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Carnet cubain d'un retour de mémoire
Un rêve éveillé (3e partie et fin)
Publié dans Le Soir d'Algérie le 30 - 12 - 2014


Par Abdelmadjid Kaouah
Rêve éveillé ou chant du cygne comme le cours de l'Histoire allait l'imposer ? Pour l'heure, le Festival mondial de la jeunesse et des étudiants, le XIe du nom accueilli par La Havane, avait les attraits de l'émerveillement pour nombre de jeunes du monde, surtout du Tiers, qui avaient peu de chances de voyager à l'étranger. Y compris pour nos jeunes, soumis comme le reste de la population à la fameuse et précieuse autorisation. En guise de respiration, on pouvait s'adresser à l'agence de voyage Nedjma qui offrait des ouvertures sur le monde.
Les rencontres internationales par le biais des organisations de jeunesse, telles que les jamborées pour les Scouts, permettaient des découvertes du monde et des échanges avec les jeunes du monde. Mais, il faut l'avouer, tout cela restait une goutte d'eau dans un océan de besoins... Mais je crois qu'à l'époque, ce n'était pas la priorité des préoccupations des jeunes. Réussir ses études, trouver un travail. Et faire une excursion à la mer avec les moyens du bord, c'était un must. Le pays était encore agréable à vivre. Chadli, qui succédera à Boumediène, supprimera cette autorisation de sortie (accordée à l'époque si je ne me trompe par les walis...) et gagnera en faveur pour cette mesure. Des familles prendront qui le bateau, qui l'avion, faisant le bonheur des commerçants de Marseille et de Damas... Mais ceci est une autre histoire. C'était juste pour mettre en exergue que le voyage vers Cuba avait aussi des attraits touristiques. Et quelle belle cité que La Havane. Les Nord- Américains, il faudrait dire la mafia, y avaient érigé leurs plus beaux palaces en connivence avec le dictateur en place, Batista.
Les milliardaires américains avaient fait construire de superbes villas sur le golfe des Caraïbes. Après le triomphe de la révolution cubaine, elles deviendront pour l'essentiel des écoles maternelles. J'ai vu de mes yeux sortir de ces belles demeures des multitudes d'enfants, portant les habits des Pionniers José Marti. Propagande, embrigadement ne manquent de crier les contempteurs. Ailleurs, on a vu les belles villas des colonisateurs passer aux mains de libérateurs attitrés et leurs affidés... Mais n'idéalisons pas, Cuba a dû connaître les méfaits des privilégiés. Comme elle a connu ceux et celles qui ne sont pas reconnus ou trouvés à leurs aises dans le socialisme cubains. Il y a assez de dissidents médiatisés pour le taire ou l'occulter. On les a entendus après les dernières annonces d'Obama à propos de Cuba. Il est vilipendé à son tour et accusé de servir la soupe aux Castro. Ils attendaient après le blocus la réédition réussie de l'invasion de Playa de Giron. Hélas, même l'Oncle Sam sait où sont ses intérêts. Entre les enragés anti-castristes de Miami qui veulent casser la baraque cubaine et les stratèges US, les vues divergent.
Obama est de ceux plus subtils qui veulent jouer la montre en tendant une main réaliste au pouvoir cubain et de l'autre faire accoucher une révolution orange à moyen ou long terme. Les Castro, comme les héros, sont fatigués. Et qui peut succéder un Castro ? La Havane, après le frère, un fils. Fidel en aurait plusieurs mais chacun a fait une carrière brillante en dehors de tout réflexe dynastique.
La fille de Raul, elle a trop à faire pour faire repousser dans l'île l'homophobie... Chaque chose à son heure. Donner du temps au temps, est une vieille médecine pour les Etats.
Un crocodile mental me pince. Revenons à ce fameux festival. Il faut peut-être le rappeler, ce festival est organisé par la Fédération mondiale de la jeunesse démocratique, la FMJD, et l'Union internationale des étudiants, et ce, depuis 1947. Nos aînés en lutte pour l'indépendance de l'Algérie prirent part à certaines éditions du Festival mondial. Dès 1953, à Bucarest, les représentants algériens déclaraient solennellement à la tribune du Festival : «Ouvriers, paysans, employés, étudiants, nous représentons absolument toutes les tendances, toutes les opinions et croyances de la jeunesse de notre pays.
Nous représentons l'Association des étudiants musulmans, les étudiants progressistes, les jeunes syndiqués à la CGT, les jeunes du Rassemblement de la jeunesse musulmane algérienne, l'organisation des Scouts musulmans algériens, l'Union de la jeunesse démocratique algérienne, etc.». Et cet etc. est explicité de belle manière : «tous ces jeunes luttant pour un objectif commun» à savoir, en ce mois de juillet 1953 (!) pour «dénoncer la triste situation faite à notre jeunesse par l'impérialisme français».
Voilà le mot est prononcé par des jeunes Algériens : l'impérialisme.
A La Havane, 24 ans plus tard, au soleil de l'indépendance, une nouvelle génération d'Algériens se déclarait présente. Avions-nous les mêmes contraintes historiques, les mêmes objectifs ? Je crains que nous étions très loin d'égaler nos aînés, leur hauteur de vue et leur capacité, dans leur diversité, voire leur adversité, de dépasser le sectarisme pour se fondre dans une unité d'action. J'ai découvert bien plus tard le document cité plus haut. C'est l'un des apports positifs de l'internet (les mystifications qu'il charrie par ailleurs restant en débat). C'est le regretté Mahfoud Kaddache, alors commissaire général des Scouts musulmans algériens et porte-parole de la délégation algérienne, qui fit le discours dont nous reprenons un extrait et qui fut publié par Alger Républicain le 31 juillet 153, titré : «Une des plus belles délégations de la jeunesse du monde : la délégation algérienne.» Nous devons cette remémoration édifiante au site de Jacques Tourtaux — et à la contribution de l'estimé Mohamed Rebah (auteur, notamment, Des chemins et des hommes, éditions Mille-feuilles, 209, Alger). Un livre dédié, selon la phrase de Pablo Neruda). «A la mémoire de ceux qui, au prix du sang et des larmes, ont renversé les murs du passé et ouvert les portes de l'Histoire».
Non, à La Havane, 1978, je n'ai pas rencontré Neruda. Et pour cause, le prix Nobel chilien 1973 était mort à la suite du coup d'Etat de Pinochet.
Mais à La Havane, il y avait le grand poète national cubain, Nicolás Guillén. Notre ami Arezki Métref, dans sa chronique «Ici mieux que là-bas» dédiée à la série de chroniques «Le mentir vrai», a évoqué cette rencontre avec le maître du Son. Je dois avoir encore dans ma forêt de papiers sauvés des brûlures du soleil et du froid, cet autographe apposé si gentiment par cet aristocratique métis.
La Havane ; c'est Djamel Alem, arrivant sans voix, mais le cœur battant délié et dédié à la fraternité cubaine. C'est Marcel Khalifa et son fils, ce surdoué de la musique, avec lequel je partage une mangue — bio avant l'heure — sur une rampe de collège cubain... La Havane 78, il n'y avait pas, hélas, les Beatles auxquels nous rendrions, à L'Unité, bien tardivement hommage, grâce à l'ami Fouad. Lequel dirigea avec une main de maître les suppléments préparatoires de L'Unité au Festival de La Havane auquel il ne demanda pas à prendre part en contre-partie...
Je ne savais point que ces Beatles pouvaient chanter «Working Class Heroes»...
La Havane 1978, c'était à Alger un nouveau gouvernement sous l'homme au burnous : il y avait à la manœuvre — bien tardive — les honorables Rédha Malek au ministère de la Culture, Mostéfa Lacheraf à l'Education nationale. En avant-première, en quelque sorte, Mostéfa Lacheraf nous avait donné un long entretien à L'Unité qu'il avait tenu à corriger de son propre crayon de cahier. Qui, soit dit en passant, nous avez mis en retard sur l'agenda de l'Imprimerie, dirigée, alors, par le compréhensif M. Hanoun...
Ce qui permit de retrouver à La Havane, le romancier Rachid Boudjedra, accrédité par les soins de M. Rédha Malek, l'auteur, notamment de L'empreinte des jours (Essais, Casbah Editions, 2013)
A ne pas oublier, l'aimable coordinateur du Comité international préparatoire du 78 : j'ai nommé : Alain Gresh qui m'offrit à La Havane, en 76, au cours d'un mémorable après-midi un café cubain... Oui, l'homme du Diplo, l'ardent défenseur des Palestiniens...
Et Yanaïev, président du COJ (Comité des organisations des jeunesses — soviétiques) et futur putschiste contre Gorbatchev. Bien plus tard, je me suis souvenu de lui, imposant et si poli (n'est-ce pas, mon respecté collègue B. Haïchour avec lequel je fus missionné au CIP, dont je me suis soudainement souvenu en écoutant Radio Moscou annonçant l'éviction de Gorbatchev ce suffocant mois d'août 1991 à Bachajarah) avec lequel, nous Algériens venus de loin, exposâmes la nouvelle tragédie maghrébine, celle des Sahraouis...
De retour au pays, nous découvrîmes une Algérie sans Boumediène... Au mois de septembre, au palais Zighoud-Youcef (là où siège le Sénat algérien), réunis en Conseil national de la jeunesse, nous demandâmes des nouvelles de Boumediène qui avait disparu des écrans et des ondes de la RTA. Et le Conseil national rédigea, en dépit du blocage des apparatchiks, une motion (sous la plume inspirée d'Ali Kechid, futur avocat et fils désintéressé de chahid) où il s'inquiétait de la santé du président de la République (car le tombeur de Ben Bella avait été élu président de la République, dans le sillage d'un référendum autour d'une charte nationale)... Rêve éveillé ou chant du cygne de retour de La Havane à Alger ? Se croyait-il immortel ? L'immortalité n'est pas de ce monde...
La postérité, si. Pour preuve, il vient de défrayer la chronique sur la Toile, à l'occasion du trente-sixième anniversaire de sa disparition. Sur Twitter, un Hastag vient de lui être dédié : #sidrejal qu'on pourrait traduire par «le meilleur d'entre tous»... Mais, une telle appréciation est loin, évidemment, de faire l'unanimité. Chaque Algérien a son Boumediène dans la tête. Les pauvres sans aucun doute le regrettent. L'histoire jugera.


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