L'émotion suscitée par «la prise» de Palmyre abandonnée aux mains ensanglantées de Daesh me rend sceptique. Carrefour commercial entre le Nord et le Sud, trait d'union culturel entre l'Ouest et l'Est, cette ville millénaire est, à juste titre, considérée comme un joyau inestimable de l'histoire de l'humanité. Située dans un espace devenu désertique, Palmyre détient cependant encore les clés du «chemin de Damas». Ce chemin, qui a vu défiler la gloire d'illustres civilisations, est aujourd'hui pavé de mauvaises intentions, semé d'embûches, d'obstacles et miné par une volonté perverse et destructrice. Témoignage vivant, les ruines ordonnées comme un livre ouvert nous offrent une lecture d'une histoire commune. Nous sommes au-delà d'une religion, des coutumes locales, des traditions étrangères. Palmyre, sentinelle silencieuse, veille depuis plus de 2 000 ans sur le passé, le présent et le futur. Balayée par le vent, inondée d'un soleil éclatant, Palmyre s'est offerte comme une promesse en accueillant les espoirs d'ethnies et de cultures diverses. Là, les routes se rejoignaient, encombrées de jour comme de nuit pour atteindre le cœur des hommes partis à la recherche du saint des saints. Murs d'enceintes protecteurs, âtres fumants, chaleureux, creuset alchimique. La Ville fait se rejoindre les pôles du monde antique. Des siècles après, qu'en reste-t-il ? Errante, solitaire, abandonnée, on pourrait croire qu'il ne s'agissait que d'un champ de ruines. Et ces ruines qui ont vaillamment résisté aux outrages du temps sont condamnées à disparaître sous les coups de massue de l'ignorance. Il semble évident que l'histoire dérange. Il faut donc la balayer, l'étouffer, et disperser ses cendres dans le néant afin de perdre à jamais les traces qui ont permis aux hommes de grandir et de bâtir des civilisations. Bayman, Ninive, Babylone, aujourd'hui Palmyre, doivent subir le même sort que Carthage qu'il «fallait détruire». L'islam, pourtant, a longtemps fait rêver et su s'imposer en créant, en libérant les énergies productives, en encourageant les arts et la culture, en permettant à chacun de pratiquer sa religion «sans aucune contrainte». N'est-il pas dit : «Dieu ne vous impose rien que vous ne puissiez supporter !» Que peut donc signifier cette dérive d'un groupe qui ose prétendre détenir les clés de la vérité révélée il y a quinze siècles au Prophète de l'islam ? Tout doit être rasé ! A la manière de ces hordes sauvages qui déferlaient sur le monde en empêchant l'herbe de repousser mais aussi les fleurs, les traditions, l'espoir... La Vie ! Oui, je suis sceptique lorsque je vois, j'entends dire que la représentation des formes humaines est un blasphème. Le talion biblique repoussé d'un geste péremptoire impose une loi devenue charia. En même temps que des statues sont détruites, aucun scrupule ne s'exprime ni ne vient troubler les gestes assassins qui mettent à mort des femmes, des enfants, des vieillards. Je suis sceptique lorsque on met en adéquation une logique irraisonnée. Une vie pour une vie ! Une mort contre une vie ! La mort rode, ricaneuse, hideuse pour emporter la vie dans le silence des tombeaux. Les monuments historiques, les tombeaux des Pharaons, les citadelles imprenables, les palais somptueux, tous édifiés de main d'homme, font peur aux individus qui croient en une destinée divine qu'ils préfabriquent dans des laboratoires clandestins et qui s'appliquent méticuleusement à détruire leur propre mémoire. Au nom de Dieu ! Au nom de Dieu ? L'islam vigoureux du VIIe siècle, l'islam rayonnant de l'Andalousie, l'islam fort de l'humilité des fidèles est devenu une grossière caricature. En prétendant avec insolence qu'ils défendent l'islam, ses valeurs, ses espoirs, les nouveaux «convertis à l'islamisme», pas à l'islam, montrent et démontrent la vanité indigne des hommes. A. F. [email protected]