Ce n'est pas nous qui le disons. C'est Reporters sans fronti�res une organisation non gouvernementale respect�e dans le monde entier, qui le proclame solennellement : "M. Hafnaoui Ghoul, journaliste alg�rien du quotidien El Youm , a �t� d�tenu pendant six mois pour "diffamation" pour avoir d�nonc� la corruption et les abus des autorit�s locales". Pour r�compenser sa probit� et sa bravoure, Reporters sans fronti�res vient de lui d�cerner le prix "Fondation de France 2004", une distinction qui honore en fait tous les correspondants de presse, ceux qui tissent, souvent dans des conditions extr�mement difficiles et loin des sunlights, la grande toile de l'information de proximit�. Ce prix est �galement � consid�rer comme un hommage posthume au regrett� Belierdouh, correspondant d' El Watan � T�bessa qui paya de sa vie son inlassable qu�te de v�rit� dans le t�n�breux et glauque labyrinthe des affaires louches et de la corruption. Le hasard a voulu que je rencontre Hafnaoui il y a quelques jours seulement dans les couloirs de la r�daction centrale du Soir d'Alg�rie, � Alger. Il �tait accompagn� d'un oncle de Mohammed Benchicou. Ghoul, qui ne savait pas encore qu'il allait recevoir cette haute distinction, �tait venu de Djelfa pour remercier la presse nationale, et particuli�rement le Soir, de l'avoir soutenu au cours de la p�nible �preuve qu'il vient de traverser. Il avait les larmes aux yeux lorsqu'il parlait. Emu et boulevers�, il voulait tout simplement dire "merci" � ceux qui, en fran�ais dans le texte et loin de Djelfa, ont port� le message de ce prisonnier pas comme les autres aux quatre coins du monde ; � ceux qui ont martel�, presque tous les jours, des mots d'espoir pour que la flamme port�e par Ghoul et Benchicou ne s'�teigne pas ; � ceux qui ont continu� de croire que le 8 avril, s'il a sanctionn� d�mocratiquement un vote, ne pouvait pas tuer le r�ve ! Hafnaoui parlait � Hakim La�lam dans un arabe exact et notre chroniqueur lui r�pondait dans un arabe tout autant ch�ti�. Hafnaoui disait � Hakim qu'il n'oubliera jamais les prises de position courageuses du Soir d'Alg�rie et Hakim r�pondait simplement que le courage et la bravoure �taient d'abord et avant tout la marque personnelle de ceux qui n'ont pas eu peur d'affronter les menaces et la prison pour mener jusqu'au bout leur mission d'�claireur de l'opinion publique, afin que la d�mocratie et la libert� ne restent pas de simples slogans dans notre pays ! Ghoul, les yeux braqu�s sur le plancher, le visage rougi jusqu'aux tempes, n'en pouvait manifestement plus de recevoir autant d'�loges, lui, l'enfant timide des hauts plateaux propuls� malgr� lui dans les hautes sph�res de la notori�t�. Dans un coin du bureau, l'oncle de Mohammed Benchicou qui avait les traits tir�s et semblait harass� par les efforts et les d�marches en vue d'obtenir la lib�ration de son neveu, rendait le m�me hommage au Soir d'Alg�rie pour le soutien apport� au c�l�bre prisonnier d'El- Harrach. Il me disait, avec les mots du cœur et la sinc�rit� du proche parent �prouv�, que la famille n'en pouvait plus, que la m�re, �g�e et malade, �tait au bord de la d�b�cle physique, que les enfants et l'�pouse �taient marqu�s � vie, que le d�tenu lui-m�me courait plusieurs risques sur le plan de la sant�. Que pouvais-je r�pondre ? Que peut dire le petit journaliste qui, depuis bient�t 35 ann�es, �crit et publie des articles lus par de petits �coliers et lyc�ens qui sont devenus ministres et ambassadeurs, directeurs et milliardaires, fonctionnaires et ch�meurs ? Ira-t- il jusqu'� dire � ces lecteurs devenus grands qu'ils ont tout perdu en grimpant dans la politique ou dans les affaires ? Se peut-il que tout le monde se taise, ait peur de dire la v�rit� ? Et vous qui d�fendez Mohammed Benchicou en priv�, en pensant qu'il est victime d'une cabale, pourquoi vous ne le dites pas � vos sup�rieurs ? Levez-vous, demandez la permission et dites ce que vous avez sur le cœur ? Non, vous ne pouvez pas : il y a le poste, les honneurs, les villas, les appartements, les euros et tout le reste… Au fond, des biens mat�riels, des privil�ges, des avantages ! Mais tout cela est �ph�m�re, bon sang ! Vivons-nous r�ellement dans la d�mocratie que leurs journaux vantent quotidiennement ? Cette justice qui alimente discours et �ditoriaux complaisants existe-t-elle r�ellement ? Se peut-il que le cœur de ceux qui dirigent soit aussi dess�ch� ? L'esprit de revanche a-t-il tu� chez eux la bont�, la g�n�rosit�, la solidarit� dont ils se pr�valaient il n'y a pas si longtemps ? Qui apportera des r�ponses claires � ces questions ? La presse, jadis aventure intellectuelle, est menac�e par l'argent et pratiquement tous les titres de ce que l'on appelait presse ind�pendante se sont rang�s dans la douce qui�tude du confort �ditorial qui ne leur fait courir aucun risque ! Que sont devenus les anciens r�volutionnaires, les trouble-f�tes, les pagsistes, les communistes, les socialistes, les militants du FLN ? Ainsi meurent les h�ros sur les terrains vagues de la d�loyaut�, aux aurores de cette Alg�rie nouvelle, plus capitaliste que le capitalisme et royaume des affairistes et des affaires ! Ainsi na�t une nouvelle colonie avec un drapeau lib�r� des couleurs �trang�res mais des pratiques qui n'ont rien � envier � ceux de la colonisation du 19�me si�cle ! Moretti et Club-des-Pins, paradis perdus des pieds-noirs, sont interdits aux indig�nes, soi-disant lib�r�s le 5 juillet 1962 ! Pour se baigner en �t�, l'Alg�rois doit aller jusqu'� Sidi Fredj, au-del� de cet "arc fertile" o� la nouvelle bourgeoisie a �lev� un haut rempart pour se cacher et dissimuler des exc�s qui arrivent, de temps � autre, � percer le mur du silence, d�versant sur les colonnes non complaisantes les flots fangeux et d�go�tants de la d�cadence et de la corruption ! Honte � vous ! Nourredine Na�t Mazi, ancien directeur du quotidien El Moudjahid et b�tisseur infatigable de ses infrastructures techniques, porteur des nobles id�aux de progr�s et de justice de la r�volution de Novembre, l'homme que j'ai connu droit et fier durant plus de vingt ann�es de travail � ses c�t�s, est rest� fid�le � lui-m�me ! Oui, ce directeur qui �tait affubl� de tous les qualificatifs — censeur, bourgeois, de droite, opportuniste —n'a pas vendu son �me ! Impassible t�moin des turpitudes des uns et des autres, il regarde, avec une pointe de d�dain, mais toujours avec la lucidit� du juste, les "changements" intervenus chez ceux qui lui donnaient, hier, des le�ons sur la lutte des classes ! Lui, qui compte les sous d'une retraite pas toujours au niveau des exigences de la vie d'aujourd'hui, poss�de ce que beaucoup n'arriveront jamais � avoir : la dignit� ! Combien sontils comme lui, ces anciens cadres de la Nation, jet�s dans les d�dales de l'oubli, eux qui ont �difi� ce pays et donn� � l'Alg�rie le rang de puissance r�gionale sous le r�gne de feu Boumediene ? Ils n'ont pas besoin d'argent ! Ils ont besoin de la reconnaissance de la Nation pour tout ce qu'ils ont fait, durant et apr�s la Guerre de Lib�ration. L'Alg�rie qui sait �lever des statues aux puissants du moment est-elle devenue si ingrate qu'elle ignore et d�daigne ses anciens serviteurs ? Pour ce qui me concerne, j'ai fait le minimum : rendre visite � ce grand b�tisseur de la presse alg�rienne, pour lui dire "merci" et l'inviter � un hommage que quelques anciens d' El Moudjahid comptent lui rendre bient�t ! J'aurais voulu revoir Kamel Belkacem, Bela�d Ahmed, et tant d'autres encore, pour leur faire part des m�mes sentiments, mais je n'ai pas eu de chance cette fois-ci et ce sera pour la prochaine. Par contre, mon ami et fr�re Zoubir Souissi m'a conduit chez un autre monument da la presse nationale, durement frapp� par la maladie, mais qui se bat courageusement, avec une hargne et une d�termination que je voudrais saluer ici. Il s'agit de notre ami Bachir Rezzoug, l'ancien directeur de ce grand quotidien militant appel� La R�publique d'Oran o� nous comptions de nombreux amis. Toujours fid�le � son poste, malgr� le mal qui l'emp�che de se donner � fond � sa passion, Bachir continue de nous �tonner avec de merveilleuses productions journalistiques dont la derni�re est une revue �conomique Investir qui n'a rien � envier aux plus hupp�es des productions internationales. Bon vent, Bachir, et courage! Sur les traces de Ghoul, le chemin des hommes dignes de ma profession m'a conduit chez les a�n�s, dans cet Alger infernal des bouchons et des tr�mies bourr�es de fum�e suffocante. Mais il y a tellement de belles choses � voir pour celui qui sait chasser les nuages de l'oubli et de la capitulation. M. F. P.S. : A Mohammed Benchicou : Le jour o� je quittais Alger, et sur la route, j'apprenais que tu as pu voir ton fils au tribunal. Grand moment d'�motion. On me l'a d�crit en d�tails et je n'ai pas pu emp�cher une larme d'�merger de je ne sais o�. Oui, les hommes pleurent parfois. Et, g�n�ralement, ils se cachent. J'ai tourn� la t�te vers la vitre de la voiture qui roulait � toute vitesse sous les cimes de Lalla Khedidja. Et j'ai cru voir la montagne pleurer…