Entretien réalisé par Kamel Amarni Le rôle du Conseil de la nation ou Sénat dans le système institutionnel algérien est l'objet d'une journée d'étude qu'organise, aujourd'hui dimanche, le ministère des Relations avec le Parlement. C'est, en fait, une manière d'entrer dans le vif du sujet, la révision de la Constitution. «Une révision qui aura bel et bien lieu», insiste le ministre des Relations avec le Parlement, Mahi Khellil dans un entretien «sans concessions» et où tous les thèmes brûlants de l'actualité politique ont été abordés. Le Soir d'Algérie : le ministère des Relations avec le Parlement organise, aujourd'hui dimanche, une journée d'étude sous le thème : «Le rôle du Sénat dans le système législatif algérien et les systèmes comparés. Pourquoi cette initiative ? Pourquoi en ce moment ?» Mahi Khellil : Nous avons réfléchi à ce sujet depuis plusieurs mois, ce n'est pas d'aujourd'hui. Et comme il y a un projet de révision de la Constitution, on s'est dit que peut-être, c'est le moment dedéfinir le rôle que l'on peut conférer au Sénat dans cette nouvelle vision dans la Constitution. Pourquoi tout cela ? Parce que les textes existent. Notamment l'article 98 qui est très clair «le pouvoir législatif est exercé par un Parlement». Et qui dit Parlement, dit les deux Chambres : la chambre basse et la chambre haute. «Le Parlement élabore et vote la loi souverainement». Donc, si on le prend de manière très restrictive, cet article 98 confère au Sénat les mêmes prérogatives qu'à l'Assemblée nationale. Or ce que nous constatons, c'est que, d'autres textes, notamment la loi organique 99/02, limitent la chose. En vertu de ce texte, le Sénat ne peut qu'adopter les lois, les discuter tout au plus, sans pour autant pouvoir y apporter des amendements ou des rectificatifs, si nécessaires soient-ils. Il peut faire des propositions, il peut faire des suggestions mais c'est tout. Alors on s'est dit que, peut-être, puisqu'il est question que le Sénat ait un peu plus de pouvoir sur le plan législatif que ce qui se passe actuellement, il est possible d'explorer d'autres voix pour lui donner davantage de prérogatives. Bien sûr, tout en laissant la primauté à la Chambre basse de légiférer les lois et les soumettre par la suite au Sénat. Dans presque tous les pays qui ont adopté ce système bicaméral, environ 80 dans le monde, le Sénat légifère. On peut citer les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France. Pour cette journée d'étude et s'agissant des systèmes comparés, on a pris deux expériences, l'une d'un pays oriental, la Jordanie, l'autre d'un pays européen , l'Espagne. A travers les interventions et les débats, on sortira avec des propositions qui seront, pourquoi pas, prises en considération du moment que la Constitution n'est pas encore finalisée. C'est cela l'objectif de cette journée d'étude. D'ores et déjà, et à travers votre première réponse, on déduit deux choses : d'abord que la révision de la Constitution aura lieu et ... ( Il nous coupe ndlr) Certainement ! Puisque le président de la République en personne en a parlé dans son message à la conférence des conseils constitutionnels africains. Ceci dit, nous n'avons pas attendu cela pour penser à cette journée d'étude puisqu'un tel événement ne se prépare pas en une semaine. C'est vous dire que, oui, la révision de la Constitution aura bel et bien lieu. Cette année ou l'année prochaine, mais elle aura lieu. Cette question de la révision de la Constitution focalise toute l'activité, tout l'intérêt de la classe politique. Tout le monde en parle mais, côté officiel et mis à part le message de Bouteflika et une déclaration du S.G du FLN, Amar Saâdani, aucune voix n'est venue confirmer la chose. Oui, mais le message du président était clair. Donc cette révision aura lieu. Vous, en tant que ministre, vous confirmez donc cette révision. Ce n'est pas à moi de confirmer ou d'infirmer. Mais puisque le président l'a lui-même annoncé, donc elle aura bien lieu. Pour que les choses soient bien claires, ce n'est pas moi qui ai annoncé la révision de la Constitution, c'est le président de la République. Nous concernant, cette journée s'inscrit dans le cadre du projet de l'enrichissement de la Constitution. Je ne suis pas dans le secret des dieux. Moi j'ai entendu le président le confirmer à travers son message. Oui, mais vous avez bien compris notre question. Il s'agit du calendrier, de la date. Est-ce une question de jours ? De semaines ? De mois ? Il ne faut pas oublier qu'un précédent engagement présidentiel fixait cette révision pour avant la fin de l'année 2014... Que reste-t-il de l'année 2014 ? A peine quelques jours. Que cette révision intervienne avant la fin de l'année ou au début de l'année 2015, c'est la même chose. C'est insignifiant comme détail. Ce qui est clair, est que cette révision aura lieu de toutes les manières. C'est un engagement du Président. L'autre grande question liée à cette révision, est la voie qu'elle empruntera. Référendaire ou parlementaire ? Cela n'a pas encore été décidé, personne ne le sait. Personne ne sait si elle passera par la voie référendaire, ou seulement à travers les deux chambres du parlement ou les deux à la fois. Cela se saura une fois que le projet sera finalisé et c'est au Président de décider d'opter pour l'une de ces voies. Si on vous demande à vous, en tant que ministre, de choisir, vous opteriez pour quelle forme de révision ? Pas en tant que ministre mais, si vous voulez, je vais vous donner mon opinion personnelle qui n'engage que ma personne au demeurant : si l'on a affaire à de profonds changements, et je dis bien à de profonds changements, je crois qu'il est plus raisonnable que cette révision soit soumise au choix du peuple. Maintenant, s'il s'agit simplement de changements mineurs, je crois que la voie parlementaire suffit largement. D'autant plus que la Constitution elle-même prévoit tout cela. Evoquons maintenant, si vous le permettez, le contenu même de cette révision. De manière sommaire, on parle de plus de prérogatives pour le Parlement, de davantage de pouvoir pour le Premier ministre... J'ai compris le sens de votre question. Je peux vous renvoyer déjà au plan d'action du gouvernement, adopté d'ailleurs par le Parlement, qui, en sa page 12, consacre tout un chapitre à cette question des relations entre le gouvernement et le Parlement. Il y est question du renforcement de ces relations mais aussi de donner plus de prérogatives pour le parlement. C'est du reste dans ce cadre que nous avons programmé la journée d'étude de ce dimanche. Il est également question que l'on révise, d'une manière consensuelle, la loi organique 99/ 02 qui régit les mécanismes juridiques des relations entre les deux Chambres ainsi qu'entre le Parlement et le gouvernement. Tout cela sera certainement prévu, par ailleurs, dans la prochaine Constitution dans le cadre de la révision. Votre propre parti politique, le FLN, réclame dans la prochaine Constitution, que soit expressément inscrit que la direction du gouvernement, c'est-à-dire le poste de Premier ministre revienne obligatoirement au parti majoritaire. Et en l'occurrence, au FLN. Adhérez-vous à cette revendication ? C'est la loi de la nature ! C'est la nature même qui le veut. Vous m'avez compris ? Sans commentaires (Rires). Le projet de révision de la Constitution sera-t-il présenté sous forme de projet de loi ? Et donc empruntera-t-il le processus classique avec adoption en conseil du gouvernement, puis des ministres et enfin, le Parlement ? Effectivement, sur le plan de la procédure, un projet de loi, quel qu'il soit, doit inévitablement suivre un circuit. Premièrement, il est présenté par la partie ou le pouvoir concerné (ministre, Premier ministre ... ). Il est bien entendu élaboré, examiné au plan réglementaire, au préalable. Une fois finalisé, il est envoyé à l'ensemble des secteurs pour qu'ils émettent leurs avis et leurs observations. Il revient ensuite au niveau du secrétariat du gouvernement où il sera finalisé. C'est seulement après qu'il est présenté au niveau du gouvernement qui l'endosse. Si, par contre il s'agit d'un décret, il est directement soumis au gouvernement puis au Conseil des ministres. Par la suite, il est envoyé au niveau de la commission des affaires juridiques de l'Assemblée qui élabore son rapport comme le veut la loi. Enfin, il est soumis aux deux Chambres réunies. C'était d'ailleurs le cas pour la révision de 2008. Sincèrement, Monsieur le Ministre, vous ne pouvez pas nous éclairer sur l'échéance ? Avant la fin de l'année ou après ? Soyons raisonnables. Que reste-t-il de 2014 ? A peine une vingtaine de jours ? La révision ne peut intervenir qu'en 2015. C'est clair. Même du point de vue de la procédure que nous venons de préciser. Cette révision en appellera-t-elle nécessairement à un changement de gouvernement ? N'anticipons rien. On ne peut rien prédire tant que le contenu même de cette révision n'est pas encore connu. Quels changements prévoirait-il ? Quels types de relations apporterait-il entre les institutions, entre le gouvernement et le parlement, etc ; nul ne le sait. Nous avons déjà un aperçu à travers les propositions envoyées par la présidence et autour desquelles se sont déroulées les consultations avec la classe politique en juin dernier. Oui, mais cela reste de simples suggestions. Tout comme les suggestions et les propositions de tous ceux qui ont pris part à ces consultations. Tout le monde a formulé des propositions mais nul ne sait qu'elles seront, parmi toutes ces propositions, celles qui figureront dans le texte final. Une bonne partie de l'opposition ne reconnaît même pas cette révision, lui préférant une présidentielle anticipée. Elle propose d'inverser le processus, à savoir une présidentielle d'abord, puis une révision de la Constitution... C'est à ne rien comprendre ! Il y a bien eu une élection présidentielle. Le président de la République a bien été élu. Ceux qui réclament dès lors une présidentielle sont en train de bafouer la Constitution. Ce que je dis et je le répète, en revanche, il y a une révision constitutionnelle qui arrive. Tout le monde n'a qu'à participer à son enrichissement. L'opposition doit y participer. Maintenant s'ils préfèrent rester en rade, les uns appelant à l'application de l'article 88, les autres appelant à des présidentielles anticipées ou je ne sais quoi encore, je leur rappelle encore une fois que le président de la République a été élu et le peuple lui a donné ses voix. Que veulent-ils de plus ? Où est le problème à partir du moment où le président exerce normalement sa fonction ? Il préside les réunions du Conseil des ministres, il reçoit les invités étrangers etc. Moi, j'ai voté pour un président. De quel droit tel ou untel réclame sa destitution pour que j'aille voter pour un autre président ? Moi je refuse de voter pour quelqu'un d'autre si le président pour lequel j'ai voté n'a pas encore terminé son mandat. L'opposition, si vraiment elle veut apporter un plus, n'a qu'à venir enrichir la Constitution comme le président l'y invite d'ailleurs. Lui qui a exprimé sa volonté de donner plus de place à l'opposition, à travers le Parlement. C'est le débat qui domine actuellement sur la scène politique. C'est le débat de l'opposition. C'est normal. Mais moi je dirais simplement que la nature a horreur du vide. La politique de la chaise vide ne servira pas l'opposition. Quand vous laissez votre chaise vide, il y aura toujours quelqu'un qui viendra l'occuper. A la limite, j'aurais bien compris que l'opposition ait d'abord formulé des propositions et, parce que celles-ci n'ont pas été retenues, on crierait au scandale. Mais non ! Ils ne font aucune proposition mais s'opposent à ce qui est proposé. Mais le dernier message de Bouteflika, affirmant que «l'Algérie s'apprête à réviser sa Constitution» ne signifie-t-il pas qu'il ferme définitivement les consultations autour de cette question ? Non, pas du tout. Cela veut dire uniquement que la révision constitutionnelle aura lieu.