C'est l'histoire d'un p�re de famille de 41 ans qui exer�ait paisiblement le m�tier de garagiste avant que sa vie ne bascule un jour de novembre 2001. Alors qu'il �tait accompagn� de son �pouse � la recherche d'un restaurant � proximit� du port d'Alger, il re�ut une balle dans la t�te. Le monsieur, tr�s mal en point, fut aussit�t admis au service de neurochirurgie du CHU de Bab-El-Oued. Le compte rendu d'hospitalisation datant du 22 d�cembre de la m�me ann�e d�crit un "traumatisme cr�nien grave suite � des coups et blessures par arme � feu". A l'�poque, un journal l'avait donn� pour mort et titr� : "Un �migr� assassin� sur le quai", avant qu'un autre n'annonce qu'apr�s avoir �t� "donn� pour mort suite � un attentat, Rabehie Mohamed ressuscite et r�clame justice". S'ensuivent pour le malheureux des d�marches administratives tellement interminables qu'elles le d�sesp�rent du syst�me. Dans la plupart des cas, les gens viennent vous voir pensant que vous d�tenez la r�ponse � leurs questions. Ils ne vous �coutent d�j� m�me plus quand vous leur r�pondez que vous allez tout juste essayer d'attirer l'attention sur leur probl�me. D�s qu'ils vous confient leur dossier, ils vous affirment qu'ils vont d�j� beaucoup mieux. Pourquoi ? Parce que vous leur avez accord� un peu de votre temps, que vous les avez �cout�s. La victime r�p�te inlassablement qu'il s'agissait d'une balle perdue, les services de police d�clarent, eux, que le 28/11/2001 Mohamed Rabehie se trouvait dans un quartier de la p�cherie et qu'au moment de descendre de voiture, un inconnu lui a tir� dessus � bout portant. Quant au v�hicule dans lequel se serait enfui son agresseur, il aurait �t� identifi� par son �pouse pr�sente sur les lieux. La vie de Mohamed Rabehie fut boulevers�e du jour au lendemain parce qu'il a eu la malchance de se trouver l� o� il n'aurait pas d� �tre, ce qui aurait du reste pu arriver � n'importe lequel d'entre nous. Il n'en demeure pourtant pas moins que, priv� d'�l�ments d'information qui lui permettraient de mieux contr�ler son quotidien, le malheureux se retrouve pris en otage par une bureaucratie qui n'en finit pas de lui miner le moral. La plainte qu'il a d�pos�e contre X n'a rien donn�. Le dossier a �t� class� sans suite et Rabehie Mohamed, d�sesp�r�, avoue �tre las de se voir ballotter d'une structure � une autre. Sur le compte de qui aurait-il fallu mettre la bavure si bavure il y a eu ? Sur l'acte gratuit ou l'acte terroriste ? La victime ne se pose m�me plus la question puisque dans l'une des lettres qu'elle a adress�es au pr�sident de la R�publique, elle lui dit entre autres : "Permettez-moi de vous exposer assez bri�vement les faits qui m'incitent � solliciter aujourd'hui votre aide pour obtenir non pas r�paration mais tout juste une aide financi�re…" L'histoire de ce monsieur n'est pas banale, vous en conviendrez, d�s lors qu'elle interpelle sur ce que font les institutions des requ�tes qui leur sont adress�es ? Des institutions dont l'Assembl�e nationale qui se contente de voter des textes de lois propos�s par le gouvernement alors m�me que les v�ritables missions des d�put�s en leur qualit� de repr�sentants du peuple devraient en particulier consister en la prise en charge des probl�mes de ce dernier, tels que celui de M. Rabehie. Pourquoi ne r�pond-on donc jamais ou presque aux dol�ances des citoyens ? Quand ils manifestent leur m�contentement, on les tabasse et jette en prison sous pr�texte qu'ils troublent l'ordre public. Quand ils �crivent, c'est sans succ�s parce que lorsqu'une question devient embarrassante, on l'�lude en la remisant dans un tiroir. Qu'advient-il des milliers de lettres qui s'entassent dans ces locaux que l'on appelle commun�ment bureaux d'ordre ? C'est vrai qu'il y a eu un m�diateur de la R�publique. Le hic est que rien n'a succ�d� � la structure dissoute pour avoir trop vite atteint son seuil d'incomp�tence. Si l'on admet la r�alit� am�re qui fait que la gestion des Alg�riens par l'Etat n'a jamais �t� empreinte d'humanit�, faut-il pour autant continuer, pour ne pas bousculer l'ordre des choses, � s'en remettre au Bon Dieu ? La bonne gouvernance, il ne s'agit pas seulement de l'�noncer ; encore faudrait-il qu'elle se traduise dans les faits. Quand une autorit� est sollicit�e, de surcro�t par �crit, la moindre des convenances n'exige-t-elle pas qu'une r�ponse claire soit r�serv�e � son exp�diteur ? Pourquoi un �cart aussi �norme entre cette attitude indiff�rente de l'administration et cette autre plus sournoise, plus dangereuse qui veut que l'on s'empresse de donner une suite imm�diate aux courriers anonymes, autrement dit aux lettres de d�nonciation ? Mohamed Rabehie a �crit 5 lettres au pr�sident, 5 au ministre de la Justice, 2 au chef du gouvernement, 2 au ministre de l'Int�rieur et une au directeur g�n�ral de la S�ret� nationale. Pourquoi le chef de l'Etat a-t- il �t� le seul � r�pondre ? Cela confirmerait-il le fait qu'il y a des rouages qui bloquent m�me quand la volont� existe ? Cela signifierait-il que les col�res du chef de l'Etat devenues l�gendaires seraient sans effet et que l'on attend � chaque fois que l'orage passe pour continuer � n'en faire qu'� sa t�te ? Les exemples sont l�gion. Ils vont de celui du citoyen anonyme auquel on refuse un extrait d'acte de naissance sans lui en expliquer les raisons � celui plus douloureux de M. Rabehie. Il r�sulte des faits qu'un inconnu non identifi� jusqu'� ce jour ait tir� sur lui. La plainte contre X s'�tant sold�e par un �chec, la victime a-t-elle droit � l'indemnisation qu'elle r�clame ou � une autre forme d'aide ? Ce sont l� les questions concr�tes auxquelles elle souhaiterait certainement que l'on r�ponde. En 2001, le terrorisme frappait encore. Pourquoi serait-il exclu que M. Rabehie en ait �t� victime au sens de la loi du 17 f�vrier 1999 ? Et � supposer que ce monsieur se consid�re comme une victime du terrorisme, puisqu'il parle de balle perdue (accident dans la loi), les diff�rentes institutions auxquelles il s'est adress� n'auraient-elles pas pu l'�clairer, l'orienter et lui dire la v�rit� au lieu de le faire tra�ner pour ne pas dire courir ? S'il est vrai que du point de vue de la loi, ce monsieur n'aurait droit � aucune indemnisation, cela ne signifie pas pour autant que son d�nuement doive laisser impassible une institution comme, par exemple, la solidarit� nationale. Ce qui est clair c'est qu'il y a des gens qui souffrent de ne pas �tre entendus et qu'il rel�ve des missions de l'Etat d'all�ger leurs souffrances. Il y a quelques jours, on marquait le deuxi�me anniversaire du s�isme de Boumerd�s de 2003. Pendant que les autorit�s se f�licitaient sur les ondes de la Radio nationale d'avoir relev� le d�fi et tout remis en �tat, des citoyens rescap�s et encore traumatis�s parlaient, eux, de leur abandon et demandaient juste � �tre orient�s. L'�coute est importante. Elle figure en priorit� dans tout protocole th�rapeutique. Quand un citoyen se retrouve face � un mur d'incompr�hension, il n'a plus qu'� accepter son sort, ruminer sa col�re ou mettre fin � ses jours. Il se trouve, h�las, que, sous pr�texte de mieux communiquer, on nous sert ponctuellement des op�rations portes ouvertes. La douane, la police, la d�fense, la justice, les sports, les APC, bref tout le monde semble avoir d�finitivement opt� pour ce proc�d�. Pour quels r�sultats et quelle efficacit� ? Remplacer ces derni�res, dont on devine qu'elles gr�vent inutilement le budget de l'Etat, par des portes ouvertes en mesure de d�fricher le terrain pour mieux prendre en charge les attentes des citoyens, pourrait aider � transcender tellement de d�boires.