[email protected] Sauront-ils, pour une fois, faire preuve de décence en ne célébrant pas d'une manière tapageuse le premier anniversaire d'un mandat présidentiel dont le déroulement relève quotidiennement du scandale ? C'est qu'en plus du fait que les charges de sa fonction ne sont plus assumées, l'Etat se retrouve en proie aux manœuvres des clans qui se disputent les manettes de la décision. En termes de légitimité, le pouvoir algérien, tel qu'il est exercé par Bouteflika, depuis exactement 2009, est assurément dans la zone grise. Celle qui désigne les moments à partir desquels sa reconduction est assimilée à une quasi-imposture. Schématiquement d'ailleurs ce qu'a représenté le bouteflikisme entre 1999 et avril 2015 se résume à deux volets. Celui du messianisme débridé qui s'est déployé autour de la réconciliation et la concorde au cours des deux premiers mandats ; puis de désenchantement populaire qui, dès 2009, a poussé les gens à scruter avec beaucoup de doutes la face cachée du régime et ses accointances avec des réseaux maffieux nichés dans l'appareil de l'Etat. Et ce furent les cascades de révélations relatives aux affaires de corruption qui ont fini par doucher la confiance et les soutiens qu'un pouvoir pouvait attendre de l'opinion. Les handicaps de la maladie, ayant, à leur tour, réduit sa visibilité politique, il était dans l'ordre des choses et du bon sens qu'il prenne sa retraite en avril 2014. Coup de théâtre, son départ n'a pas eu lieu. De ce passage en force malgré les mises en garde, les Algériens retiendront le fait que leur pays allait entamer la pire traversée qu'elle ait connue depuis 1962. Celle de se retrouver sans mandataire auquel l'on demande des comptes et à qui est habituellement délégué le destin d'un pays, pour une période bien déterminée. Or, malgré l'ingéniosité des décideurs à l'origine d'un scénario aussi dangereux, celui-ci s'est révélé de moins en moins fiable au vu des fissures qui apparurent. Alors qu'ils tablaient sur la possibilité de traverser les cinq années d'un mandat avec un chef d'Etat quasi virtuel, ne se sont-ils pas vite aperçus que des «intérims» de ce genre sont ingérables jusqu'à leur terme. Autrement dit, comment ont-ils pu ignorer qu'il ne saurait y avoir de parenthèses dans l'exercice réel du pouvoir sans susciter de «vocation» à la succession ? C'est ainsi que tous les prétextes avancés, dès l'été 2013, pour assurer une continuité du régime a ouvert la faille vers... l'impasse. Car en lui fabricant un quatrième mandat, l'on avait, en vérité, transmis l'exercice des pouvoirs à une camarilla qui, de nos jours, a pris les rênes du pays. Interrogé à ce sujet, le commun des Algériens souligne avec colère cette politique du fait accompli. Il sait désormais que le destin de la communauté nationale se joue dans ces cercles agissant au nom de l'Etat. Aujourd'hui, que reste-t-il justement des enchères démagogiques de la fausse campagne présidentielle de l'an dernier ? Les inénarrables anecdotes peu ragoûtantes d'un Sellal, brocardant avec mépris les sceptiques ; et la vulgarité insultante d'un Benyounès, ont-elles fait élire un véritable président de la République ou, au contraire, ont-elles exacerbé la méfiance de la société ? Or, face à l'angoissante incertitude qui enserre, comme une chape de plomb, le pays, les discours soporifiques se font de plus en plus rares. Sellal, entre autres, se met en retrait au moment justement où les bruissements du palais donnent à penser que les discordes d'intérêts ont pris le pas sur l'impératif de la solidarité clanique. Autres signes révélateurs de l'absence soulignée d'une cohérence dans l'action gouvernementale est qu'elle semble échapper tout le temps à la coordination du premier des ministres. Les dispersions des parcelles d'autorité que s'octroient les ministres font qu'il est souvent difficile de deviner quelle est la vision globale du gouvernement et si, de surcroît, existe effectivement une feuille de route qui en fixe les étapes. Navigation à l'estime dans les rouages de l'Etat et «monarque» crépusculaire au sommet de la République : telle est la projection actuelle du pays. En se souciant peu de la longévité de son régime, puisque d'autres s'en chargent à merveille à sa place, Bouteflika ne dialogue désormais qu'avec la postérité historique. Après 16 années de pouvoir et à l'âge doublement canonique de 78 ans, il peut effectivement se convaincre qu'il est capable de se passer de toutes les contraignantes procédures de validation de sa présence à la tête de l'Etat. Même les futurs jugements de valeur sur la qualité de son interminable présidence ne le taraudent guère. Que les historiens dans le futur retiennent, à ses dépens, qu'il a construit un régime disqualifiant pour le multipartisme ne lui semblerait guère infamant dès l'instant où il n'avait eu de cesse de critiquer le caractère pagailleur de notre démocratie au rabais. En somme, l'Algérie des militaires et des «services» qui avaient fait appel, en 1999, à un homme dont ils nous disaient qu'il était «porteur d'une vision rénovée de l'Etat» se révèle, 16 années plus tard, n'être qu'un mandarin préoccupé par la seule perpétuité de son pouvoir. Une obsession qui fut d'ailleurs le moteur de la totalité de ses actes de chef d'Etat au point qu'il se tailla une Constitution à sa mesure tout en sachant qu'il commettait une grave entorse à l'esprit de la loi fondamentale. Pour preuve, l'on nous apprend qu'au crépuscule de sa carrière, il aurait consenti à revenir aux saines dispositions ayant prévalu jusqu'en 2009(1). Un mea culpa qui pourrait être retenu comme un acte d'accusation au terme de sa trajectoire. B. H. 1) Dans sa dernière livraison, l'hebdomadaire Jeune Afrique publiait quelques extraits du projet de la Constitution que Bouteflika a adressé au Parlement et au Conseil constitutionnel. En première mouture, la publication relève que la limitation des mandats et la fonction de chef du gouvernement pourraient se retrouver, à nouveau, dans la future loi fondamentale.