L'heure des explications a sonné pour l'Afrique du Sud après l'aller-retour du Président soudanais Omar El-Béchir à Johannesburg pour le sommet de l'Union africaine au nez et à la barbe de la Cour pénale internationale (CPI) qui le recherche pour génocide au Darfour. D'ici la semaine prochaine, le gouvernement va devoir justifier pourquoi le dirigeant soudanais a pu quitter le pays lundi sans encombre qui plus est, depuis une base militaire. Le Président Béchir était pourtant frappé d'une interdiction de sortie du territoire obtenue la veille par une ONG sud-africaine qui avait saisi en urgence les tribunaux. Des médias sud-africains ont fait état de pressions sur les troupes sud-africaines de maintien de la paix présentes au Darfour pour forcer Pretoria à laisser partir leur président. Mais de l'avis de plusieurs analystes, l'Afrique du Sud, poids-lourd économique dont les rouages démocratiques fonctionnent bon gré mal gré, a délibérément choisi de ne pas arrêter M. Béchir pour rallier la fronde des dirigeants africains contre la CPI, critiquée pour ne s'en prendre qu'à des représentants du continent. «Nous allons attendre (...) que l'Etat explique pourquoi il n'a pas fait respecter l'ordre de la justice», a déclaré l'ONG qui avait saisi la justice, le Centre des litiges d'Afrique australe (SALC). «Nous envisageons sérieusement de poursuivre l'Etat pour entrave à la justice.» Muet pendant 48 heures, le gouvernement de Jacob Zuma a fait le gros dos et rompu le silence à l'heure où le Président Béchir était déjà rentré à Khartoum. Pretoria a affirmé sur un ton laconique vouloir se plier aux injonctions de la justice et livrer les explications demandées sous huitaine. Ce légalisme de façade ne devrait cependant tromper personne. «La décision de l'Afrique du Sud de ne pas arrêter El-Béchir amplifie les tensions qui fermentent depuis quelque temps déjà entre l'Union africaine et la CPI», a commenté Netsanet Belay, un responsable d'Amnesty International. «C'est d'autant plus décevant quand on connaît le rôle joué par l'Afrique du Sud lors de la création de la CPI (en 2002). Voilà que maintenant, ils ont manqué à leurs obligations. On espérait qu'ils prendraient le parti des victimes de la crise au Darfour. L'Afrique du Sud, en tant que pays ayant émergé d'un passé douloureux, est mieux placée que quiconque pour comprendre», a-t-il ajouté. «La décision du gouvernement sud-africain d'ignorer l'ordre du tribunal de ne pas laisser repartir le Président Omar El-Béchir est une entrave délibérée et préméditée à la justice», a estimé le constitutionnaliste sud-africain Pierre de Vos. Lundi, les dirigeants de l'ANC, le parti au pouvoir, ont tenté de se défausser en affirmant que formellement M. Béchir n'était pas l'hôte de l'Afrique du Sud mais de l'Union africaine, non membre de la CPI et libre d'inviter qui elle veut. En fait, l'Afrique du Sud a toujours refusé la perspective que le Président Béchir soit déféré aux juges de La Haye qui le recherchent pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l'humanité dans le conflit du Darfour. Mais jusqu'à présent, la diplomatie sud-africaine s'était gardé de toute confrontation directe avec la CPI, recommandant au dirigeant soudanais de rester chez lui, par exemple pour ne pas gâcher le Mondial-2010 de football. Elle a réaffirmé avec constance, en 2008 déjà, du temps du Président Thabo Mbeki, médiateur au Soudan, qu'une arrestation de M. Béchir nuirait à la paix au Soudan où le conflit au Darfour a fait plus de 300 000 morts et deux millions de déplacés. En outre, une partie de l'ANC s'est faite à l'idée que «beaucoup de pays africains trouvent que la CPI a une attitude biaisée vis-à-vis du continent», selon les termes d'un éditorial de The New Age, le quotidien proche du parti. Beaucoup de pays africains, mais pas tous : le Botswana a fait entendre sa différence mardi en déclarant dans un communiqué : «Nous sommes déçus que le Président El-Béchir ait évité une arrestation en écourtant sa venue et en fuyant, par peur d'être arrêté.»