Un cycle intitulé «Le cinéma algérien en dix leçons», présenté par le critique Ahmed Bedjaoui, s'est tenu à la Cinémathèque d'Alger du 23 au 27 novembre. Mardi dernier, un certain cinéma féministe fut proposé au public avec La citadelle de Mohammed Chouikh, suivi de Rachida de Yamina Bachir Chouikh. Sorti en 1989, le long métrage La citadelle de Mohamed Chouikh est une œuvre atypique qui appréhende un aspect de la société algérienne de l'époque à travers un petit village de l'Ouest où se cristallise de manière aussi brutale qu'éloquente les atrocités commises contre les femmes. Ahmed Bedjaoui dira à ce propos : «Nous avons choisi ce film pour ce qu'il a d'instructif et de quasiment visionnaire : le poids des traditions et du maraboutisme dont souffre la femme algérienne et notamment celle vivant à l'intérieur du pays. C'est un film qui annonce, en quelque sorte, ce qu'il adviendra plus tard de l'Algérie avec l'explosion de l'intégrisme meurtrier durant la décennie noire.» En effet, Mohamed Chouikh pose un regard sans concession sur le traitement réservé à la femme dans de nombreuses régions d'Algérie en cette fin des années 1980. Sur fond de polygamie, de frustration sexuelle et affective, d'hypocrisie et de tyrannie religieuse, le réalisateur reconstitue un microcosme sociétal où sont condensés nombre de pratiques aussi moyenâgeuses que terriblement mortifères où la femme est à la fois objet, esclave et incubatrice à bébés ! Kaddour, pudiquement mais superbement campé par Khaled Barkat, vit dans ce village où il rumine sa trentaine entamée, sa solitude et son désir dément pour une femme mariée (Nawel Zaâtar). Son père adoptif, Sidi (Djilali Aïn Tedles), un polygame rustre et malsain, passe ses journées à asservir ses quatre épouses et à faire le coq devant les villageois. Le film s'ouvre sur une procession nocturne célébrant un mariage collectif. Les convives encerclent les différentes baraques des époux dans l'attente de voir la chemise ensanglantée et applaudir la virilité du mari. C'est ainsi que Chouikh nous met, dès le début, dans le bain de ce film infernal qui n'emprunte pas les chemins détournés pour jeter à la face du spectateur l'atroce réalité. C'est donc pour ces raisons que le réalisateur verse parfois dans le documentaire ethnographique en insistant sur les moindres détails de la vie quotidienne du village, ce qui implique une mise en scène rudimentaire et une construction dramatique parfois cousue de fil blanc. Mais au-delà de ces maladresses, il y a dans La citadelle un esprit lucide et révolté qui, tout en évitant le discours direct, offre une lecture fulgurante de la condition de la femme en Algérie mais aussi celle de l'homme ! Kaddour, amoureux naïf et étrange, soulève l'ire du village à cause de ses atteintes répétées à la «horma» d'une femme mariée qui, elle, n'hésite pas à faire des galipettes derrière le dos de son mari (campé par l'impayable Sirat Boumediene). Il ira même consulter un marabout pour conquérir le cœur, et surtout le corps, de sa dulcinée. S'ensuit alors une série de rituels où on verra également des personnages secondaires mendier l'aide du Saint Patron. La scène où une jeune femme se traîne par terre à l'intérieur du mausolée est particulièrement puissante d'autant qu'elle est filmée en alternance avec la course frénétique exécutée par Kaddour à l'extérieur. Lorsque tous ses espoirs s'éteindront, il acceptera alors un mariage forcé imposé par son père pour sauver l'honneur ; un mariage qui s'avèrera être une farce quasiment surréaliste. Chouikh parvient à donner forme à l'errance de ces âmes tourmentées et prisonnières d'un carcan traditionaliste oppressant et inhumain. La beauté de La citadelle réside sans doute dans la force de l'image et la volonté du réalisateur de transformer chaque plan en sentence sans appel, même si on peut lui reprocher quelques dérapages dans le pathos, voire le misérabilisme. Mais cela demeure infime comparé au courage et à l'insolence du ton général car même s'il bannit brillamment le manichéisme, Mohammed Chouikh n'hésite pas à pointer les coupables : ces traditions et ces versets coraniques invoqués par les personnages chaque fois qu'il faut humilier une femme ; cette sacralisation de la misogynie et de la soumission aveugle, etc. Pour autant, le réalisateur filme ces hommes et ces femmes avec une tendresse infinie et semble davantage les interroger que les juger. Quant à la séquence finale, elle est la quintessence à la fois esthétique et dramaturgique de cette histoire brute et brutale : Kaddour, découvrant le mannequin en plastique que son père a fait passer pour une jeune mariée, chorégraphie son ultime errance avant de sombrer dans le vide.