Par Sarah Haidar On peut retenir le glamour du tapis rouge et de la montée des marches sous les flashs des nombreux photographes et sous le regard fasciné de dizaines de passants agglutinés derrière les barrières. On peut tomber en pamoison devant la présence de stars internationales du cinéma. On peut également saluer le prestige de l'événement qui tangue entre le chic et le populaire, le tout dans une bonne humeur extatique. Mais tout cela revêt peu d'importance quand on choisit de découvrir à travers les Journées cinématographiques de Carthage un phénomène aussi bien artistique que social qui occupe l'espace public tunisois tout au long d'une semaine malgré l'insécurité économique, les échéances électorales et les innombrables soucis inhérents à une période postrévolutionnaire. A Tunis, on se souvient de l'été 2011 lorsqu'un groupe de barbus-barbouzes ont pénétré dans une salle de cinéma où le film de Nadia El Fani Ni Allah ni maître était en projection. La salle fut non seulement saccagée mais il y eut également des agressions physiques contre les spectateurs. Trois ans plus tard, des milliers de cinéphiles affluent vers les points de vente de tickets dans les neuf salles abritant les différentes sections des JCC, dont une est consacrée aux cinémas du monde où l'on peut voir rien moins que le dernier Godard Adieu au langage ou encore la Palme d'or 2014 Winter Sleep du cinéaste turc Nouri Seylan, etc. Nous sommes à la veille du deuxième tour de la présidentielle, des manifestations quadrillées par un impressionnant dispositif sécuritaire ont lieu quasiment tous les jours. Mais durant une semaine, la capitale ainsi que d'autres villes où le festival s'est déplacé réussit à trouver le temps pour la centaine de films proposés. Avec des amis algériens venus participer aux JCC ou bien simplement y assouvir leur cinéphilie, nous étions souvent dans un état de quasi-hébétude. Nous avons mis du temps avant d'admettre que nous étions simplement jaloux ! Nous sommes bien en Tunisie, cette «petite province de l'Algérie, remplie d'hommes peureux devant leurs femmes et agenouillés devant leur dictateur», comme se plaisaient beaucoup de concitoyens à qualifier ce pays ; la Tunisie qui est devenue par la suite «révolutionnaire en toc, victime des manipulations du Printemps arabe, vouée à une descente aux enfers du terrorisme, etc.». Et c'est pourtant dans la capitale de ce même pays qu'on va voir l'un des indicateurs d'une renaissance : une vie culturelle bouillonnante. Loin de la haine de soi ou d'un quelconque exercice banalement masochiste comme celui pratiqué par certains lorsqu'ils reviennent de Paris, nous étions forcés de voir les choses en face : dans une ville nord-africaine, habitée par le même «code génétique» que le nôtre, si j'ose dire, et qui plus est se confronte à une situation politico-économique assez sensible, nous regardons les masses, dont une majorité d'étudiants et de lycéens, prendre d'assaut les salles de cinéma, notamment lors des séances du soir, à tel point qu'au bout de quelques minutes, les guichets sont fermés et les trois niveaux de la salle entièrement remplis. Ensuite, nous les voyons envahir les incalculables terrasses, bistrots et restaurants des parages pour y débattre de ce qu'ils viennent de voir. A moins de mille kilomètres de là, à Alger, les nombreux festivals de cinéma pensent que pour attirer le public, il suffit de faire de la gratuité un mot d'ordre. Mais ils oublient que cette unique salle abritant leurs films est entourée de noir ! La ville meurt l'espace d'une nuit et cet élément essentiel et complémentaire de la notion de festival qu'est la vie nocturne, est consciencieusement aboli ! Bien sûr, il y a quelques restos dont celui réquisitionné par l'organisation, mais c'est encore là que le bât blesse : avec une pure mentalité de fonctionnaire, la plupart de ces commerçants estiment que «festival ou pas, moi, j'arrête le service à 23h !». Les cinéastes invités n'ont donc qu'à aller s'entasser dans les rares «trous à rats», c'est-à-dire les bistrots, qui ont survécu aux rafles de fermeture des bars à Alger ! De plus, toujours concernant le public, une irrésistible comparaison s'impose : même gratuitement, une salle n'est jamais remplie à Alger, sauf quand il s'agit d'un film «polémique»... Enfin, je pourrais également vous parler de la qualité d'organisation des JCC, de la facilité avec laquelle vous pourrez discuter avec les cinéastes et les acteurs ; de ces lieux d'échange, de convivialité et de musique qui vous accueillent jusqu'à 2h du matin ; de la rigueur de la sélection des films... Mais cela risque de virer d'une jalousie saine à un pur sentiment d'envie, autrement dit «el h'sed» ! S. H.