Liban: 29 personnes tombent en martyres dans une frappe de l'armée sioniste sur Beyrouth (nouveau bilan)    Sétif: signature de 7 conventions entre NESDA et la direction de la formation professionnelle    Canoë - Kayak et Para-Canoë/Championnats arabes 2024: l'Algérie sacrée championne, devant l'Egypte et la Tunisie    Athlétisme / 10 km de la Saint-Nicolas : Victoire de l'Algérien Saïd Ameri    Le Général d'Armée Saïd Chanegriha en visite officielle à l'Etat du Koweït    Ouverture de la 70e session de l'AP-OTAN à Montréal avec la participation du Conseil de la nation    Loi de Finances 2025: promouvoir l'économie nationale et améliorer le cadre de vie du citoyen    Travaux publics: coup d'envoi du 20e SITP avec la participation de 232 exposants    Le président de la République préside une réunion du Conseil des ministres    Borrell appelle les Etats membres de l'UE à appliquer la décision de la CPI à l'encontre de responsables sionistes    Rencontre entre les ministres de l'Education nationale et des Sports en prévision du Championnat national scolaire des sports collectifs    Examens de fin d'année session 2024 : début des inscriptions mardi    Mandats d'arrêt contre deux responsables sionistes: la Bolivie appelle à l'application de la décision de la CPI    Journée d'étude à Alger sur l'entrepreneuriat en milieu universitaire    Génocide en Palestine occupée : L'OCI salue les mandats d'arrêt de la CPI contre deux responsables de l'entité sioniste    L »importance de la stabilité des marchés pétroliers et énergétiques soulignée    Les cours du pétrole en hausse    Les six nations qui n'iront pas à la CAN-2025    CAN féminine 2024 : L'Algérie dans un groupe difficile en compagnie de la Tunisie    Le huis clos pour l'ASK, l'USMAn, le CRT, et le SCM    Foot/Jeux Africains militaires-2024: l'équipe nationale remporte la médaille d'or en battant le Cameroun 1-0    Les pratiques frauduleuses de certaines marques de charcuterie dévoilées    Le procureur de la Cour pénale internationale exhorte tous les pays à coopérer sur les mandats d'arrêt    La Chine exprime son soutien au mandat d'arrêt contre Netanyahou et Gallant    Conférence sur l'importance de l'expertise scientifique    Arrestation de deux individus pour trafic de drogue dure    Les auteurs du cambriolage d'une maison arrêtés    Timimoun commémore le 67e anniversaire    Générale du spectacle «Tahaggart… l'Epopée des sables»    Irrésistible tentation de la «carotte-hameçon» fixée au bout de la langue perche de la francophonie (V)    Tunisie: ouverture des Journées Théâtrales de Carthage    Tlemcen: deux artistes d'Algérie et du Pakistan lauréats du concours international de la miniature et de l'enluminure    Nâama: colloque sur "Le rôle des institutions spécialisées dans la promotion de la langue arabe"    Le président de la République préside la cérémonie de prestation de serment de la nouvelle Directrice exécutive du Secrétariat continental du MAEP    L'ANP est intransigeante !    Les ministres nommés ont pris leurs fonctions    L'Algérie happée par le maelström malien    Un jour ou l'autre.    En Algérie, la Cour constitutionnelle double, sans convaincre, le nombre de votants à la présidentielle    Tunisie. Une élection sans opposition pour Kaïs Saïed    Algérie : l'inquiétant fossé entre le régime et la population    BOUSBAA بوصبع : VICTIME OU COUPABLE ?    Des casernes au parlement : Naviguer les difficiles chemins de la gouvernance civile en Algérie    Les larmes de Imane    Algérie assoiffée : Une nation riche en pétrole, perdue dans le désert de ses priorités    Prise de Position : Solidarité avec l'entraîneur Belmadi malgré l'échec    Suite à la rumeur faisant état de 5 décès pour manque d'oxygène: L'EHU dément et installe une cellule de crise    Pôle urbain Ahmed Zabana: Ouverture prochaine d'une classe pour enfants trisomiques    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



La dernière nuit du Raïs de Yasmina Khadra
Un roman sur Kadhafi très attendu
Publié dans Le Soir d'Algérie le 24 - 08 - 2015


Par Zineddine Sekfali
Selon plusieurs médias français, la prochaine rentrée littéraire sera marquée en France par le nouveau roman de Yasmina Khadra, intitulé La dernière nuit du Raïs.
Ce roman que je n'ai pas lu, parce qu'il n'est pas encore sur les étals des librairies d'Alger, mais dont les médias ont révélé sinon le contenu du moins la trame générale, est, au-delà du talent littéraire confirmé de son auteur, prometteur à un triple point de vue. D'abord, l'auteur innove en présentant, sous une forme romancée, la vie d'un despote que nous croyions bien connaître, mais à propos duquel nous avons découvert, stupéfaits, ces trois dernières années, des choses à peine croyables.
Or, il semble que ce livre contienne d'autres révélations surprenantes, des scoops sur l'homme Mouamar Kadhafi, sur sa jeunesse, sur le coup d'Etat militaire qu'il a fomenté alors qu'il n'était que lieutenant contre un vieux monarque et une monarchie moyenâgeuse, immobile et renfermée sur elle-même. On espère aussi y trouver quelque explication logique à la longévité de ce raïs resté au pouvoir durant trois décennies, sur les hauts et les bas de sa «gouvernance», sur les faits et gestes de cet homme d'Etat si peu commun, sur ses esclandres hors normes et totalement décalés par rapport aux us et coutumes diplomatiques, sur ses accointances avec des mouvements interlopes et des mouvances déviantes, ainsi que sur ses conceptions politiques dont le moins qu'on puisse dire est qu'elles étaient bien originales. Du même coup, ce roman fait prendre à son lecteur conscience de l'existence de l'épais halo de mystère qui entoure toute dictature, depuis sa naissance, en passant par son institutionnalisation constitutionnelle ou sa consécration par le recours au scrutin universel, jusqu'à sa chute et sa disparition dans des conditions généralement sanglantes. On constate en effet qu'en général, les dictatures s'installent et disparaissent, en respectant un certain «parallélisme des formes». Tout le monde connaît ces adages : celui qui prend le pouvoir par la force de la baïonnette, le quittera par la force de la baïonnette, et celui qui gouvernera par l'épée mourra par l'épée... Ce roman, et c'est là sa seconde particularité, a le grand mérite de briser un inexplicable tabou culturel. Yasmina Khadra a en effet osé, ce qui pour d'autres est un blasphème inexpiable, faire parler en le présentant comme un autocrate violent, un ancien chef d'Etat qui a péri dans des conditions particulièrement dramatiques. En terre d'islam en effet, une tradition, au demeurant discutable, veut ou plus exactement exige que l'on respecte le «wali el amr», en toutes circonstances. Lorsque celui-ci meurt de mort violente, il est très rare qu'on s'attarde sur les circonstances et les détails précis de sa mise à mort. Est-ce par pudeur, par crainte de la mort, ou pour d'autres raisons ? N'est-ce pas parce que «toute vérité n'est pas bonne à dire» ? C'est possible, mais on ne peut rien affirmer. Sur ce chapitre, les hommes du culte se montrent les plus réservés, doutant de l'utilité qu'il y aurait à rapporter dans le détail, ce genre d'événements sanglants. Pour illustrer cette réserve des religieux, rappelons qu'il est encore recommandé aux croyants de ne pas insister sur le fait, pourtant historiquement vérifié, que trois des quatre califes orthodoxes sont morts assassinés. Omar fut tué en 644 à Médine, à l'intérieur d'une mosquée, Athman a été massacré en 656 par une foule en furie, à proximité d'une mosquée de Médine, et Ali a péri en 661 dans un guet-apens qui lui avait été tendu à Koufa.
Il importe par ailleurs de remarquer que dans le roman La dernière nuit du Raïs, le narrateur et le personnage ne forment qu'une seule et même personne.
Le «je» du narrateur est dans le même temps, d'une part celui de Yasmina Khadra, intellectuel algérien, et d'autre part celui de Mouamar Kadhafi, ancien autocrate libyen. La voix d'outre-tombe que l'on entend est donc une voix double. Dans ce roman, Yasmina Khadra, à l'instar d'un comédien de haut niveau du théâtre ou du cinéma, s'est entièrement glissé dans le corps et l'esprit d'une personne qui a réellement existé. Grâce à cette usurpation d'identité qui n'est bien sûr qu'une fiction romanesque, Khadra a tenté de comprendre la psychologie du personnage du roman en question, d'analyser sa pensée, sa manière d'agir et de réagir dans la vie quotidienne privée et publique, tout en dévoilant ses faiblesses, ses défauts et ses vices. Tel était Kadhafi. Telle la compréhension de l'écrivain narrateur, de la personnalité aux multiples facettes du raïs Kadhafi. C'est dire que le roman de Yasmina Khadra est attendu en Algérie, avec beaucoup d'impatience par ceux qui l'apprécient pour son courage, son talent, son style, son écriture et son esprit créatif. Mais il est, hélas, aussi attendu par ceux qui se sont mis dans la tête que Mouamar Kadhafi est un héros et un martyr. Ceux-là sont en train de fourbir leurs réquisitoires et leurs anathèmes contre l'écrivain.
C'est qu'ils adorent les autodafés et se réjouiraient de clouer au pilori tout écrivain qui pense autrement qu'eux. Assurément, ces procureurs et inquisiteurs seraient mieux inspirés, s'ils sont réellement convaincus de la justesse de la cause qu'ils défendent, de prendre leurs plumes et d'entreprendre la rédaction de la biographie de leur champion. On n'en est pas à une biographie apologétique et à des écrits dithyrambiques, sur tel ou tel «grand» de ce monde. Les lecteurs d'abord, l'Histoire ensuite, les jugeront !
J'ai trouvé dans un journal littéraire électronique, ces belles phrases extraites des Dernière nuit du Raïs : «Quand J'étais enfant, il arrivait à mon oncle maternel de m'emmener dans le désert. Pour lui, plus qu'un retour aux sources, cette excursion était une ablution de l'esprit. J'étais trop jeune pour comprendre ce qu'il cherchait à m'inculquer, mais j'adorais l'écouter. Mon oncle était un poète sans gloire et sans prétention, un bédouin pathétique d'humilité qui ne demandait qu'à dresser sa tente à l'ombre d'un rocher et tendre l'oreille au vent surfant sur le sable, aussi furtif qu'une ombre. Il possédait un magnifique cheval bai, deux sloughis alertes, un vieux fusil avec lequel il chassait le mouflon, et savait mieux que personne piéger la gerboise, prisée pour ses vertus médicinales, ainsi que le fouette-queue, qu'il revendait au souk, empaillé et verni. Lorsque tombait la nuit, il allumait un feu de camp et, après un repas sommaire et un verre de thé trop sucré, il se laissait absorber par ses rêveries. Le regarder communier avec le silence et la nudité des regs, c'était pour moi un instant de grâce.» Il est évident que celui qui «parle» ici, c'est plus l'intellectuel et l'artiste Mohamed Moulessehoul dit Yasmina Khadra, natif du Sud algérien, que l'ex-Raïs de la défunte Jamahiriya libyenne. Par contre, dans les courtes phrases ci-après : «Longtemps j'ai cru incarner une nation et mettre les puissants de ce monde à genoux. J'étais la légende faite homme. Les idoles et les poètes me mangeaient dans la main. Aujourd'hui, je n'ai à léguer à mes héritiers que ce livre qui relate les dernières heures de ma fabuleuse existence. Lequel, du visionnaire tyrannique ou du bédouin indomptable, l'Histoire retiendra-t-elle ? Pour moi, la question ne se pose même pas puisque l'on n'est que ce que les autres voudraient que l'on soit», c'est bien clairement Mouamar Kadhafi qui parle par la bouche de Y. Khadra. Il fait le bilan de sa vie, s'interroge à propos de lui-même, et s'en remet au jugement de l'Histoire. L'éditeur du livre a ajouté à la citation ci-dessus, l'observation
suivante : «Avec cette plongée vertigineuse dans la tête d'un tyran sanguinaire et mégalomane, Yasmina Khadra dresse le portrait universel de tous les dictateurs déchus et dévoile les ressorts les plus secrets de la barbarie humaine.» J'imagine que cette remarque va faire jaser tous ceux qui ont fait de la révolution permanente, par définition imparfaite et inachevée, leur profession. Elle va sans doute aussi énerver tous ceux qui ont fait du nationalisme arabe leur idéologie indépassable, alors que tout le monde sait que les Arabes ont liquidé le nationalisme arabe en 1992, quand ils ont fait partie d'une coalition militaire conduite par l'Occident contre un pays arabe. Le troisième point qu'il importe de souligner, c'est que ce roman de Yasmina Khadra n'est point, contrairement à ce que l'on pourrait croire, d'un genre inédit ou nouveau. Ce n'est pas un roman isolé, unique en son genre.
Au contraire, il s'inscrit dans la grande tradition latino-américaine du «roman de la dictature», genre littéraire presque centenaire, qui a gagné ses lettres de noblesse, avec de prestigieux écrivains de langue espagnole, dont deux prix Nobel de la littérature, en l'occurrence Gabriel Garcia Marquez et Mario Varga Llosa. Avec son roman La dernière nuit du Raïs, Y. Khadra inscrit ainsi son nom sur la liste des grands écrivains latino-américains qui ont développé ce genre de romans, au grand bonheur des lecteurs et pour la gloire de la culture universelle.
Espérons que d'autres écrivains du monde arabe, d'Orient, d'Afrique et d'Asie, suivront l'exemple de Khadra et écriront des romans à propos de leurs dictatures respectives. Entre dictateurs encore en vie et dictateurs morts, ce n'est en effet pas la matière qui manque ! La liste de ces «héros» d'un genre spécial n'est, hélas, que trop longue. Le roman de la dictature est né et s'est développé en Amérique du Sud, région du monde jadis féconde en coups d'Etat et en dictatures militaires et civiles. La dictature est un régime si inhumain, si tragique, si difficile à comprendre, qu'elle échappe à l'entendement. Elle demeure pour la raison humaine, un mystère. En écrivant cette phrase, je pense en particulier à ces grands prédateurs européens de l'humanité que furent Hitler, Staline, Franco, Mussolini et Salazar. Aujourd'hui encore, on reste stupéfait devant les horreurs commises par ces hommes, qui se sont fait pour religion «le monothéisme du pouvoir», pour reprendre une expression inventée par l'un des écrivains latino-américains.
Le roman genre littéraire mêle étroitement la fiction romanesque à la nature brutale de l'homme, la rendant acceptable, d'une certaine manière. Le roman est probablement le meilleur moyen pour exposer, analyser, étudier et faire apparaître les ressorts qui font qu'il existe des dictatures et qui font que des peuples soient soumis à des dictateurs. Les écrivains sud-américains ont excellé dans ce genre littéraire. Quatre grands romans méritent, à mon avis, d'être cités dans cette contribution.
Le premier roman a pour titre L'automne du patriarche (1075). Il a pour auteur le Colombien Gabriel Garcia Marquez (1927-2014), prix Nobel de littérature en 1982. L'écrivain relate la tyrannie qu'un vieux général, inculte et illettré, perclus de maladies, en fin de vie, en un mot une sorte de zombie, mais qui continue à exercer une dictature implacable, dans un pays pauvre et un peuple arriéré et misérable.
On ne connaît pas le nom de ce général, mais tout le monde le surnomme «El Macho». Le dictateur nie sa maladie, refuse sa vieillesse. Il est dans le déni absolu. D'où son irascibilité maladive. D'où aussi un redoublement des actes arbitraires et un renforcement de la répression. Ce valétudinaire grabataire sent bien que sa fin est proche, mais ne peut accepter cela. Il nous rappelle ce roi personnage principal de la pièce de théâtre intitulée Le Roi se meurt écrite par l'auteur franco-roumain Eugène Ionesco et créée pour la première fois fin décembre 1962. Face à sa femme et à son médecin personnel qui viennent de lui annoncer sa mort imminente, ce roi despotique, vieillard cacochyme, s'écrie plein d'effroi : «... Je me porte bien ! Vous vous moquez ! Je ne mourrai que quand je voudrai ! Je suis le roi, c'est moi qui décide !» Si l'homme angoisse naturellement devant la mort, qui est pourtant inéluctable pour tout mortel, l'homme de pouvoir réagit contre elle avec colère. Il y voit une atteinte à son omnipotence, un défi à son pouvoir sans limite et en conséquence, s'insurge contre elle.
D'où aussi toutes les précautions prises pour que personne ne sache qu'il est bien mal en point et que sa fin est proche. Parmi les mesures qu'on prend ou fait prendre pour que le secret soit bien gardé, il y a le recours à des «doubles», à des sosies que l'on montre au public, à certains moments, dans certains endroits, pour faire accroire au peuple que le grand chef tient bon les rênes du char de l'Etat et que chacun peut vaquer à ses affaires en toute tranquillité.
Les peuples incultes attribuant en général aux gouvernants des pouvoirs paranormaux, les croient volontiers doués du don d'ubiquité. Le second roman qu'il convient de rappeler ici, a pour titre «Moi, le Suprême» (1976). Il est l'œuvre du Paraguayen Augusto Roa Bastos (1927-2005). Ce livre a été consacré à l'un des dictateurs mythiques du Paraguay, qui avait pour nom Gaspar de Francia, surnommé «El Supremo», d'où le titre du livre. De Francia, avocat de profession, a été élu président, par une assemblée. Peu de temps après, il se fit proclamer «Dictador perpetuo» ou dictateur à vie, ce qui ne manque pas, il faut le reconnaître d'audace et pour employer un terme trivial, de culot ! Ce dictateur du type «Père de la Patrie», était aimé par le peuple. Il avait en effet généralisé l'instruction primaire et procédé à une sorte de révolution agraire en créant des fermes patriotiques (estancias de la patria) et des exploitations agropastorales qu'il a confiées, moyennant un fermage symbolique, aux paysans. Il n'en demeure pas moins qu'il détenait tous les pouvoirs, régentait tout et s'occupait de tout, y compris des questions de détail. Il ne laissait personne faire quoi que ce soit, sans son autorisation préalable ou son agrément, et ne déléguait aucun pouvoir. Tout le monde était à son service : les civils comme les militaires, les grands comme les petits. C'est lui qui pourvoyait à tous les emplois officiels et publics, dans tous les échelons de la hiérarchie. Il avait laminé toute opposition politique et réprimé les récalcitrants. Il est resté au pouvoir durant trente ans, jusqu'à sa mort en 1840. Ses successeurs, sauf quelques rares éclaircies démocratiques, entretiendront le système dictatorial.
L'un d'entre eux, le général Stroessner, prendra le pouvoir en 1954, s'y cramponnera durant 35 ans, et ne le quittera qu'en 1989, suite à un coup d'Etat. Il aura cependant la vie sauve en se réfugiant aux USA. Il y a trois ans, le dernier président paraguayen élu a été destitué par le Sénat. Considérant que cette destitution est un coup d'Etat, les pays voisins ont exclu, à titre de sanction, le Paraguay des différentes organisations régionales.
A ce jour, la démocratie peine à s'installer au Paraguay où la dictature a profondément plongé ses racines, du fait de l'avocat Gaspar de Francia puis du Caudillo Alfredo Stroessner. Le troisième livre, roman d'une autre dictature, s'intitule Le recours de la méthode, a été édité en 1998. Il a pour auteur le Cubain Alejo Carpentier y Valmont (1904-1980). L'écrivain, également diplomate, s'était inspiré de la dictature exercée sur Cuba entre 1925 et 1933 par le général Gerardo Machado. Celui-ci s'était illustré pendant la guerre d'indépendance de Cuba et fut élu le plus démocratiquement possible, président de la République de Cuba. Mais rapidement infecté par le virus de la dictature, il promulgua une Constitution lui octroyant la présidence à vie. Au statut honorable de libérateur charismatique et bien-aimé du peuple, il préféra celui de despote tyrannique et haï par tous. Il a été obligé de fuir son pays pour les Etats-Unis, à la suite d'une grève générale déclenchée par les étudiants et qui fut largement suivie par la classe ouvrière et les travailleurs agricoles. Il comptait sur la fidélité de l'armée dont il était issu et dont il était le commandant en chef, mais celle-ci refusa de le soutenir contre le peuple et de réprimer les grévistes et les manifestants. Alejo Carpentier nous dit que cette histoire est, hélas, banale. C'est en effet celle d'un libérateur qui tourne mal, puisqu'il se fait lui-même tyran et transforme son pays en prison. Mais elle n'est pas, hélas, pas que cela. Elle est à vrai dire la triste histoire de la défaite des grands idéaux révolutionnaires et des principes démocratiques, sous les coups de dictateurs, schizophrènes et paranoïaques, ivres de pouvoir et fascinés par les avantages matériels que celui-ci peut leur procurer. Tout compte fait, les dictatures et les dictateurs se ressemblent, à quelques nuances près, tant en Amérique latine et qu'ailleurs.
Le quatrième roman s'intitule La fête du bouc et a été édité en 2000. Son auteur est le Péruvien Mario Vargas Llosa (1936), prix Nobel de littérature en 2010. L'auteur décrit, en s'inspirant du général Trujillo qui a dirigé d'une main de fer durant trente-et-une années, de 1930 à 1961, la République dominicaine, la lente et inexorable fin d'une dictature vieillissante. Trujillo, personnage truculent et au surplus tout à fait romanesque, n'a été, ni un héros de la guerre de libération, ni un politicien charismatique, ni un habile gouvernant. Il était d'une instruction très limitée. On disait aussi qu'il était quelque peu mentalement dérangé.
Il commença sa fulgurante prise du pouvoir, en s'engageant dans la Garde nationale, alors formée et entraînée par les Marines US qui occupaient le pays. Il gravit en un temps record, tous les échelons de la hiérarchie policière et militaire, passant en à peine dix années, du grade de lieutenant à la dignité de généralissime commandant en chef de l'armée. Seul Mouamar Kadhafi connaîtra une plus rapide promotion, en passant directement de lieutenant d'une armée plutôt malingre à chef d'Etat, dans un pays riche en hydrocarbures. Trujillo ne devint dictateur que grâce à l'assentiment d'une partie de son peuple, au soutien intéressé et actif de la classe politique et de l'administration du pays, toutes deux infestées de corrompus et de gens serviles, et à l'appui décisif des forces armées dont il était devenu le chef incontesté. On reconnaît que les Etats-Unis ont probablement encouragé Trujillo dans son aventure dictatoriale ; il est certain en tout cas qu'ils l'ont laissé faire, car il ne pouvait nuire à leurs intérêts. Ne dit-on pas que les Américains n'ont que des intérêts, mais pas d'amis ? Trujillo participera au renversement du président de la République en 1930 et se fera élire à sa place avec 95% des voix. Il instaura rapidement le monopartisme et se fera réélire pour un deuxième mandat. Narcissique, il changera le nom de la capitale Saint-Domingue par celui de Ciudad Trujillo, dressera des dizaines de statues à son effigie et inscrira dans toutes les églises du pays le slogan suivant «Dieu au ciel, Trujillo sur terre».
Il se fera ériger un panthéon ou crypte, dans une église, pour y être inhumé à sa mort. Il se retira de la présidence en 1938. Il y fera élire un président fantoche âgé de 71 ans ; mais par précaution se proclamera «généralissime» des armées et gardera dans les coulisses, la réalité du pouvoir politique. Il sera de retour à la présidence en 1942, porté par un parti tout simplement appelé «Partido Trujillista», formé par l'alliance de quelques groupuscules, pour la plupart des coquilles vides. Il sera ensuite constamment réélu, sans limitation du nombre des mandats. Il amassa une fortune colossale, faite de fermes, de terrains, d'immeubles, d'usines, d'entreprises commerciales, de sociétés d'import-export... Il fit de son beau et pittoresque pays un véritable enfer. Il réprimera sauvagement les émigrés haïtiens parce qu'ils sont noirs, de même que les grévistes des usines et les ouvriers agricoles des champs de canne à sucre, parce qu'ils revendiquent leurs droits.
Il fomenta un attentat à la bombe contre son homologue vénézuélien, avec lequel il ne s'entendait pas et faillit le tuer. Tous ses excès, ses violations graves et répétées aux droits de l'homme, les actes arbitraires et criminels, les règlements de comptes sanglants, marquèrent son règne. Mais la montée en puissance de la colère populaire ainsi que la victoire éclatante des castristes contre le dictateur cubain Batista amenèrent le voisin américain et notamment le Président J. F. Kennedy, à réagir d'abord de manière soft, en demandant à Trujillo, par le biais du département d'Etat, de se retirer du pouvoir. Trujillo répondait à ses interlocuteurs, inconscient du péril qui le menaçait : «Moi, on ne me fera sortir que sur un brancard !» Ces propos furent pris à la lettre.
En effet, prenant la relève des diplomates, la CIA se saisit de l'affaire Trujillo et passa à la solution «hard», en le faisant mitrailler le 30 mai 1961, alors qu'il circulait avec son chauffeur en dehors de la capitale. Comme on n'en fait que pour les héros nationaux et les grands parrains de la mafia, des funérailles solennelles et fastueuses furent organisées par les autorités dominicaines. On ne négligea rien ; un long deuil national fut proclamé, des discours officiels vibrants prononcés, messes et prières rogatoires dites... L'inhumation eut lieu dans une crypte, sous l'autel d'une église. La transition politique fut de courte durée, l'armée ayant pris sur elle d'accélérer le processus démocratique, qui aboutit à l'organisation des premières élections libres du pays, et à la victoire d'un candidat civil Juan Bosh qui obtint 59,5% des voix. Notons enfin que La danse du bouc est le titre d'une danse appelée «merengué», populaire, rythmée, diablement entraînante, spécifique à la région des Caraïbes, et typiquement latino. En choisissant ce titre pour son livre, Vargas Llosa a probablement voulu faire un clin d'œil complice à tous les Latinos, pour tempérer la noirceur de l'histoire relatée dans son livre, et pour donner de l'espoir à tous ceux qui ploient encore sous le joug des dictateurs.
Conclusion :
Le monde des dictatures est un monde à part. Tout y est opaque, tout y est mystérieux. Il est tragique et comique, à la fois. C'est le monde de l'arbitraire, des violations des droits de l'homme, des atteintes aux libertés, des atteintes aux biens, des atteintes aux personnes.
Contrairement à une croyance répandue, c'est le monde de l'instabilité politique et de l'insécurité. On parle de dictatures dures et de «dictamolles». Mais en vérité, il n'y a entre les unes et les autres qu'une différence de degré, pas une différence de nature. Quant aux dictateurs, ce sont vraisemblablement des dérangés mentaux, des égoïstes, des égotistes, des malhonnêtes, des individus sans foi ni loi ni pitié.
Des écrivains comme Y. Khadra, ainsi que les quatre écrivains d'Amérique latine cités dans cette contribution, sont doublement utiles, d'abord pour le citoyen pas toujours bien au courant des méfaits des dictateurs qui sont du reste experts en manipulation, ensuite pour les apprentis dictateurs qui doivent savoir qu'ils seront jugés, tôt ou tard et morts et vifs, à l'aune de leurs méfaits.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.