Par Ahmed Tessa Comme de coutume, cette rentrée scolaire 2017-2018 résonne des voix des gardiens du temple wahhabiste. Elles s'élèvent avec virulence dans les colonnes de journaux et de télévisions-relais. Dans leur bréviaire «sacré» fait d'insultes à peine voilées, d'accusations et de procès «en sorcellerie», ils s'essayent à faire barrage à la modernisation de l'école algérienne. Au mot d'ordre fédérateur du ministère, à savoir réhabiliter la pédagogie et lutter contre le phénomène de redoublement/déperdition, ces voix préfèrent l'écran de fumée. Nos gardiens du temple wahhabiste veulent éloigner l'opinion publique des véritables enjeux que doit négocier notre système scolaire et notre société. Ils n'ont rien trouvé de mieux que de dénoncer l'absence, dans certains manuels scolaires, de la formule sacrée écrite en arabe (la «bismallah» ou au nom de Dieu le Miséricordieux). Pas un seul mot critique – en bien ou en mal — sur les contenus de ces manuels, sur les conditions de vie des enfants des régions enclavées des Hauts-Plateaux, du Sud ou des montagnes du nord du pays. Aucune suggestion ou proposition pour éradiquer la misère scolaire qui frappe ces zones et ces enfants. Pas un mot sur le taux effarant de redoublement en 1re année d'université ou sur le choix de la filière charia demandé par près de la moitié des bacheliers – et ce, au moment où nous manquons cruellement de scientifiques et de mathématiciens. La liste est longue des déficits que connaît, depuis de longues années, l'école algérienne et qui n'ont pas l'air d'alerter leur conscience. Carences cernées et listées par la Conférence nationale d'évaluation de la réforme organisée en juillet 2016. Cela se comprend. Il est vrai qu'ils veulent que soit maintenue, pour toujours, l'indigence du volume horaire des langues étrangères et de tamazight – à défaut de les voir supprimées de l'emploi du temps de nos élèves. Ne se sont-ils pas (ces gardiens du temple wahhabiste) de tout temps insurgés contre l'éducation artistique, la pratique sportive pour les filles ? Il est vrai qu'ils n'ont jamais élevé la voix pour revendiquer des espaces d'épanouissement psychoaffectif pour les activités périscolaires – ô combien vitales pour l'équilibre de nos enfants ! Ont-ils un jour demandé à ce que soit modernisée la méthode d'enseignement de la langue arabe et que son volume horaire soit en phase avec la norme internationale ? Jamais ils n'ont remis en cause le surdosage horaire de cette discipline scolaire au primaire où son volume horaire hebdomadaire est le triple de cette norme. Un surdosage qui ne motive pas l'élève et qui induit automatiquement une diminution du volume horaire des mathématiques, de l'éducation scientifique, de tamazight, du français, de l'EPS ou de l'éducation artistique. Et cela dure depuis plus de trois décennies – malgré les efforts de redressement en cours. Non ! Cela ne les fait même pas sourciller. Pas un mot positif sur la volonté du ministère de revaloriser le référent culturel algérien, et ce, en familiarisant nos élèves avec les auteurs du patrimoine littéraire national (en arabe, tamazight et français) et universel. Des auteurs, jusque-là exclus des manuels pour des générations d'élèves : exclusion jamais dénoncée par nos wahhabistes. Pas un mot sur l'élaboration d'un plan national de formation en direction des enseignants, notamment les nouvelles recrues. Pas un mot sur les modalités de recrutement en externe appliquées depuis plus de dix ans et qui tirent le niveau vers le bas. Rien de rien sur le bradage des anciens ITE dès l'an 2000 et que l'actuelle équipe du MEN tente de récupérer avec plus ou moins de succès. Se sont-ils inquiétés de l'apartheid linguistique qui se traduit par l'exclusion d'une certaine catégorie de bacheliers des filières universitaires médicales et scientifiques enseignées en français ? Peu leur importe ce drame vécu dans le silence de ces familles, pauvres pour la plupart. Eux, leurs enfants, ils les ont scolarisés dans des écoles et lycées privés – voire au lycée français Alexandre-Dumas de Ben Aknoun. Pourquoi ces voix sont-elles restées inaudibles devant l'effacement de tout un pan de l'Histoire d'Algérie – la période des rois amazighs, de saint Augustin, de la Kahina, de Koceilah, Yughurtha... ? Selon eux, cette Histoire d'Algérie – la vraie en réalité – appartient à la Jahilia et n'a pas lieu d'être enseignée aux enfants d'Algérie. N'a-t-on pas vu des thèses universitaires dédiées à cette période refusées à des étudiants ? Se taire et encourager la pédagogie de la haine de soi : voilà à quoi se résume le programme idéologique des wahhabistes algériens. Pour eux, une priorité : la falsification de l'Histoire et la suppression des us et coutumes de nos terroirs algériens. Ils s'évertuent à nous fabriquer une autre identité importée des dunes et tentes d'un désert d'Asie. Il y a pire que l'extermination physique d'un peuple ou d'une communauté : cela s'appelle génocide culturel. On y est presque dedans, pauvres de nous autres ! En réalité, derrière l'argument de la formule sacrée se cachent les vrais mobiles de leur colère. Oui, ce qui les irrite au plus haut point est que le ministère soit décidé à effacer ces lacunes et, surtout, donner le cap de la qualité à une école algérienne enfin réconciliée avec son algérianité – avec notamment la multiplication des classes de tamazight en dehors de la Kabylie. Là, ils crient au complot ourdi par «l'Occident mécréant». Un Occident tout juste bon pour les affaires, les loisirs épicuriens, les achats «made in» et les études de leur progéniture. Où étaient ces voix quand la «bismalla» ne figurait dans aucun manuel scolaire algérien ? Absence qui a duré des décennies, et ce, du temps où eux et leurs confrères wahhabistes étaient aux commandes du secteur et orientaient idéologiquement les contenus des manuels scolaires (décennies mi-1970, 1980, 1990). C'était le temps où on apprenait à nos enfants à laver un mort, à connaître les atrocités du châtiment de la tombe, etc. Des contenus archaïques en droite ligne du discours scolaire wahhabiste qui a fait des émules en Afganistan, au Pakistan et ailleurs. Nous connaissons l'impact de cet endoctrinement. Et il risque de continuer si l'Etat n'intervient pas énergiquement. Pour rappel, la «bismalla» sacrée n'a été introduite dans les disciplines scolaires profanes que depuis l'officialisation du wahhabisme algérien – début 1990 – avec ses partis politiques, ses journaux et, maintenant, ses télévisions : des vecteurs de propagande puissants. Tous frappés du sceau de leurs parrains saoudiens ou qataris – c'est selon. Et tout cela, au vu et au su des autorités politiques, hélas ! Hypocrisie bêlante Autre domaine où leur hypocrisie saute aux yeux, c'est le zèle médiatique avec lequel ils font la promotion des écoles wahhabistes. Pour attirer la clientèle, ils les appellent écoles coraniques. Or, il s'agit là d'un concept (les écoles coraniques) valable du temps de la colonisation mais plus maintenant puisque l'éducation islamique est au programme dans les écoles de la République, du préscolaire à la fin du lycée. Pas un jour ne passe sans que leurs télévisions-relais fassent la promotion de telle ou telle école wahhabiste. Ont-ils mis leurs enfants dans ces écoles ? Bien sûr que non ! Elles sont destinées aux enfants issus de familles pauvres afin de les éloigner de l'école de la République diabolisée pour l'occasion. Il s'agit là d'un système éducatif parallèle qui nous mènera inéluctablement vers une talibanisation des esprits. Ces talebs (élèves) wahhabisés, une fois devenus adultes, constitueront leurs fidèles ambassadeurs en charge de la propagation de leur idéologie. Qu'on se rappelle la police des mœurs et de la vertu, très active en Arabie Saoudite. Plus ces écoles wahhabistes sont nombreuses, mieux c'est ! Ainsi s'explique ce zèle à financer et à médiatiser ce type d'établissement. Ces derniers sont sujets à questionnement : la place de tout enfant algérien n'est-elle pas sur les bancs d'une école de la République — et pas ailleurs ? Il est vrai que le détournement des lois est un sport populaire. On a eu l'occasion de suivre des reportages sur ces écoles wahhabistes installées un peu partout en Algérie. Face à la caméra, des encadreurs détaillent le programme pédagogique : fiqh, mémorisation du Sain Coran, explication des hadiths (allez savoir s'ils sont authentiques !) et apprentissage de la langue arabe. Que peut comprendre un enfant de six ans ou de dix ans dans un texte rédigé dans une langue savante et qui fait l'objet d'interprétations diverses et parfois contradictoires ? C'est là qu'intervient la spécificité de cette pédagogie wahhabiste : ancrer dans les esprits vierges leur idéologie en l'habillant du Saint Coran. A titre de rappel, le wahhabisme n'est pas une école reconnue par les vrais oulémas musulmans. Au pays qui l'a vu naître, cette idéologie s'appuie sur des hadiths et des légendes pour régenter la société, la souder au monarque régnant. Les pèlerinages à profusion (hadj, omra) sont l'occasion rêvé pour propager à moindres frais leurs idées, lors de halaqate bien ciblées, organisées à l'intérieur des mosquées saoudiennes. Chez nous, et en renfort de cet endoctrinement via leurs écoles, ils insistent auprès de leurs adeptes sur l'obligation de respecter un certains nombre de codes. Ainsi le qamis aux lieu et place de la gandoura maghrébine, le hidjab ou niqab pour supplanter le vêtement moderne et l'habit traditionnel, les moustaches à raser de près. Même nos morts doivent être enterrés selon leur propre rituel : celui importé du désert de l'Arabie Saoudite, lequel se justifie par la chaleur excessive. La déclamation de la «bismalla» entre dans cette pédagogie du matraquage idéologique. En principe, en tant que formule sacrée, elle a sa place dans un texte, un événement religieux ou dans un espace sacré (la mosquée, le mausolée). Mais pas dans un contexte profane, un livre de physique, de sciences ou autres. Et bien non ! il faut l'appliquer au même titre que le qamis ou le niqab : partout, y compris dans des endroits insolites. N'a-t-on pas vu des élèves rappelés à l'ordre parce qu'ils n'ont pas précédé leur réponse, verbale ou écrite, de la «bismalla» ? Et que dire de ces footballeurs algériens à qui on conseille d'exhiber, de façon ostentatoire, leur religiosité linguistique, malgré le fait qu'ils soient loin de cet état d'esprit ? Et dans nos souks, marchés et magasins où des commerçants, des maquignons vous «font la peau», vous arnaquent après vous avoir débité la formule sacrée ? Pour mieux vous endormir et ne pas sentir la douleur de l'arnaque. Et ces entreprises commerciales qui vantent et vendent leurs produits en utilisant des versets du Saint Coran ; à l'exemple des sonneries des téléphones portables et autres gadgets. Les wahhabistes veulent que leur «sacré à eux» régente la vie des citoyens, à la seconde près, avec pour seul objectif : les éloigner des préoccupations et des plaisirs du quotidien. Les aveugler devant les choses qui font vivre le monde : les sciences, les arts, la culture en général. La machine de l'hypocrisie wahhabiste n'a pas de limites. Ainsi face au drame des enfants yéménites qu'ils bombardent chaque jour, ils répondent par l'envoi de convois d'aide alimentaire et médicale. Autre preuve d'opportunisme hypocrite : le drame vécu depuis de nombreuses années par les Rohingyas ciblés par la barbarie des dictateurs birmans. Les wahhabistes finiront par se solidariser avec eux en... 2017. Alors que la presse occidentale a révélé cette barbarie de la junte birmane en 2012, au moins. Il est important de signaler que leur pédagogie du dressage idéologique anesthésie l'esprit créatif de ses victimes. Tuer l'esprit créatif et l'esprit critique chez nos enfants revient à étouffer dans l'œuf leur intelligence. De la sorte, ils deviendront de bons soldats de la cause wahhabiste : aveugles et sourds aux élans de vie dont Dieu le Créateur les a dotés dès leur naissance. Cette hargne à dénoncer, gratuitement et avec virulence, la gestion de l'école algérienne est le signe révélateur que le fonds de commerce wahhabiste commence à s'effriter. Mais il reste solide sur les bases de ce qu'ils ont semé depuis leur officialisation. Toutefois, un paramètre de la psychologie humaine échappe aux idéologues et pédagogues wahhabistes : trop de sacré tue le sacré. A. T.