Par Malika BOUSSOUF [email protected] L'Etat ne fera pas l'effort de prendre en charge les soins de toute une population. La sant� des Alg�riens ne semblant pas �tre une priorit� pour lui, le budget qui lui est consacr� et qui �tait d�j� presque insignifiant il y a quelques ann�es a encore une fois �t� revu � la baisse. Il est pass� de 6 � 3 %. Malgr� les carences r�pertori�es au quotidien — � mettre sur le compte de pouvoirs publics qui ne ma�trisent d�cid�ment jamais rien —, il existe dans certains centres hospitaliers des hommes et des femmes de conviction qui font ce qu'ils peuvent pour pallier le manque. Une esp�ce en voie d'extinction, devrait-on dire, ou alors d'�ternels optimistes qui croient que l'on ne doit pas baisser les bras parce que le meilleur serait encore possible. Au CHU de Bab-El-Oued, par exemple, il n'est pas besoin de chercher loin ni longtemps le service p�diatrie. Un service surprenant, qui n'a rien de banal et encore moins de commun avec les autres si ce n'est que l'on y soigne, l� aussi. La petite b�tisse qui abrite le service se laisse volontiers rep�rer par le visiteur. Une b�tisse color�e � dessein, comme pour afficher une volont� premi�re : souhaiter la bienvenue � des enfants malades, effray�s et surtout min�s par cette insidieuse sensation de devoir bient�t renoncer au giron maternel. Il faisait un temps glacial durant les deux jours o� nous leur avons rendu visite. L'ambiance d'un h�pital, sinistre pour le commun des mortels, la question qui se posait � nous �tait de savoir comment les enfants qui s'y trouvaient, � leur corps d�fendant, pouvaient garder le moral dans une atmosph�re g�n�rale aussi aust�re, aussi maussade et rendue encore plus inhospitali�re par ce grand froid qui y s�vissait. Et pourtant, on vous re�oit d'une fa�on tellement aimable dans ce service particulier qui, d'entr�e, vous arrache un sourire et que toute une �quipe s'efforce � transformer en une esp�ce d'antichambre de paradis. Le regard se fige sur ces couleurs vives qui �gaient les couloirs et les chambres aux murs tapiss�s de dessins d'enfants. Les couleurs intriguent parce que inhabituelles dans un h�pital. Mais l'on se rend vite � l'�vidence qu'elles sont importantes. Elles participent � reconstruire l'espoir, � att�nuer le d�sarroi et mettent l'angoisse en sourdine. Le service, dirig� par un certain Professeur Laraba qui se montre surpris lorsque vous demandez � le voir et qui vous ass�ne d�s les premi�res paroles que vous �changez avec lui qu'il n'a pas besoin de publicit�, existe depuis 1987. A la diff�rence qu'� l'�poque de sa cr�ation il fonctionnait comme tout le reste � l'h�pital et il demeurera en l'�tat dix autres ann�es. Mais qui est donc ce chef de service qui ne r�ve que d'une chose : transformer son entit�, l'humaniser, la rendre moins r�barbative et qui milite � sa mani�re pour que les h�pitaux ne soient plus des mouroirs, consid�rant que l'une des fonctions essentielles d'un h�pital doit �tre celle d'accompagner le malade vers une issue qu'elle soit heureuse ou fatale ? Il y a, h�las, il faut le dire, une d�shumanisation de la prise en charge et du soin, et il faut y mettre un terme. Le Pr Laraba est, depuis longtemps d�j�, rong� par cet objectif dont il ne voit pas tr�s bien comment il va faire pour l'atteindre. En 1997, alors qu'il pr�sidait le conseil scientifique, il y voit une opportunit� pour faire aboutir un petit bout de son r�ve en prenant la pr�caution de ne pas heurter les r�ticences de la direction. Et cela marche ! Attenant � la p�diatrie, loin des curieux et � l'abri des intrus, existait un espace de 1 000 m2 qui faisait office de d�potoir. Des carcasses de voitures et autres d�tritus s'y amoncellent. Pourquoi ne pas le rentabiliser en le transformant en aire de jeux pour enfants hospitalis�s ? La direction de l'h�pital accepte de le lui attribuer � condition qu'il se d�brouille seul pour l'am�nager. Il fallait pour commencer � y voir plus clair nettoyer cet immense videordures puis courir apr�s d'�ventuels sponsors. Mais la difficult� importait peu, le tout �tant de faire avancer les choses discr�tement, sans tapage pour ne pas susciter de remous. En 1997, une sociologue, Lila Boukabous, cadre au niveau de la Direction de la jeunesse et des sports de la wilaya d'Alger, demande � le rencontrer. Elle ignore tout de lui mais on lui avait recommand� de solliciter son aide si elle voulait cr�er l'unit� de loisirs �ducatifs en milieu hospitalier, mission dont venait de la charger sa hi�rarchie. Quand elle lui expose le motif de sa visite, le chef de service ne croit pas � sa bonne fortune. Il lui prend la main et l'entra�ne vers le d�potoir pas r�am�nag�. Il y avait l�, avec un peu de volont�, de quoi r�aliser une structure indispensable aux enfants malades. L'objet de la d�marche �tait d'�viter � ces derniers une rupture trop brutale avec le monde ext�rieur et donc une fracture psychologique qui viendrait alourdir, voire hypoth�quer la pathologie d'origine. L'enthousiasme gagne la jeune femme qui n'a plus jamais quitt� les lieux, �paul�e dans cette belle aventure par une �quipe qu'elle mettra aussit�t en place et avec laquelle elle cr�era tr�s vite, pour pouvoir b�n�ficier d'un budget de fonctionnement de la wilaya d'Alger, l'association Amine, au nom du premier enfant d�c�d�, en octobre 1997, dans le service. En juin 1998, le Pr Laraba organise la premi�re f�te de l'enfance �paul� par ses co�quipiers de l'association. Peu � peu, toutes les chambres seront �quip�es d'un t�l�viseur (canal Amine, un circuit interne destin� � informer sur tout ce qui se passe au sein de l'unit� r�cr�ative). D�s leur installation, son �quipe et elle se doutaient bien du tr�s long chemin qui leur restait � faire pour �tre adopt�s par un personnel soignant qui ne voyait pas d'un tr�s bon œil cette intrusion. Mais Mme Boukabous ne se laisse pas d�monter, soutenue dans ses efforts par le patron du service. C'est en lui qu'elle avoue avoir puis� le courage de continuer. Et puisque le parcours ne para�t pas tr�s ais� � l'�quipe, pourquoi ne pas commencer par faire repeindre ces murs gris et choisir des couleurs vives pour contourner l'effet repoussoir du service ? Pour apprivoiser les enfants, les �ducateurs sp�cialis�s et animateurs sont pleins de ressources, dot�s de cette dimension humaine qui manque tant aux m�decins et param�dicaux. Le Pr Laraba ne comprend, d'ailleurs, pas que l'on n'enseigne pas aux futurs m�decins cette autre approche du m�tier. Pour cet homme qui n'�prouve aucun complexe � �voquer cette sensibilit� que notre culture nous interdit de laisser transpara�tre, il para�t insens� de ne pas �couter ses propres voix int�rieures, de ne pas se remettre en cause, de se fermer aux autres et de rentrer, sans s'interroger, dans le moule. "Si la m�decine s'est impos�e chez nous d�s lors qu'elle a prouv� qu'elle apportait un plus par rapport aux soins traditionnels, on peut lui reprocher aujourd'hui de manquer d'humanisme par rapport � sa consœur occidentale", nous confie-t-il. Ce que tente, au quotidien, d'expliquer le Pr Laraba, c'est qu'il faut, en fait, adapter � la m�decine la dimension culturelle car c'est de cette derni�re que d�coulera le reste. Tant pis pour ceux qui s'ent�tent � ne pas comprendre sa vision de la m�decine car c'est son approche qui lui permettra, pour sa part, d'avancer. Le service p�diatrie que nous fait visiter son responsable est con�u pour recevoir 42 malades. Il est compos� de trois salles o� sont r�partis les malades par tranches d'�ge, de 1 jour � 17 ans, avec des mamans qui font office de gardes-malades pour les plus jeunes. L'id�al pour ce responsable serait de pouvoir bient�t am�nager un espace plus convivial pour ces m�res. Les �ducateurs, eux, n'�taient pas destin�s au d�part � c�toyer la mort. Ils n'ont pas �t� form�s pour. Leur regard �tant ext�rieur, ils auront pourtant le recul id�al pour affronter la souffrance des autres. Mais ce qui nous intrigue le plus reste ce qu'est devenu le fameux d�potoir. On nous le fait visiter non sans une certaine fiert�. Ce que nous d�couvrons illustre, en effet, parfaitement, la somme d'efforts consentis. Le jardin et l'aire de jeux sont d�serts mais on y devine ais�ment ce que les enfants ont le loisir d'y faire quand il fait beau. Les quelque 1 000 m2 ont permis de construire 4 salles : une salle de musique o� tr�nent des instruments et o� l'on y enseigne la musique, le chant et le solf�ge parce que la musicoth�rapie fait ses preuves au quotidien et c'est dans cette salle qu'au moment des visites ceux qui n'en re�oivent pas s'isolent ; une salle de classe o� trois institutrices d�tach�es par l'inspection acad�mique veillent � ce que les enfants gardent le rythme scolaire, elles y dispensent des cours de la 1re � la 6e ann�e ; un atelier consacr� aux travaux manuels, au dessin, � la peinture et au coloriage pour les tout-petits et une ludoth�que, un espace o� les m�res peuvent regarder faire une pu�ricultrice avec leurs b�b�s tout en prenant le th� et en se racontant leur vie. Une cuisine qui ressemble � celle d'une maison de poup�es permet, aux dix personnes qui font tourner la structure, de se pr�parer leurs propres repas et de garder un peu d'ind�pendance. Un bureau toujours ouvert est enfin r�serv� aux deux �ducateurs sp�cialis�s, aux trois animatrices, aux deux psychologues, � la psychiatre et � la pr�sidente de l'association de se retrouver � tout moment pour faire le point. Quant au professeur Laraba, il s'y rend un nombre incalculable de fois pour s'assurer que tout va pour le mieux ou pour faire admirer son b�b� � toute personne susceptible de l'aider � faire avancer les choses dans le bon sens comme c'est le cas. Car s'il est vrai que les �ducateurs ont proc�d� au d�part par t�tonnement, il n'en demeure pas moins que l'�quipe m�dicale dont ils �taient accus�s de d�ranger le confort, de bousculer et de remettre en cause les certitudes a fini par changer d'avis. Que peut-il y avoir de plus r�confortant que de se rendre � l'�vidence que l'enfant va mieux, qu'il est plus d�tendu et plus apte � se laisser soigner. R�ussir la gageure de d�dramatiser l'hospitalisation aupr�s et de l'enfant et des parents rel�ve carr�ment de l'exploit. Aujourd'hui, Djamel, Ghania, Wassila, Ilhem, Fa�za, Samira ont une relation particuli�re avec les enfants alors que le comportement du personnel m�dical a en grande partie chang�. Il y a des enfants qui y reviennent volontiers, d'autres qui pleurent en quittant le service, beaucoup d'entre eux pr�f�rent rester l� ou font tout pour y revenir. Ils y retrouvent certains enfants hospitalis�s dans d'autres services mais qui b�n�ficient tout de m�me des activit�s de l'unit�. Et le must ce sont ces revues annuelles, Expression, confectionn�es par les enfants qui choisissent eux-m�mes le th�me sur lequel ils d�sirent intervenir. "Si on restait une exp�rience unique ce serait comme si on n'avait rien fait", affirmera Mme Boukabous. L'id�al serait, en effet, que celle-ci s'�tende � d'autres h�pitaux. Il semblerait que cela soit en cours. L'id�e aurait fait du chemin. M. B.