Par Boubakeur Hamidechi [email protected] Comme pour se dédouaner de la forfaiture ayant profondément gangrené, jusqu'aux premières sphères des institutions, le pouvoir consent, de temps à autre, à l'organisation d'une messe des prétoires. Rendre justice à travers la mise en accusation de quelques seconds couteaux demeure sa méthode préférée. Et c'est justement dans ce «format» réducteur, si bien rôdé par la chancellerie lors du premier procès de Khalifa-Bank en 2007, que se déroule également celui des scandales de pots-de-vins dans l'affaire de l'autoroute. Cependant l'artifice, consistant à être sélectif au profit de la baronnie politique, est aisément contourné par une opinion sachant parfaitement décrypter les comptes rendus des audiences. Avec la perspicacité des joueurs du Monopoly, les lecteurs parviennent, en effet, à mettre les noms de personnalités influentes sous chaque taux des rétro-commissions empochées. Par exemple 25% pour le ministre de l'Autoroute en sa qualité de maître d'œuvre, alors qu'un tout petit 2% pour une «recommandation» était octroyé à cet ex-grand dignitaire qui ne fut qu'un facilitateur ! C'est que ce procès, attendu depuis cinq années au moins, concerne la dissipation de sommes astronomiques. L'un des accusés, présent dans le box, n'a-t-il pas affirmé à ce sujet, qu'il s'est agi au cours de l'enquête de réexaminer en priorité toutes les causes du surcoût. C'est-à-dire passer au peigne fin des expertises des justifications à l'origine d'un surenchérissement des travaux. En clair, il laissait entendre que l'on a fait également «joujou» avec la règle des avenants afin de dégager des profits indus. Or l'opacité dans ces procédures est-elle possible sans l'intervention ou du moins la complicité silencieuse de la baronnie susceptible à son tour de tirer quelques dividendes ? Certainement pas. D'où la question posée avec dérision par l'Algérien basique qui ne comprend pas qu'une aussi longue exploration des tenants et des aboutissants de ce dossier n'a pas donné lieu à un transfert d'une partie des actes d'accusation à la Haute Cour de justice de la République. C'est-à-dire à la juridiction idoine devant laquelle des ministres, entre autres, sont justiciables ! Mais, dira-t-on, depuis quand et sous quelle présidence a-t-on eu à juger un ministre algérien pour des conflits d'intérêts entre sa haute fonction et sa propre sphère privée ? Car, dans un système aussi parfaitement huilé que le nôtre, le «divorce à l'amiable», ou pour être précis «la répudiation» silencieuse, demeurent la règle d'or. Celles qui n'entachent guère les faux semblants sur lesquels il fonde sa légitimité et la prétendue éthique de l'Etat dont se gargarise sa communication. En somme, le refus systématique de recourir à l'arbitrage d'une véritable République des juges fonde implicitement la doctrine de l'actuel pouvoir. Au prétexte qu'il est, par lui-même et pour lui-même, en mesure de faire le ménage dans le «cheptel» politique à son service, a-t-il jamais admis qu'un procès de dignitaires se tienne en public ? Jamais envisageable, cette ouverture vers l'Etat de droit constitue effectivement, de son point de vue, une concession politique trop aléatoire pour ses propres intérêts. Celle de prendre le risque que les sacrifiés sur l'autel du clanisme en viennent à cracher publiquement dans la soupe du passé en révélant le côté scandaleux des pratiques oligarchiques du régime. La hantise de la dénonciation lorsque celle-ci profite de la solennité des tribunaux pour en faire une tribune d'aveux est révélatrice de la part obscure du pouvoir. Notamment lorsqu'il impose et s'impose de la prudence face à l'épidémie de la corruption. C'est que la raison d'Etat est devenue secondaire au fur et mesure que les scandales se révèlent. Reste alors la «raison impérative du clan». Ultime refuge d'où il est encore possible de gouverner. Le «clan» a justement connu un grand moment de notoriété publique et sans fard ! Chakib Khelil en avait été le briseur de tabou en février 2010. Devant un parterre de journalistes n'avait-il pas, en effet, nargué l'Algérie entière avec la fatuité qui est la sienne en anoblissant politiquement l'usage du vocable «clan» ! «Je ne me suis jamais senti visé dans cette affaire ni moi, ni le clan présidentiel», déclarait-il. Or, de par sa connotation fortement péjorative, dès lors que «l'affaire» en question traite, à la fois du bien public et des servitudes de l'Etat, l'auteur commet indéniablement un impair. D'ailleurs l'opinion, qui n'était pas aussi assoupie qu'il se disait, avait vite noté cet écart de langage tout à fait révélateur de tant de méfaits. C'est qu'à travers cet unique mot-sésame elle découvrit la nature de ce pouvoir. Rompue à la parodie des procès à «minima», elle a fini par ne s'y intéresser que de loin. Mais dans le même temps, elle s'est découvert une sorte de compétence de substitution en réinterprétant les audiences telles que rapportées par la presse. Un amusement qui consiste à combler en quelque sorte les omissions volontaires des noms de certains dignitaires. Cette baronnie de l'ombre qui prospère grâce aux pots-de-vins.