de porte-voix d'une version immaculée de l'Histoire selon la redoutable conception jdanovienne, mais il a tant bien que mal essayé d'offrir, en parallèle, un minimum de langage cinématographique et à respecter un tant soit peu l'intelligence du spectateur. Or, le dernier film de Lakhdar Hamina dont il est le scénariste et le metteur en scène, va non seulement reprendre tout ce qu'il y a de repoussant et d'inacceptable dans l'artillerie démagogique, mais aussi reléguer au dernier plan le souci de crédibilité tandis que la préoccupation artistique est quasiment inexistante. Nous sommes dans le désert algérien, entre 1930 et 1958. Khaled (Samir Boitard), un petit garçon d'une tribu nomade, va devenir un brillant étudiant parisien avant de répondre à l'appel de l'ALN où il créera, avec ses camarades, le nom de code «CECA : Communauté européenne de charbon et d'acier». Ce groupe perpétrera des opérations héroïques qui vont tourmenter le commandant Saintenac (Laurent Hennequin), caricature du parfait tortionnaire, sadique, bête et méchant officier français. Entre les deux, il y a évidemment Lambert (Nicolas Bridet), un objecteur de conscience décidé à faire respecter les principes moraux de la noble République française, pays des droits de l'Homme, etc. etc. Nous avons donc le trio typique d'un téléfilm révolutionnaire moyen: le héros, le méchant et l'humaniste ! Le scénario repose entièrement sur cette dualité triangulaire où des discours invraisemblablement figés, exsangues et plats seront échangés entre ces trois personnages pendant leur longue errance dans le désert, suite à l'intervention de Lambert qui libéra Khaled et prit Saintenac en otage. S'ensuit alors un étalage verbeux où chacun remplira parfaitement son rôle d'échantillon pédagogique: le commandant français martèle les bienfaits de la France civilisatrice dans ce pays de sauvages qu'est l'Algérie; Khaled, véritable statuette du moudjahid infaillible, «supermanisé», excellent francophone, historien incollable et talentueux guide touristique, puisera quant à lui dans la littérature dévitalisée du film de propagande: l'histoire millénaire de cette terre, le peuple qui comme un seul homme va chasser l'occupant, l'inéluctabilité de l'indépendance mais aussi l'exigence d'excuses de la part de la France, la différence fondamentale entre l'invasion arabe (respectueuse des autochtones) et la colonisation française, l'indispensable piété du moudjahid musulman, etc. Enfin, Lambert, rapidement acquis à la cause algérienne, dégaine la panoplie humaniste, découvre peu à peu la bonté et l'hospitalité des Algériens et s'engage définitivement pour leur libération. Terrassé, comme pourrait l'être le spectateur, par ce duo de choc, Saintenac finit par revenir à de meilleurs sentiments en reconnaissant la noblesse du combat algérien et, cerise sur le gâteau, demandera des excuses au nom de la France ! Du côté de la mise en scène, inutile de préciser qu'avec une charge démagogique aussi pesante, l'image n'aura que le minuscule rôle d'illustrer le discours: la caméra «enregistre» visuellement les laïus des protagonistes, balaye les paysages splendides du Sahara algérien en s'évertuant dans l'art de la carte postale, puis elle s'éteint sur un dernier plan large qui, le seul, a pu ressembler à une image de cinéma. Lakhdar Hamina qualifie son film de Road movie mais c'est justement la liberté prônée par ce genre cinématographique qui manque cruellement au Crépuscule des ombres qui n'interroge rien, ne permet aucune marge de réflexion au spectateur et ne fournit que du «prêt-à-penser» comme si l'on était encore dans les années 1950, période durant laquelle un tel film de propagande aurait eu au moins une raison d'être! Près de trente ans d'absence et voilà que le come-back de l'un des cinéastes algériens les plus connus s'avère être un tragique accident de fin de parcours ! Sarah Haidar Fiche technique Le crépuscule des ombres, 110 minutes. Réalisation et scénario original : Lakhdar Hamina. Adaptation et dialogues : Malik et Mohammed Lakhdar Hamina. Image : Alessandro Pesci. Musique originale : Vangelis. Décors : Adel Kacer. Coproducteurs : Sunset Entertainment - AARC.