Sauf spectaculaire et improbable retournement de situation, Beji Caid Essebsi sera le troisième président de la République de la Tunisie depuis l'indépendance du pays le 20 mars 1956 succédant ainsi aux très longs règnes de Habib Bourguiba et de Zine Al Abidine Benali et à l'intermède de son principal rival pour cette présidentielle du 23 novembre 2014, le président intérimaire, Moncef Marzouki. Les deux hommes auront à s'affronter pour un second tour, le 28 décembre prochain pour trancher définitivement entre deux projets de société, l'un islamiste, l'autre démocratique et progressiste qu'est finalement cette élection. Kamel Amarni - Alger (Le Soir) Depuis la chute du régime de Benali, le 14 janvier 2011, c'est, en fait la place de l'islamisme politique qui dominera le débat politique chez nos voisins de l'Est. La Tunisie, certes tenue d'une main de fer sous Bourguiba et Benali avait, en revanche, quelques acquis considérables et qui faisait de ce pays, le plus moderne de tout le monde dit arabe. En termes de droits des femmes, des libertés individuelles, du système éducatif, du système bancaire et du climat des affaires en général, la Tunisie a toujours était un modèle pour toute la région, effectivement. Mais l'émergence hégémonique du mouvement islamiste Ennahda sur la scène politique, au lendemain de la «révolution du jasmin» fera craindre le pire. Sans coup férir, le mouvement islamiste ne tardera pas à s'emparer de la rue et, dans la foulée, des institutions à savoir l'assemblée constituante et le gouvernement. Sans doute «échaudés» par l'expérience de leurs «aînés» du FIS en Algérie, puis des «Frères musulmans» d'Egypte», les islamistes tunisiens se montreront plus prudents. Si, dans la rue, ils se comporteront comme le font tous les islamistes «digne de ce nom», avec quelques démonstrations ostentatoires sur la place publique, dans les campus universitaires, les sites touristiques, il en sera autrement au plan de l'exercice politique et institutionnel. Un peu comme le MSP algérien, Ennahda optera pour la stratégie de l'entrisme et le jeu des alliances. Ce qui donnera lieu au gouvernement de la Troïka que le parti de Ghennouchi formera avec deux petits partis, en l'occurrence Ettakatol de Mustapha Jaâfar et le congrès pour la République de Moncef Marzouki. Et c'est en vertu de ces accords tripartites que Marzouki est propulsé président intérimaire et, pour l'élection présidentielle de ce 23 novembre, candidat «non déclaré» d'Ennahda ! Le sort de son «frère» égyptien, Mohamed Morsi, renversé et emprisonné après avoir gagné une élection présidentielle a certainement pesé lourd dans la décision de Rached Guennouchi de ne pas se présenter, ni lui ni aucun membre de son parti d'ailleurs, aux présidentielles ! Ennahda, par ailleurs submergée par la nouvelle et première force politique du pays, Nidaâ Tounes, de Caid Essebsi ne pouvait espérer mieux qu'un Marzouki comme «cheval de Troie» pour conquérir le palais de Carthage ! Ce n'est pas un hasard si le grand favori, Caid Essebsi, a qualifié son concurrent, Marzouki, hier lundi, d'être rien moins que «le candidat des islamistes et des djihadistes» ! Dans une Tunisie qui fait face à des menées terroristes de plus en plus dévastatrices ces trois dernières années, une telle charge risque fort d'anéantir le maigre espoir de Marzouki. En attendant la proclamation officielle des résultats de ce premier tour, demain mercredi par l'instance indépendance chargée de l'organisation de cette présidentielle, Marzouki qui a déjà fait le plein de son «électorat possible» aura du mal à atteindre son adversaire avec de légers «sobriquets», comme d'être le candidat de «l'ancien régime». Car pour les Tunisiens, et ils l'ont démontré lors des législatives du 26 octobre dernier, Caid Essebsi incarne, au contraire, la stabilité, la modernité, et surtout tout l'inverse du style «frivole» de l'exercice de la fonction présidentielle à la Merzouki. K. A. Réactions... Mazouz Atmane, secrétaire national chargé de la communication du RCD L'exemple tunisien : «Une lueur d'espoir pour toute l'Afrique du Nord» «La Tunisie vient de connaître l'une des premières élections libres et démocratiques. Contrairement à notre pays, qui vit une crise politique profonde et continue à souffrir d'une illégitimité et d'une anarchie à tous les niveaux institutionnels, porteuses de grands dangers pour la nation, la Tunisie est désormais sur la voie d'une transition politique qui lui apportera stabilité et développement. Malgré des années de dictature et de terrorisme, les Tunisiens ont eu l'intelligence et la volonté de reconstruire leur pays au moment où l'Algérie vit un blocage sidérant à tous les niveaux et continue à sombrer dangereusement dans le chaos. La maturité de leur classe politique et leur consensus sur la nécessité de préserver leur pays ont fait que les Tunisiens viennent de donner un exemple impressionnant d'une transition démocratique unique dans le tiers-monde. Si les Tunisiens ont eu cette réussite retentissante, c'est grâce, en premier lieu, à des élections transparentes menées par une instance indépendante de gestion des élections, semblable à ce que revendique la CNLTD dans sa plateforme politique. L'exemple tunisien est une lueur d'espoir pour toute l'Afrique du Nord. A nous de suivre leur modèle !» Moussa Touati, président du FNA Une leçon pour les pays arabes «A travers ses élections, la Tunisie et le peuple tunisien essayent de donner des leçons aux pays arabes notamment à l'Algérie. Ces élections se sont déroulées dans le respect du peuple et de la dignité du territoire tunisien. Un comportement digne de personnes intelligentes qui ont fait preuve de respect pour la Nation tunisienne. Ce qui n'est pas le cas pour l'Algérie où la fraude et les dépassements ont régné durant le rendez-vous électoral. Il y a une démocratie très claire qui s'installe en Tunisie et nous espérons que l'Algérie puisse atteindre cette maturité politique et ce respect du citoyen et du pays.» Youcef Aouchiche, secrétaire national à l'information au FFS Une avancée de démocratie au Maghreb «Nous avons suivi l'évolution de la situation sécuritaire et politique en Tunisie depuis la révolution de 2011. Nous tenons à féliciter les Tunisiens et nous attendons les résultats du deuxième tour de ces élections. Des élections que nous concevons comme une étape fondamentale de réhabilitation du politique et du suffrage universel. Elles viendront pour parachever le processus de renouvellement institutionnel de la Tunisie. Nous demeurons convaincus de toute avancée de démocratie d'un pays du Maghreb qui devrait à terme profiter à ses voisins y compris l'Algérie et permettra le renforcement de la stabilité et de la sécurité dans la région.» Djilali Sofiane, président de Jil Djadid : Des élections sans contestation, une première «Pour la première fois, des élections se déroulent sans contestations majeures et mènent prématurément à un deuxième tour. Signe d'un comportement normal du peuple tunisien. Alors que les élections en Algérie sont toujours soumises aux résultats staliniens. Elles sont réglées au premier tour avec des scores pharaoniques. Le peuple algérien est-il complètement différent des autres peuples ? Est-il un peuple prosterné ou bien cela signifie que les élections en Algérie et leurs résultats sont faux et que Bouteflika n'est pas légitime ?» Propos recueillis par Rym Nasri Zine-Eddine Tobbal chargé de la communication au MSP : «Un exemple à suivre» «Nous avons assisté à une campagne électorale positive et les élections se sont passées dans de très bonnes conditions. La Tunisie a montré l'exemple comme quoi la démocratie peut sévir dans les pays arabes. C'est un exemple à suivre. Les forces politiques en Tunisie malgré leur différentes tendances ont pu coexister sans violence et sans que l'une ne menace l'autre et sans parler de fraude comme c'est le cas chez nous. C'est la première fois dans un pays arabe où l'on assiste à des élections qui passent au second tour. Ça montre que les élections ont été libres et transparentes et la Tunisie a donné un bon visage du printemps arabe. Ainsi, la Tunisie va se rapprocher des démocraties modernes où la plupart des élections passent au deuxième tour. L'une des premières propositions de la CNLTD est de constituer une commission indépendante pour l'organisation des élections présidentielles, car en Tunisie, les élections n'ont pas été gérées par l'administration mais par une commission indépendante, ce qui donne de la crédibilité à ces élections. En Algérie, ceux qui parlent de démocratie sont à côté de la plaque car depuis l'indépendance, nous sommes gouvernés par le même et seul parti politique.» Propos recueillis par Salima Akkouche Ministère des Affaires étrangères Dans une déclaration à l'APS (Agence presse service), le ministère des Affaires étrangères a indiqué que «l'Algérie se félicite du climat d'apaisement, de sérénité et de responsabilité dans lequel s'est déroulé le premier tour de l'élection présidentielle. Ce scrutin marque une étape décisive dans le processus de transition démocratique et constitue une nouvelle promesse pour un avenir rayonnant et prospère de ce pays frère. C'est une victoire pour le peuple tunisien qui a su, grâce à sa sagesse et sa détermination, transcender les difficultés et relever les défis, s'engageant ainsi, résolument sur la voie de la consolidation de la stabilité, de la démocratie et de l'Etat de droit».