[email protected] Connaissant tout le mal que je pense d'un certain cheikh Karadhaoui, des lecteurs ont attiré mon attention sur le mandat d'arrêt qui vient d'être lancé contre lui par Interpol. Je les rassure tout de suite : même si j'ai semblé m'en désintéresser quelque temps, je garde toujours un œil sur le grand aumônier des Frères musulmans, avec une alerte Google qui lui est dédiée. Karadhaoui, tête d'affiche du casting d'Interpol, c'est un évènement qui mérite que l'on s'y arrête, mais juste pour un bref instant, pour rappeler simplement qu'il vient un peu tard, si ce n'est trop tard. Il faut rendre cette justice aux Egyptiens qui sont les premiers à avoir dénoncé les méfaits de leur ex-concitoyen, prêcheur attitré du qatarisme, dont le crédo est «j'achète!» Les nouvelles autorités du Caire, qui sont effectivement à la démocratie, ce que «Plum-Plum» est au parfum, pour paraphraser Halim Mokdad, ont au moins le mérite de ne pas faire dans la demi-mesure. Le mandat d'arrêt international lancé par Le Caire contre Karadhaoui est une riposte légitime et appropriée à la guerre théologique et idéologique conduite par les Frères musulmans. Et pour savoir quelle est la phase suprême de leur projet de gouvernement, il suffit d'observer les agissements de leur «Etat islamique» en Irak et en Syrie. Daesh, ce n'est pas une «sauce Karadhaoui» qui a mal tourné, mais une «sauce Karadhaoui» trop longtemps laissée sur le feu. Sentez donc cette odeur de brûlé autour de vous, autour de nous ! Ça sentait déjà le brûlé, lorsque Karadhaoui a suborné l'une de nos oies blanches, après l'avoir entraînée à lacérer l'un des siens, à lyncher un penseur de la trempe de Mohamed Arkoun. Il fallait appeler les pompiers quand une autre oie blanche, disciple du cheikh, a débité sa récitation sur le fait d'avoir combattu le diable et de l'avoir vaincu, rien qu'en se couvrant les cheveux. Le voile, pour cacher ces cheveux qu'ils ne sauraient voir, juste pour montrer que les cheikhs ont la situation et les femmes surtout bien en main. Ce voile qui est «l'obsession première du vécu et de la mentalité arabes», comme le souligne le Soudanais Haïdar Ibrahim Ali(1). «Ce n'est pas par hasard que la question du voile arrive en tête des sujets de fatwas, ajoute-t-il. Nous avons là des forces sociales conservatrices qui craignent les conséquences de la libération de la femme sur la société musulmane, et recourent à la religion pour stopper le changement. Le hidjab est donc fondamentalement un voile mental et psychologique qui contribue à entraver la femme en la maintenant hors de l'Histoire, et à consacrer la réalité de l'arriération. Le flux religieux conservateur a ainsi obtenu un succès patent puisqu'il n'est plus étonnant que des élues parlementaires islamistes votent contre des lois restreignant la polygamie.» Quant aux références religieuses, et en dehors de sa propre interprétation des versets coraniques, le courant islamiste s'appuie essentiellement sur un Hadith, sujet à caution. Dans ce Hadith rapporté par Abou Daoud, le Prophète s'adressant à Asma, la fille d'Abou Bakr, et en présence d'Aïcha, sa sœur, lui conseille en matière vestimentaire de ne montrer que son visage et ses poignets. En effet, le Hadith mentionne des gestes manuels du Prophète, montrant son visage et ses poignets, sans les citer expressément, ce qui n'est pas dans la tradition prophétique. Nombre de spécialistes remettent en cause sa véracité parce qu'il émane d'une seule source, Abou Daoud, et qu'il fait part d'une gestuelle qu'on ne peut prendre en considération sur un sujet aussi grave. Or, ce Hadith sur lequel la majorité des théologiens ont bâti leur corpus sur les habits et le comportement de la femme musulmane est considéré comme faible par Abou Daoud lui-même. Le rapporteur s'appuie, comme il le précise, sur le récit d'un certain Ibn Derrik, qui n'a jamais côtoyé, ni même rencontré Aïcha. Sans compter que l'imam Abou Daoud, qui a validé près de 5 000 Hadiths, est aussi controversé, pour une raison essentielle : il est né en 202 de l'Hégire, soit 191 ans après la mort du Prophète. Par conséquent, nombre de penseurs comme le Syrien Mohamed Chahrour ou l'Egyptien Djamal Al-Bana considèrent que sa compilation est très peu crédible. Pour Chahrour et Al-Bana, le voile tel qu'on se le représente aujourd'hui n'est pas arrivé avec l'Islam, mais lui est antérieur, puisque les femmes de la Djahilia le portaient déjà pour protéger leurs cheveux des rayons ardents du soleil. Quant au hidjab intégral ou niqab, tel que prôné par les fondamentalistes, il est une survivance des croyances zoroastriennes, pratiquant l'adoration du feu. Selon ces croyances, le souffle de la femme est impur, et il faut donc protéger le feu de la souillure en imposant un voile sur le nez et la bouche des femmes. S'agissant des versets, la seule référence du Coran au voile, c'est celle où il est recommandé aux femmes d'en recouvrir leurs poitrines, qu'elles découvraient assez largement, sans que cela ne prête à équivoque, ou ne donne lieu à émeutes(2). Pour Djamal Al-Bana, la seule référence du Coran au mot hidjab, c'est l'obligation d'établir un paravent, ou un rideau, pour se protéger du regard des étrangers. Comme on peut le constater, le débat sur le voile est loin d'être clos, et sa généralisation comme mode vestimentaire risque d'avoir des résultats contraires aux attentes des islamistes. D'ores et déjà, ils ont des réponses inattendues sur le terrain, avec ces jeunes filles voilées, aux messages clairs : «Puisque nos cheveux sont "awra" (partie honteuse), nous vous montrons plus...» A. H. (1) Sociologie de la fatwa – La femme et les arts comme modèles – Haïdar Ibrahim Ali – Editions Casbah – Octobre 2014. Merci à notre ami Nacer Bourenane qui m'a orienté vers ce livre. (2) À ce sujet, il y a une couverture de livre qui va certainement faire parler d'elle ces jours-ci chez les imams cathodiques, celle du livre de la moujdahida Zoulikha Bekkadour «Ils ont trahi notre combat». On y voit une reproduction du célèbre tableau de Delacroix, «La liberté guidant le peuple», la poitrine nue et arborant le drapeau algérien. On m'a raconté que certains acheteurs du livre avaient fait usage du feutre pour «maquiller» une poitrine jugée trop provocante. En attendant que d'aucuns aient aiguisé leurs fatwas.