Par Boubakeur Hamidechi [email protected] Durant des mois, la ville a été mise à rude épreuve. Du décapage de la voierie des seules artères principales au ravalement des façades, n'a-t-elle pas été soumise à la thérapie d'un embellissement au forceps afin de transfigurer une curiosité de l'Histoire en réalité de nos jours ? Et c'est pour cette raison, d'ailleurs, que l'on ripolina à tort et à travers, sans le moindre souci des normes de chaque matériau, afin de donner du clinquant, cette mauvaise brillance, à des murs auparavant lépreux. Un spectacle quasi-babylonien d'une ville qui, au lieu de se reconstruire ou de se restaurer consciencieusement, se réinvente mensongèrement à coups de badigeonnages hâtifs. C'est ce désordre coûteux, orchestré il est vrai par l'octroi de gré à gré des marchés, qui n'a pas manqué d'amplifier les soupçons dans l'opinion locale. Ceux qui distillèrent des informations tout à fait plausibles sur la banalisation de la connivence entre les agents publics (élus et administrations) et les entreprises postulantes ont effectivement mis le doigt là où cela devint intolérable. Tant il est vrai que le moindre laxisme de l'Etat dans le domaine des règles et procédures contribue toujours à la promotion de l'affairisme véreux. Ce dernier devenant ainsi capable de faire main basse sur la ville. A-t-il été le cas de Constantine en la circonstance ? Probablement que tout n'a pas été conclu dans la rigidité des règles des marchés et qu'il y aurait beaucoup à révéler, dans un proche avenir, sur la qualité, voire l'opportunité de certains travaux programmés. Cela dit, l'on devine justement que c'était ce sujet-là qui, durant des semaines, avait alimenté la chronique des cafés de commerce. Une irritation collective sans grande conséquence sur le cheminement des travaux à accomplir avant l'échéance de ce 16 avril. Au final, le pari est réussi. Constantine s'est, en effet, réveillée jeudi dernier grimée comme une diva de scène. Grâce à cette magie visuelle, son rocher s'est offert un coup de jeune jusqu'à susciter une curiosité certaine de la part de la population. Il est vrai que les résidents d'ici ne diffèrent guère de ceux des autres contrées. Semblables, ils ont en eux bien plus des âmes de badauds à défaut de cultiver quelques inclinations pour la chose artistique. Un aspect qui s'est immédiatement manifesté la veille de la célébration, au moment où les maîtres d'œuvres dévoilèrent ce machin «toc» qui doit prétendre symboliser cette année culturelle arabe. Or, quand bien même l'on est obligé de pardonner à ce bricolage de ferronnerie de n'être pas une œuvre d'art peut-on, par contre, ne pas être outré par la représentation approximative de Ben Badis à travers ce statuaire ridicule dans ses proportions et vulgaire par son matériau ? Or, en dépit de ces bémols émanant de critiques d'arts occasionnels, la foule de badauds s'en enthousiasma au point de faire de l'agora en question le pôle de convergence où il est de bon goût de filmer avec son portable des «selfies» pour la postérité. Décidément, Constantine n'est pas à un paradoxe près. Car elle administre en permanence des démentis aux prétendues identités dont on l'a affublée selon les circonstances, ou l'alibi inavouable dont elle serait représentative. C'est que, l'on doit au populisme politique, mamelle historique de la course vers le pouvoir puis de sa conservation, ce recours aux spécificités locales afin d'en faire l'exutoire de la flatterie et de l'allégeance. Sauf que certaines destinations manifestent parfois quelques réticences à se prêter à ce genre de «confort» dans la réputation. Constantine partage avec d'autres villes cette forme de rébellion face aux pré- conçus des pouvoirs. Successivement qualifiée de «cité de rayonnement culturel arabe, un jour, puis de capitale religieuse un autre» et de temps à autre, repère emblématique de notre «berbérité» en référence à Massinissa, cette cité ne se reconnaîtra exclusivement dans aucune de ces identités. Ou plutôt les assumera dans leur totalité si tant est que la diversité dans ce registre constitue bien sa singularité. Toutes les fois donc où quelques rôles lui sont attribués ne souffre-t-elle pas des contre-vérités qui se cachent par devers les mises en scène ? Autant de raisons que dans ses murs, l'on devient soupçonneux dès que le lourd cérémonial se met en marche et qu'il consiste foncièrement à se maquiller au sens de se cacher. Voire à enjoliver au lieu de se montrer telle qu'elle est en elle-même. Les visites guidées et les itinéraires aseptisés, comme ceux de ce week-end auxquels furent conviés les diplomates arabes, n'ont-ils pas donné une image tronquée de ce qu'est cette ville dans la réalité de jours ordinaires ? A peine si ce terroir, retouché comme une photo, a-t-il évoqué la respiration réelle de ses habitants. Hélas, dans le registre du maquillage et du mensonge, Constantine est tenue désormais à faire la besogne comme ont dû être astreintes Tlemcen en 2011 et Alger en 2007. Dans ce domaine, la propagande officielle s'est très tôt initiée à l'invention d'un pays en trompe-l'œil. Un procédé inspiré de celui des fameux «villages de Potemkine» dans la Grande-Russie moyenâgeuse du XIXe siècle. Courtisan et amant de la tsarine Catherine, Potemkine faisait justement peindre d'immenses panneaux le long des itinéraires de l'impératrice. C'est ainsi que celle-ci communiait avec un faux peuple et des Moujiks dans des postures révérencieuses aux côtés de popes en extase au seuil de leurs églises. A l'identique de cette pratique, ne vient-on pas d'offrir à cette ville la même mise en scène ? Celle qu'elle doit assumer contractuellement durant 12 mois alors qu'elle s'interroge sur l'impact de cette comédie d'Etat en termes de possibilités futures. Elle qui a vieilli mal par la faute évidente des outrages du temps, mais aussi à travers l'agressivité incessante de la gabegie de l'Etat n'aurait-elle pas dû être épargnée de cette prestation trop politicienne pour être véritablement culturelle ?