Par Ahmed Tessa, pédagogue «Et cette instabilité chronique ne cessera que le jour où il sera octroyé au secteur de l'éducation le statut de ministère de souveraineté à l'instar de la Défense nationale. L'école n'est-elle pas aussi une question de sécurité nationale ? Celle du génie créateur d'un peuple.» Voilà de nouveau notre école face aux démons de la déstabilisation. Chauffés à blanc par différents réseaux de communication — et pas seulement les réseaux sociaux —, des lycéens sont sortis dans la rue. Avant d'aller au fond du problème que pose cette dernière manifestation de rue, il y a lieu de relativiser l'ampleur du mouvement. Sur les 28 000 établissements scolaires que compte le pays, seule une poignée de lycées a été touchée par cette grogne, heureusement vite maîtrisée. Enigmatique constat : ils sont tous situés dans les quartiers huppés des chefs-lieux de six ou sept wilayas — là où certains médias intéressés ont plus de possibilités pour l'amplifier. Par bien des côtés, le professionnalisme en moins, ce traitement médiatique nous rappelle les agissements de la chaîne TV qatarie, Al Jazeera, et des chaînes sionistes lors des «printemps arabes». En effet, quelques jours avant cette protesta juvénile, un hystérique président d'une association de parents d'élèves — un chouchou des chaînes TV privées, sous le coup d'une enquête judiciaire — a donné le coup d'envoi du scénario sur le mode Al Jazeera & consorts. Le micro et l'oreille bien tendus du journaliste l'ont encouragé à reprendre, toute voix hurlante, le mot d'ordre de ses verts parrains politiques embusqués au Parlement. Avec un rictus et un regard enfiévré de haine, il hurle : «Ce n'est pas juste de toucher aux vacances des élèves. Nous demandons le départ de cette ministre.» A la virgule près, la demande est exactement celle de ses parrains formulée cycliquement depuis deux ans à partir des travées du Parlement. Bizarre que des manifestants (ou des agitateurs infiltrés) l'aient reprise à tue-tête sous forme de slogan ! Bizarre, cette facilité à offrir à des personnes profanes, motivées par l'idéologie de l'exclusion, le traitement médiatique de questions de spécialistes et chauffer ainsi la galerie ! Bizarre cette propension à inviter des enfants, briefés comme des automates, pour s'exprimer sur ces mêmes sujets ! Pourtant, notre pays regorge de chercheurs et de compétences en la matière. Ils sont dans nos laboratoires de recherche en sciences humaines ou à la retraite. Il est vrai qu'ils n'agréent pas les canons de l'audimat à tout prix. Ils n'entrent pas dans leur grille «spécial-RHB» de la désinformation/pollution des esprits. La cinquième colonne version Fethullen Gullen, le wahhabiste turc, aurait-elle pris pied dans notre pays ? Des médias très actifs, des partis wahhabistes très riches, des établissements scolaires privés et les colossales fortunes de l'informel sont des indices à ne pas négliger. Ce sont là les rouages de l'empire «à la Gullen» qui fonctionnent à l'unisson. La politique de l'autruche est mortelle dans ce cas de figure. Le fruit risque de tomber dans l'escarcelle de l'empereur du «printemps arabe». Ce dernier élargira son empire à cette terre qui a vu naître l'une des rares guerres de libération anticoloniale. Quel beau trophée à son vert palmarès — déjà amoché par les Egyptiens, les Tunisiens et les Syriens ! Pourquoi avoir attendu cette date — trois mois, soit la veille des vacances — alors que le calendrier scolaire a été porté à la connaissance de tout un chacun dès le 15 septembre 2016 ? Troublant comportement : depuis cette date, les soi-disant opposants (pas les élèves) ont observé un silence radio des plus troublants, même la privation de leçons, conséquences des grèves, ne les a pas fait bouger. Ce timing ne répondrait-il pas à un choix programmé par les chefs d'orchestre de cette machination ? Ils sont naïfs ceux qui prétendent que ce n'est là qu'un «chahut de gamins» heurtés dans leur désir de se reposer «après un long trimestre». L'école algérienne est la seule au monde à dispenser un total de 24 à 28 semaines de leçons à ses élèves, alors que partout ailleurs, la norme internationale est respectée (entre 36 et 38 semaines). Le bachelier algérien arrive à l'université avec une perte d'environ 2 années de cours cumulée sur toute sa scolarité. Ne voilà-t-il pas que des esprits bienveillants, soucieux de la santé mentale et de la réussite des enfants d'Algérie, trouvent anormal d'offrir aux élèves du pays, via le calendrier scolaire 2016/17, au moins 32 semaines pleines de leçons ? La prime à la paresse est-elle devenue une valeur typiquement algérienne ? A ceux qui doutent de la «main intérieure», il y a lieu de rappeler que l'école est le secteur qui obsède le plus les partis wahhabbistes. L'un de leur chef est allé jusqu'à annoncer (en septembre 2016) l'installation, au sein de son parti, d'une commission de «spécialistes» pour passer au peigne fin les nouveaux programmes d'enseignement : une initiative à laquelle il n'a jamais pensé auparavant. C'est dire ! Depuis 1962, les wahhabistes algériens ont rêvé de diriger le ministère de l'Education nationale. Leur appétit s'est décuplé depuis que leur mouvance a fini par se constituer en partis politiques. Peut-on oublier que durant la décennie noire, deux de leurs mentors emblématiques ont expressément demandé au pouvoir de leur céder le poste ministériel en charge de l'école ? Ce rêve hégémonique n'a pas disparu de leur esprit. Il figure dans leur priorité, nonobstant le fait que le secteur soit gangrené depuis les années 1980 par leur idéologie wahhabiste, essaimée qu'elle est dans les programmes, les méthodes d'enseignement et les manuels scolaires. La liste est longue des idées wahhabistes distillées à des générations d'élèves : histoire du pays tronquée et truquée, nos origines rattachées à un mythique désert asiatique, ostracisme du référent culturel algérien, ignorance par les élèves de nos écrivains, dévalorisation du rôle de la femme, les supplices de la tombe, comment laver un mort, la «touwba» (le repentir) à des enfants du cycle primaire, l'intolérance à l'égard des autres religions, voire des autres langues, etc. Le relais médiatique de ce président d'association de parents d'élèves sera assuré — toujours sur les mêmes chaînes privées. En effet, les propos coordonnés de ce député membre d'un parti wahhabiste et d'un responsable syndical nous renseignent sur d'éventuels indices d'une forte implication (peut-être indirecte) dans une danse du fou pyromane jouant au pompier. A les entendre larmoyer sur les dangers encourus par la paix civile et la sécurité publique, on devine aisément leur message. D'abord, ils ont été déstabilisés par la promptitude mise par les autorités à arrêter le mouvement de protestation qu'ils souhaitaient voir se durcir. Ensuite, ils lancent une menace, à peine voilée, suggérant qu'ils ont ce secteur entre les mains et qu'ils peuvent activer à tout moment leurs troupes pour des manifestations de rue... par les élèves. Et de se laver les mains puisque ce sont les élèves qui manifestent. Les risques de dérapage, l'intrusion de casseurs à la solde comme c'est le cas lors de ces dernières manifestations, les heurts avec les forces de l'ordre ne les émeuvent nullement. C'est l'un de leurs objectifs pour mieux discréditer la puissance publique et ainsi forcer la main au pouvoir pour qu'il accède à leur désir : à savoir arrêter cette marche en avant vers la modernisation de l'école algérienne. Ici un rappel utile : depuis mai 2014, et encore davantage depuis la Conférence nationale d'évaluation de juillet 2015, la stridence de leurs cris de guerre, les bruits de leurs slogans déchirent, de façon cyclique, les parois du Parlement et investissent les plateaux et les colonnes de médias acquis à leur cause. Leurs porte-parole sont devenus des habitués de ces médias/complices qu'ils squattent à chaque fois qu'ils sentent le vent favorable. Les maux qui les rongent et les font gesticuler sont ces recommandations de cette Conférence nationale d'évaluation de juillet 2015, à laquelle ils ont participé en force. En vain ! Leurs idées archaïques n'y avaient pas triomphé et ces recommandations de portée considérable allaient être traduites sur le terrain de façon progressive, dès l'année scolaire 2016/17. Quelles sont ces mesures qui suscitent tant de haine ? Comment agir pour que notre école retrouve cette stabilité indispensable à sa survie et à sa modernisation ? Une école mise en danger par une prise d'otages à caractère idéologique constitue le plus grave menace pour un pays. Pire qu'une catastrophe naturelle ! Sus à la médiocrité Si les trompettes de l'indignation n'ont pas touché le secteur de l'éducation avant 2014, les raisons sont simples : en marche depuis de longues décennies, la wahhabisation de l'école algérienne —l'arabisation n'étant en fin de compte qu'un prétexte — n'était pas en danger dans ses fondements. Avant cette date, les gardiens du temple des constantes wahhabistes (et non nationales) n'ont jamais éprouvé le besoin de crier au «loup de la modernisation», synonyme de la fin de leur fonds de commerce qu'est la médiocrité érigée en culture. Avant cette date et depuis des décennies, tout baignait dans l'huile. Conçus et élaborés par leurs ouailles, les programmes et les méthodes d'enseignement ainsi que les manuels scolaires propageaient leur message moyenâgeux à merveille (voir la liste sommaire ci-dessus). Pas la peine de s'inquiéter outre mesure. Vigilants, leurs pions sont placés à tous les échelons de la hiérarchie. Rien ne bougeait. Même la réforme lancée en 2003 n'a pas dérangé l'immobilisme programmatico-idéologique, en place depuis l'éviction de Mostefa Lacheraf. Quand on sait que toute politique éducative ne déroule ses impacts que sur le moyen et long termes, nous avons dans notre société de ce début de IIIe millénaire, bien achalandés tous les fruits escomptés par les gardiens du temple wahhabiste. En veux-tu, en voilà ! Des charlatans qui officialisent et popularisent la rokia (envoûtement) et empruntent à la religion des noms sacrés qu'ils accolent à leur marchandise ou à leur commerce. Des clients et des journalistes hypnotisés par leur message moyenâgeux. Tous ces «envoûtés» et «rokistes» ont fréquenté les écoles et l'université (et oui !) du pays natal où leur a été servi à profusion le «lait» nourricier du sectarisme culturel/cultuel et du rejet de la pensée logique. Que dire de ces enseignants qui font l'apologie du radicalisme et de la haine des langues, excepté celle qu'ils sacralisent. On a même vu des enseignants qui grignotent sur leur temps de travail en classe pour obliger leurs élèves à faire la prière. Et ces commerçants de cours payants qui escamotent les leçons en classe, du primaire au lycée, afin de motiver leurs élèves à venir acheter leur marchandise (les séances payantes). Ils pullulent y compris dans les quartiers populaires arguant que cet argent est «halal». Des comportements en droite ligne du formatage dont ils ont été victimes leur scolarité durant. Des comportements malheureusement approuvés et salués par des verts partis politiques et des verts médias privés. La coupe étant pleine de dysfonctionnements et de dérives, il fallait rompre avec les facteurs pathogènes qui mènent inéluctablement à la destruction du lien socio-culturel national. Ce sursaut — diagnostic et remèdes — a été clairement exprimé par les recommandations de la Conférence nationale d'évaluation de la réforme organisée en juillet 2015. Une conférence placée sous le haut patronage du Président de la République et rehaussée par la présence du Premier ministre. En urgence et sans état d'âme, l'Etat algérien doit encourager l'école algérienne à renouer avec les normes internationales de fonctionnement et d'organisation : méthode d'enseignement, rythmes scolaires, contenus des programmes... Qu'elle réhabilite les référents culturels, historiques et linguistiques de notre pays — en un mot l'algérianité/maghrébinité — dans les manuels scolaires et les programmes d'enseignement. Qu'elle ouvre l'horizon intellectuel et linguistique de nos enfants pour tendre vers l'universalité et le vivre-ensemble. Qu'elle les initie à la pensée et au raisonnement logiques dès le primaire. Bref, tout une stratégie à moyen et long termes, seule à même de permettre à notre pays de coller au train du développement dans un monde sans pitié pour les nations faibles. Mais ces chantiers sont de véritables travaux d'Hercule qui nécessitent vision prospective, professionnalisme et surtout volonté politique. Que faire ? Pour les besoins de notre article, nous passerons en revue quelques mesures d'ordre pédagogique recommandées par la Conférence nationale d'évaluation de la réforme : celles qui ont déclenché l'ire des partisans du statu quo. En réalité ce sont les objectifs visés par ces mesures qui ont mis en colère les gardiens du temple wahhabiste. Ils ont senti la fin proche de leur marque de fabrique : le formatage des esprits. N'est-ce pas que leur logiciel éducatif se caractérise par la systématisation de la pratique par l'élève du parcoeurisme (ou bourrage de crâne) ? Or, les nouveaux programmes ne s'appuient pas sur la mémorisation à outrance. Ils privilégient le développement, chez l'élève, de la pensée logique et des fonctions intellectuelles supérieures telles que l'analyse, la synthèse et l'esprit critique. Un sacrilège ! Le programme d'éducation islamique se propose de gommer les mauvaises interprétations charlatanesques véhiculées depuis des lustres. Ce toilettage validé par le ministère des Affaires religieuses leur a déplu. Même la réhabilitation du patrimoine littéraire national n'a pas échappé à leur colère. Ils ont vu d'un mauvais œil la présence de textes d'auteurs algériens, et ce, dans les trois langues pratiquées par nos hommes de lettres (arabe, tamazight et français). Est-il concevable que des géants de la littérature algérienne célébrés à l'étranger soient inconnus de nos élèves ? Une anthologie scolaire de textes littéraires vient d'être élaborée par le MEN, en collaboration avec le ministère de la Culture. En mettant en avant la littérature comme art et non comme vecteur de propagande, il est mis fin, là aussi, à cet autre fonds de commerce qu'est le texte idéologisé et souvent fabriqué. Par ailleurs, une convention signée entre ces deux ministères porte l'espoir d'une libération de l'élève algérien du carcan scolaire et de la dictature des disciplines à connotation intellectuelles, manipulables à souhait. Le théâtre à l'école en tant que moyen pédagogique et la lecture/plaisir pour booster la pratique des langues donneront à l'élève algérien toute liberté pour s'épanouir et exprimer librement ses talents. Deux expériences-pilotes (à Laghouat et Constantine) ont démontré la valeur éducative de ces deux activités. Les élèves de la trentaine d'établissements concernés ont été enthousiasmés par les diverses activités proposées — la minute/livre — la phrase du jour — la traduction de textes lus, en tant que voyage d'une langue à une autre (arabe, tamazight et français) — le conte imaginé et puis joué — les résumés illustrés par leurs soins sur le cahier magique (pour le primaire) ou sur le cahier de création littéraire (pour le collège), les ateliers du mardi après-midi — la collecte et la transcription du patrimoine oral de sa région...). Non, ces innovations ne sont pas les bienvenues pour les partisans de l'immobilisme. Elles signifient la mort programmée de leur empreinte idéologique sur l'école. Certes, tout n'est pas rose dans notre paysage scolaire, loin s'en faut. Mais une chose est certaine, le démarrage est activé qui doit mener l'école algérienne vers cette école de qualité rêvée par les parents. Une école qui ne saurait tourner le dos aux normes internationales et aux progrès des sciences de l'éducation. Toutefois, des points noirs persistent qui perturbent l'épanouissement et le «mieux-vivre scolaire» de nos élèves. Nous citerons l'indéboulonnable système d'évaluation par les notes/sanctions et les examens/tombola hérités de la France jacobine du XIXe siècle. La minorisation de l'EPS et de l'éducation artistique, deux bêtes noires des intégristes catholiques que la vieille France nous a léguées. Du travail, il en reste et des plus ardus. Tout comme demeureront présentes les tentatives de déstabilisation de l'école par ceux qui jurent de la ramener au Moyen-Âge. L'instabilité chronique de l'école algérienne ne cessera que le jour où il sera octroyé au secteur de l'éducation le statut de ministère de souveraineté, à l'instar de la Défense nationale. L'école n'est-elle pas aussi une question de sécurité nationale ? Celle du génie créateur d'un peuple.