La rumeur court depuis plusieurs semaines, ce qui n'est pas pour d�plaire � tout le monde et notamment � ceux qui s'impatientent dans les anti-chambres du pouvoir. Mais pour une fois, les bruits persistants et les conjectures n'ont pas pris leurs sources dans les r�dactions de journaux. Ils furent plut�t aliment�s par des petites formules assassines qui d�saccordent l'harmonie de fa�ade des premi�res sph�res. Le ministre des Finances, grand pourfendeur de la pi�tre gouvernance, ne serait pas, dit-on, le dernier � souhaiter un changement d'hommes et de perspective globale afin de donner de la coh�rence aux actes de l'Etat et de la coh�sion au sein de l'attelage. Certes il n'exprime pas son scepticisme sur le mode de la clart�, mais cela ne change gu�re le sens de ses propos et ce qu'il sugg�re � demi-mot. Ses diagnostics cinglants sur le d�sordre r�gentant l'utilisation de l'argent public sont suffisamment parlants pour identifier ceux qu'il vise. Ceux-l� vont de l'incurie de d�partements minist�riels qui dorment sur des projets budg�tis�s, jusqu'� la volatilit� des finances allou�es au titre des programmes locaux et qui ne g�n�rent que la petite rente. Il aura donc beau se d�fendre contre les interpr�tations obliques de ses propos et insister uniquement sur ses devoirs de scrupuleux gardien du veau d'or, il ne pourra pas cependant en att�nuer la cruaut� politique, ni exon�rer ceux qu'il d�signe. Apr�s toutes ces vol�es de bois vert, monsieur Ouyahia ne devrait plus dormir du sommeil du juste, lui qui d�couvre que celui qui si�ge � ses c�t�s au gouvernement a manqu� de retenue, de r�serve et m�me de charit� politique. Car quelle que soit la posture que l'argentier sera tenu d'adopter, il lui sera difficile de gommer le toll� qu'il a suscit� dans le microcosme. Quoi qu'il fasse, le malentendu avec son chef formel est sur la place publique accr�ditant toutes les sp�culations. M�me ceux qui sont charg�s de ramener � de modestes proportions cette cacophonie savent qu'elle ne sera pas sans cons�quences dans les rapports futurs au sein du gouvernement. En somme, le probl�me global de la gouvernance est � nouveau pos� et ne manquera pas d'interpeller d'une mani�re ou d'une autre le pr�sident de la R�publique. Autant �crire, que celui-ci ne peut pas se contenter de constater les d�g�ts ; et faire en sorte que les d�rapages de l'un et le mutisme narquois de l'autre sont de l'ordre de la coquetterie et des humeurs de caract�re sans grand pr�judice pour la conduite des affaires. D�j� qu'au tout d�but du mois de novembre 2004 une subtile passe d'armes a oppos� les deux hommes apr�s un vote censitaire � l'APN, relatif � certaines propositions de la loi de finances. Le financier ayant exprim� de l'amertume quant � cette introuvable majorit� parlementaire dont le chef du gouvernement �tait tenu de mobiliser pour faire passer ce texte. Un premier "couac" dans la coh�sion gouvernementale et les premiers signes d'une divergence plus grande qui ne manqueront pas par la suite de l�zarder une gouvernance et d'envisager l'invalidation d'un �quipage. Par ailleurs, certains commentateurs s'inscrivent contre la rumeur et ses bruissements attestant qu'aucun changement n'est pour le moment programm� dans l'agenda du pr�sident. Mettant en avant le "style" du chef de l'Etat qui privil�gie les d�cantations lentes en attribuant aux incompatibilit�s une vertu auto-r�gulatrice de l'action, ils concluent sur le statu quo actuel. L'assertion manque de s�rieux et cela pour un double motif. D'abord l'int�r�t qu'il y a � donner un coup d'acc�l�rateur � l'�conomie en p�riode d'aisance financi�re impossible � impulser avec un conglom�rat de commis tirant � "hue et � dia". Ensuite le souci du pr�sident de ne pas �tre absorb� par l'intendance afin de se consacrer aux chantiers de la refondation nationale : amnistie, r�vision constitutionnelle, etc. A ce propos, certains articles de presse ont mis innocemment en relief la raret� des conseils des ministres dans le bilan de l'ann�e �coul�e : huit au total. Inclination naturelle, c'est-�-dire un "style" qui le pousse � d�l�guer une pr�rogative constitutionnelle � son premier ministre dont l'arsenal en mati�re d'arbitrage est limit�. M�me si en 2004 les conseils de ministre ont connu une ponctualit� toute relative au pr�texte que nous �tions en saison de grandes manœuvres �lectorales, les ann�es pr�c�dentes n'en �taient pas plus riches. Avant Ouyahia, Smail Hamdani, puis Benbitour et Benflis connurent la m�me libert� "d'agir" reconnaissable au d�sint�ressement de la plus haute autorit�. Les affaires publiques �tant concentr�es dans le p�le secondaire de la chefferie, l'on ne pouvait que s'attendre � des parasitages lorsque l'on sait que les titulaires des grands minist�res prennent leurs feuilles de route ailleurs et en dehors des avis du premier ministre. Depuis la Constitution de 1989 et la mouture de 1996, le poste de chef de gouvernement a toujours constitu� une fausse cl� dans l'�difice de l'ex�cutif. Si�ge �jectable en p�riode de crise, il redevient parfois une sin�cure pour son titulaire dans les moments d'intenses implications du pr�sident. Mais il ne s'est jamais impos� comme un lieu g�om�trique r�el d'o� partent les initiatives et se con�oit une politique. Le caract�re hybride d'une telle chefferie dont les contours des pr�rogatives demeurent � ce jour ind�finissables r�sume parfaitement son extr�me fragilit�. En effet, de quelle influence peut se pr�valoir l'imp�trant issu d'un courant politique minoritaire d�sign� � la t�te d'une coalition dont les deux tiers n'appartiennent pas � sa famille ? N'est-ce pas actuellement le cas du cabinet Ouyahia qui, au nom d'une majorit� pr�sidentielle, joue au cocher de substitution ? Certes le chef de l'Etat, d�positaire de pouvoirs �tendus, est en droit de faire les choix qui l'agr�ent mais encore faut-il qu'au-del� de leurs singularit�s, il impose � tous un minimum de solidarit� et les m�mes lunettes pour appliquer son programme. Parmi tous les moyens � sa disposition, il y a l'in�vitable conclave � r�unir plus souvent pour anticiper sur les approches et rapprocher les points de vue. Ces conseils de ministres, importants moments de d�bat interne, servent �galement � donner � la fonction de premier ministre la primaut� qui lui fait tant d�faut l�galement. Le franc parler de Benachenhou prend � revers non seulement le maquillage habituel des bilans mais aussi les faux semblants propres au monde politique. � contrario, cette hygi�ne contre la langue de bois se paye du prix d'une crise gouvernementale. En balayant les soporifiques d�clarations de ses pairs avec des propos peu engageants, il met de son c�t� tous les rieurs que compte l'opinion, mais aussi dans la g�ne les bons samaritains uniquement dou�s pour la bonne parole et les tonitruantes promesses. Mais son coup de canif aux tacites us des gouvernances n'en fait pas pour autant de lui un dissident ni m�me un �lectron libre. Ce financier qui avance avec des gros sabots parle assur�ment avec l'aval de quelques mentors. En crevant des abc�s qui l'exc�dent, il compte sensibiliser le chef de l'Etat � la n�cessit� de certains r�am�nagements. Pour r�sumer sa d�marche, disons qu'il fait n�cessairement œuvre de politicien sous le label de l'orthodoxe technocrate. Il fournit au moulin du pouvoir le grain � moudre de l'argent public comme un raccourci � tous les d�saccords qu'il assume. Que ceux-l� soient de l'ordre des incompatibilit�s personnelles ou qu'ils traduisent des positions de principe importe moins que la probl�matique centrale de l'�difice gouvernemental. Le profond malaise qu'inspire � chaque fois les calculs � l'origine des nominations ne s'est pas estomp� en d�pit des �poques et des mandats. L'on a souvent cit� avec regret cette propension du pluralisme partisan � ne se battre que pour arracher des quoteparts de maroquins et aux pouvoirs en cons�quence � aller au-devant de ces d�sirs pour le tenir en laisse. Certains analystes pointus se sont � leur tour amus�s � �valuer, en termes de trajectoires universitaires et de travaux acad�miques, les profils de nos ministres. Ils conclurent que la filiation partisane a �t� plus d�terminante dans la carri�re que la comp�tence. �videmment, ils n'ont pas manqu� de donner en exemple quelques-uns d'entre eux et m�me de dauber sur la promotion d'un pr�dicateur-exorciste au poste tr�s technique de ministre de la p�che. Au nom donc des promesses d'all�geances en p�riode �lectorale, le pays a d�couvert le plus d�testable des marchandages : celui de sacrifier au client�lisme politique, les comp�tences sans apparentement. Ce mode distributif inaugur� avec le multipartisme n'aura finalement servi ni les libert�s publiques ni la conduite du char de l'Etat. B�n�ficiant d'un contexte favorable et fort de la pl�nitude de ses pr�rogatives, Bouteflika a aujourd'hui la capacit� de soustraire la gouvernance aux sollicitations et � lui insuffler la culture de la performance et uniquement celle-ci. Car la critique au fleuret mouchet� � laquelle s'est pr�t� l'argentier n'est pas un avatar inh�rent � toute dynamique d'une gestion mais le signe avant-coureur des pannes � venir. Le caract�re composite des approches qui se basculent � l'int�rieur du gouvernement n'est pas le moindre des d�fauts d'une m�canique d�j� obsol�te Il est notoire qu'un gouvernement privil�giant � l'exc�s le "panachage" transpartisan finit toujours par n'�tre qu'une escouade faite de bric et de broc. Et c'est de cela qu'il s'agit aujourd'hui. La rumeur aura beau �tre d�mentie � partir des tribunes officielles, il restera quand m�me dans l'opinion un sentiment de g�chis et une attente insatisfaite. Les plaintes de Benachenhou ne sont pas des mea culpa personnels mais presque des proc�s d'intention. Et mieux encore, un acte d'accusation � l'encontre des modalit�s � l'origine de l'incomp�tence plac�e aux manettes des affaires publiques. Ce ministre de plein exercice dont on s'efforcera de qualifier d'impair son parler vrai vient de contribuer � rendre vains tous les rabibochages coutumiers sauf � l'accuser � son tour de "travail fractionnel" et de sourcier de la cacophonie. Alors ce sera � lui de remettre son tablier et au pays � s'installer dans une autre fatalit� : celle d'admettre que nos dirigeants ne savent pas ce que "changer" veut dire. B. H.