Le cycle «Algérie au cœur» se poursuit jusqu'au 28 mai à la Cinémathèque d'Alger Ibn Zeydoun et la villa Abdeltif. Dans le volet cinéma, une rétrospective fournie de deux réalisateurs algériens travaillant en France : Ali Ghanem et Samia Chala. Cette dernière a présenté samedi dernier le documentaire Les marcheurs (2013). Sorti à l'occasion du 30e anniversaire de la marche pour l'égalité, communément appelée «Marche des Beurs» qui a eu lieu en octobre 1983, Les marcheurs revient sur l'un des événements les plus marquants de l'histoire de l'immigration à travers les témoignages de ses acteurs principaux. Le film qui arbore une forme classique se concentre donc sur le récit des personnes interviewées, ponctué par des images d'archives. Foncièrement pédagogique, le documentaire reprend depuis la genèse jusqu'à l'apothéose parisienne l'histoire de ce groupe de jeunes qui ont décidé de marcher de Marseille à la capitale contre le racisme et notamment les crimes racistes perpétrés tour à tour par des individus proches de l'extrême droite et des éléments de la police française. Les intervenants expliquent que le climat fasciste qui s'installait en France après la fin des Trente Glorieuses (le boom économique) imposait déjà la nécessité d'une action en faveur du dialogue et de la diversité, mais ce sont les chiffres alarmants de la seule année 1983 (plus de cent crimes racistes) et la blessure par balle de Toumi Djaïda, un jeune homme de la Cité des Minguettes dans la banlieue lyonnaise, qui ont précipité l'organisation de la marche initiée par un groupe de jeunes de la première génération des enfants d'immigrés maghrébins. Au départ, ils étaient une dizaine à traverser les villes et villages du pays mais mille kilomètres plus tard, ils étaient plus de 100 000 à arpenter les pavés parisiens. L'euphorie ne durera cependant pas car la démarche s'est fait très vite récupérer par une espèce d'OPA orchestrée, selon les intervenants, par le mouvement associatif juif et le régime socialiste de François Mitterrand : «Le keffieh porté par les marcheurs a fait peur à certaines organisations juives qui y ont vu un signe d'antisémitisme. D'où la création de SOS Racisme qui a entièrement marginalisé le mouvement originel», dira l'un des acteurs de la marche. Le documentaire revient également sur l'effervescence culturelle qui a suivi dans la foulée : de Rachid Taha et son «rock arabe» aux sœurs Djura en passant par la romancière Farida Belghoul, également militante et initiatrice du mouvement «Convergences». L'héritage de ces actions est cependant quasi inexistant aujourd'hui chez les jeunes de banlieue, estime Azzouz Beggag, écrivain et ancien ministre : «Personne n'a entendu parler de la marche des Beurs.» D'autres iront plus loin, à l'instar de Djida Tazdaït qui souligne l'esprit républicain des militants de l'époque contrastant avec le repli identitaire qui caractérise les révoltes des banlieues aujourd'hui et la récupération islamiste dont elles ont fait l'objet. Samia Chala réussit à reconstituer, en images et en paroles, la totalité d'une époque qui a vu germer en France l'espoir d'une société multicolore et multiculturelle et a le mérite de transmettre aux spectateurs cette force de conviction inouïe qui a animé les activistes des années 1980 et à travers elle, redessiner les traits d'une France révolue où la société avait d'autres préoccupations que l'engouement consommateur et les futilités de la vie moderne. Les projections de la manifestation «Algérie au cœur» se poursuivent aujourd'hui à la Cinémathèque d'Alger avec Hors-la-loi de Rachid Bouchareb (15h) et Madame la France, ma mère et moi de Samia Chala (18h). Du côté de Dar Abdeltif, l'exposition collective qui réunit Kamel Yahiaoui, Mustapha Sedjal, Halida Boughriet, Rachid Nacib et Tarik Mesli, est visible jusqu'au 28 mai. Enfin, le théâtre de verdure Laâdi-Flici accueillera ce jeudi 28 mai à 20h un concert exceptionnel du groupe Debza.