Plus de deux ans après le premier tour de manivelle, le long-métrage «Krim Belkacem» de Ahmed Rachedi a été projeté en avant-première jeudi à la salle El Mouggar. Coécrit par le Commandant Azeddine, Boukhalfa Amazit et le réalisateur, ce film ne parvient à aucun moment à convaincre. En 2009, Ahmed Rachedi a déçu, voire indigné de nombreux cinéphiles avec «Mustapha Ben Boulaïd», un échec phénoménal où on ne trouvait nulle trace du talent de celui qui a réalisé «L'opium et le bâton». Cinq ans plus tard, on ne s'attendait pas à un chef-d'œuvre pour «Krim Belkacem» mais d'aucuns ont gagé qu'il ne saurait être pire que le précédent film. On s'est trompé ! Ce long-métrage de plus de deux heures est un amoncellement télévisuel où les personnages les plus marquants de l'histoire du mouvement national ont été réduits à de simples silhouettes sans charisme. Au-delà de la polémique provoquée au mi-tournage quant au choix d'arrêter la narration en 1962 et d'occulter ainsi le parcours militant de Krim Belkacem après l'indépendance jusqu'à son assassinat en Allemagne, la faille la plus importante de ce film est son incompréhensible pauvreté scénaristique et artistique. Produit par le ministère des Moudjahidine avec le soutien du Fdatic, «Krim Belkacem» résume à lui seul le drame du cinéma officiel, incapable de transcender la propagande et compulsivement attaché à une reproduction pavlovienne d'une Histoire déshumanisée. De 1947 à 1962, le parcours de celui qui fut l'un des tout premiers à entrer dans la clandestinité et à prendre les armes, est traité par Ahmed Rachedi comme une succession linéaire de dates et de lieux où les personnages sont moins mouvants que parlants, plus statuaires qu'humains. La narration semble être prise au premier degré puisque les faits historiques, passablement convertis en dialogues verbeux et pédagogiques, ne font que se superposer sans le moindre souci d'harmonie dramaturgique. Nous avons donc affaire à une démarche purement documentaire à peine saupoudrée de vernis fictionnel. Sami Allam, dans le rôle principal, ne parvient jamais à ne serait-ce que mimer le charisme de Krim Belkacem tant la construction du personnage correspond davantage à une structure scolaire et déclamatoire qu'à une composition cinématographique. L'homme, sans relief et sans consistance psychologique, traverse les scènes et ne les remplit que par d'abondantes tirades toutes faites avec, parfois, quelques surenchères théâtrales. Comme lui, l'ensemble des acteurs s'enlisent dans une interprétation tantôt plate, tantôt sur-jouée, à telle enseigne que les colonels Ouamrane (Ahmed Rezzag), les Larbi Ben M'hidi (Slimane Ben Ouari) et autre colonel Amirouche (Boualem Zeblah) sont d'une atrophie dramaturgique hallucinante. Quant aux faits, ils sont légion et semblent obéir à une volonté surlignée de prodiguer un cours d'histoire pour lequel le cinéma devient quasiment un prétexte : la fin de la Première Guerre mondiale où il revient à son village natal à Draâ El Mizan ; son engagement au sein du PPA où il ne tardera pas à se retirer au profit de l'action armée avant la lettre ; son ralliement au groupe des Six et son rôle prédominant dans le déclenchement de la Révolution ; sa légendaire opération «Oiseau bleu» et une paternité plus qu'exagérée du Congrès de la Soummam ; la création du CNRA et du CCE où les rapports avec Abane Ramdane deviennent de plus en plus tendus ; l'assassinat de celui-ci dont il ne nie pas être l'un des responsables ; la création du GPRA où il occupe le poste de ministre de la Défense et, enfin, sa participation active aux négociations d'Evian dont il fut le président de la délégation algérienne... Cette succession assez rigide de dates et d'événements est parsemée de très nombreuses scènes de bataille qui trahissent une ambition spectaculaire sans doute trop grande pour le savoir-faire des techniciens. Pis encore : l'utilisation injustifiée d'images d'archives grossièrement imbriquée avec les scènes du film, ajoute à la désharmonie générale. Rappelons, par ailleurs, qu'en 2011, le réalisateur a dénoncé dans la presse le blocage de son scénario et rendu publique la «recommandation» qui lui a été faite par le ministère des Moudjahidine de «réduire l'importance de Abane Ramdane» dans le film. Jeudi dernier, tout portait à croire qu'Ahmed Rachedi a fini par acquiescer puisque, par un tour de magie scénaristique, celui qu'on appelle le théoricien de la Révolution devient un personnage secondaire sans envergure même si le comédien Mustapha Laribi s'est remarquablement démené pour sauver la face. Quant au colonel Amirouche, dont on connaît aujourd'hui le génie militaire, il est réduit à un simple figurant ! Ahmed Rachedi commet les mêmes erreurs que dans «Ben Boulaïd» en ce sens qu'il maintient une distance infranchissable avec ses personnages et les confond avec le canevas éculé de la propagande étatique dans lequel ils sont enfermés depuis l'indépendance, et c'est ainsi que Krim et les autres nous demeurent aussi étrangers que l'improbable fantasme du héros divinisé et donc inhumain. Techniquement faible et émotionnellement désertique, le film souffre des mêmes tares que l'on peut reprocher à la langue de bois et finit par ressembler à tout ce qu'il y a de repoussant dans un film de commande : le manque de conviction et le prosaïsme formel.