On dit que la musique adoucit les mœurs. Ce ne sont pas les mélomanes qui vont nous contredire ; manger en musique, dormir en musique... Autant d'actes que bon nombre de personnes accomplissent, bercées par des mélodies. Ces passionnés témoignent. Nadira, 55 ans «J'ai toujours rêvé d'être chanteuse. Mon idole de l'époque était Mireille Mathieu. Elle chantait des chansons d'amour qui me faisaient voyager. Mais à l'époque, une fille ne pouvait prétendre à une carrière d'artiste. Alors je me contentais d'acheter ses disques ou ses cassettes. Quand je faisais le ménage, mon poste-cassette me suivait partout. Les corvées qui devaient durer une ou deux heures s'étiraient toute la journée. Ma mère me criait dessus à tout bout de champ, et quand elle s'énervait elle me confisquait le poste ; je pleurais toutes les larmes de mon corps, et il fallait surtout que je termine vite le ménage. Je lui faisais pitié, elle finissait par me le rendre. Je devais avoir 16 ans. Le soir, j'étais heureuse de retrouver mon lit, mais voilà que ma sœur prenait le relais. Elle, c'était une couche-tôt, du genre très studieuse, on partageait la même chambre, et lorsqu'elle dormait elle ne voulait aucun bruit ; à l'époque, il n'y avait pas de téléphone portable où on pouvait écouter de la musique sans gêner les autres. Quelle chance pour les jeunes de maintenant... Avec l'âge, mes goûts ont changé, mais ma passion pour la musique est restée intacte. Aujourd'hui, j'ai un faible pour les musiques chaâbi et classique. Je fais comme les jeunes : quand je suis à la maison et occupée à mes tâches ménagères j'ai toujours des écouteurs collés à mes oreilles. C'est tout de même plus pratique. Que voulez-vous, la musique coule dans mes veines... Et c'est fou le bien que cela nous procure ! Ma fille a toujours envie de rire quand elle me voit. Quant à ma mère, elle se rappelle toujours les crises de colère qu'elle se tapait quand elle rentrait des courses et qu'elle trouvait le seau au milieu de la cuisine, la serpillière par terre et moi rêvassant, les oreilles collées à mon transistor.» Salim, 40 ans, médecin Salim est un féru de la musique andalouse. Il possède presque tous les répertoires des grands. «En fait, j'ai vécu dans un milieu de mélomanes. Nous avions hérité d'un piano de mes grands-parents, et pourtant personne n'en jouait. J'avais à peu près sept ans, et l'instrument me fascinait. J'adorais pianoter, et un jour mon père a entendu quelques notes de musique, il n'en croyait pas ses oreilles. Le lendemain, il a engagé un ami pour me dispenser des cours à domicile. Je faisais des progrès inouïs et en peu de temps. Mais j'ai dû arrêter l'année où j'ai passé le bac. Je voulais devenir médecin et je n'avais plus le temps de jouer. J'ai réussi à mon examen, il y a eu ensuite la fac de médecine et le piano j'ai dû l'abandonner. Mais le paradoxe c'est que lorsque je révisais mes cours, je ne pouvais pas me concentrer sans une musique de fond de cheikh El-Ghafour, ou Dahmane ben Achour. Pour compenser, la musique je l'écoute, et je ne rate aucun concert. Je m'endors avec elle, et elle me réveille. C'est une sensation de bien-être qui vient de l'intérieur. Plus rien ne nous ébranle, on est calme, zen, la vie nous sourit, et l'amour de la vie, le respect des autres guident nos pas. Au volant, elle m'accompagne. Mais souvent je suis la risée de mes amis qui me traitent de vieillot, mais cela m'importe peu. Ne dit-on pas que les goûts et les couleurs ne se discutent pas !» Samy, 19 ans, étudiant Ecouteurs branchés dans son mp3, les yeux fermés, Samy fredonne une chanson d'un groupe gnaoua. Dans la rame du métro, il n'y a pas foule aujourd'hui. Nous l'avons sorti de sa bulle en lui tapotant sur l'épaule. Il ouvre les yeux, s'excuse et nous répond tout de go : «C'est ma drogue et je la préfère à toute autre. Je ne peux pas concevoir la vie sans musique. C'est ça, notre part de rêve. Je suis en deuxième année de maths à Bab-Ezzouar et les chiffres me sortent du nez. Alors les paroles, la poésie m'apaisent, c'est comme une thérapie. Et puis quand on est mélomane, on ne peut jamais être violent. Du moins, c'est ce que je pense. Au contraire, on apprend à aimer les autres, à les comprendre et surtout à ne pas les juger. Les textes nous enseignent la vie.» Zahia, 25 ans diplômée, au chômage «Moi, si on m'enlève la musique, je meurs. J'ai obtenu ma licence en biologie il y a quatre ans, j'ai refusé de faire des petits boulots, donc je suis au chômage et je passe la plupart de mon temps à la maison. Pour moi, le moment le plus merveilleux c'est lorsque je m'allonge dans mon lit accompagnée de mon téléphone et je passe des heures à écouter mes chansons préférées, du raï, de la pop, les derniers tubes occidentaux, de la musique du Khalij que j'ai découverte il y a quelque temps : en fait j'aime toutes les musiques du monde. Ces moments «d'intimité», si j'ose dire, me permettent de ne pas sombrer dans le défaitisme et le désespoir. Ça me procure une paix intérieure et ainsi je prends la vie comme elle se présente.»