Cinq écrivaines africaines ont animé une table ronde autour du thème «Ecritures féminines et émancipation en Afrique» à la Médina de Bamako. Venues du Mali, du Burkina Faso, du Cameroun et d'Algérie, les auteures ont abordé leurs expériences respectives qu'on peut qualifier sans doute d'engagées. Le concept d'écriture féminine reste tenace malgré son caractère réducteur décrié d'ailleurs par de nombreuses écrivaines. Les invitées de la Médina de Bamako ne sont pas forcément du même avis car, selon elles, tant que la condition de la femme demeure aussi préoccupante, écrire sur le sujet en tant que femme est quasiment un acte de résistance, voire un devoir. Leurs romans sont d'ailleurs tous centrés sur des personnages principaux féminins. Zihan, écrivaine burkinabaise, évoque en premier lieu le précieux héritage de Thomas Sankara, fervent défenseur des femmes, qui a enclenché une véritable politique pour la transformation des mentalités et la restauration de la dignité de ses concitoyennes. Selon elle, l'émancipation de la femme peut effectivement passer par l'écriture mais elle doit aussi concerner en priorité d'autres domaines tels que le travail et l'autonomie financière. La romancière rappelle, par ailleurs, que depuis 1975, année onusienne dédiée à la femme et les grands débats qu'elle a permis, la condition féminine africaine n'a pas connu de grandes évolutions notables : «Pourquoi on en parle encore après 40 ans ? A mon avis, pour que les choses s'améliorent, il faut apprendre à penser différemment». Revenant à la littérature, elle estime que l'écrivain y trouve un espace de liberté dont elle est privée dans la sphère publique et peut y dénoncer des problématiques typiques féminines. Cependant, elle souligne le fait que vu que les femmes ont pris le train de l'émancipation en retard à l'échelle de l'Histoire de l'humanité, «on ne cesse de nous demander de faire nos preuves, y compris dans le domaine littéraire, d'où la dénomination d'écriture féminine». Pour la Malienne Habi Bamba, qui s'est révoltée très jeune contre le mariage précoce et l'interruption de la scolarité des filles, l'écriture ne peut venir que d'une âme rebelle. Elle estime par ailleurs que la condition de la femme malienne commence à évoluer et elle en veut pour preuve la candidature inédite en 2013 d'une femme aux élections présidentielles. L'écrivaine camerounaise Amal Djaïli se sent résolument investie d'une mission : «Ecrire peut changer les choses. Poser le problème est un début de solution», d'autant plus, dit-elle, que la plupart des problématiques liées à la condition féminine telles que la polygamie, l'excision, le mariage forcé, demeurent taboues dans la société africaine. Auteure d'une trilogie théâtrale intitulée Comme une carpe, Randa El Kolli qui vit à Sétif estime que plus le temps passe, plus on s'attache aux traditions. «J'enseigne à l'université et dans mon amphi, il est rare de voir des jeunes filles non-voilées. Et ce voile est souvent imposé.» Concernant ses écrits, la thématique de la femme est aussi pour elle un prétexte pour aborder d'autres aspects de la société mais elle souligne que ses personnages sont, comme beaucoup de femmes algériennes, opprimés mais attachés aux valeurs qui les oppriment : «L'affranchissement, pour elles, devient un reniement.» La poétesse et essayiste malienne Fatoumata Keita témoigne sur le pouvoir concret de la littérature en évoquant plusieurs discussions avec ses lecteurs : «Aborder la polygamie, par exemple, peut changer la mentalité des hommes. Beaucoup de mes lecteurs sont venus me dire qu'ils n'ont jamais pensé que leurs épouses pouvaient souffrir autant de cette pratique.» Et de rappeler, sur un autre registre, que les femmes reproduisent et perpétuent souvent les instruments de leur propre soumission, elle évoque à ce titre le sondage qu'elle a réalisé à l'occasion de la candidature d'Aminata Diakité aux présidentielles et la réticence, voire l'hostilité, de la plupart des femmes interrogées. Les quatre écrivaines ont globalement jugé que pour l'heure, la littérature est avant tout un porte-parole de la cause des femmes mais elles ne se sentent pas pour autant cantonnées dans ces thématiques ni réduites à un style pamphlétaire puisqu'elles considèrent qu'au-delà du contenu engagé de leurs écrits, le travail sur la forme et l'esthétique n'est jamais négligé.