Par Boubakeur Hamidechi [email protected] Saâdani est certainement l'agitateur politique qui a le mieux compris le bénéfice qu'il pouvait encore tirer des slogans rendant hommage aux «vertueuses» messes patriotiques. Sans craindre le ridicule de pareils rassemblements, il parvint cependant à vulgariser la méthode et surtout à rendre crédible ses appels à la mobilisation nationale. Une fois encore, il s'en était servi mercredi dernier lors d'un gigantesque meeting où le thème de la «défense de la nation» était uniquement décliné pour rappeler que celle-ci ne sera possible qu'à travers le soutien indéfectible et sans condition au régime actuel. L'on devine aisément que l'opération de communication a peu à voir avec les périls réels (ceux relatifs au retour de la menace terroriste) et, qu'en définitive, elle était essentiellement destinée à noyer les urgences spécifiques du pouvoir dans la problématique plus vaste concernant la défense du pays. D'ailleurs, le recours aux attaques ad hominem et aux arguments fictifs destinés à susciter de l'élan dans l'opinion a consisté surtout à livrer à la réprobation publique une prudente opposition qui s'entête pourtant à n'évoquer l'après-Bouteflika qu'en termes de «transition pacifique». «Elle n'est pas loin de ressembler à une cinquième colonne de la trahison», laissait entendre à son sujet le milicien en chef du FLN, actuellement revigoré par la stratégie d'épuration partisane qu'attendait de lui le palais. Méthodiquement, donc, il n'a eu de cesse de soumettre également au pilonnage les ex-partenaires de l'alliance présidentielle qu'il trouvait trop tièdes pour certains et pour d'autres carrément pernicieux et infidèles au chef de l'Etat. Ainsi avec une agressivité démesurée, le FLN, nouvelle version, a décidé de faire imploser toutes les connivences politiciennes du passé au prétexte qu'elles ne répondent plus aux attentes du président de la République et apparaissent clairement comme des usurpations. Estimant douteux ce compagnonnage, il leur impute tous les coups de canif à l'origine de la crise. C'est donc dans un contexte singulier, où la présence de l'Etat est à peine perceptible et l'idée de pays tout juste évoquée pour alerter des risques de son démembrement, que la mission de Ammar Saâdani prend tout son relief. Celle d'accomplir la sordide besogne de «curetage» des réseaux politiques qui, jusque-là, revendiquaient une parcelle de proximité avec le régime. Un nettoyage par le vide dont on sait qu'il est souhaité par les nouveaux managers économiques en butte à des résistances contraignantes émanant du tissu politique et social et contre lesquelles Saâdani ferraille indécemment tout en faisant l'apologie de tous les «Chakib» intouchables. Pourtant, au moment où l'on se délecte de la réussite de son meeting contraignant, la classe politique à la défensive, se dessine ailleurs la probabilité d'une campagne de dénigrement visant à la stabilité de l'institution éducative où les esquisses de ses réformes déplairaient (déjà) à la caste des Oulémas. A titre putatif, l'association se revendiquant de l'orthodoxie badisienne, vient en effet de délivrer une violente «fatwa» accusant le réformisme de la ministre de l'Enseignement d'atteinte à l'identité nationale. Alors que nul n'ignore que le dossier de la réforme de l'école est au cœur du débat national, le gouvernement de Sellal n'a toujours pas cru nécessaire de sanctuariser l'action à long terme de ce département ministériel et surtout de réagir politiquement aux assertions inexactes émanant d'acteurs politiques. Un silence d'autant plus affligeant, qu'il vient d'encourager le MSP à prendre le relais des «Oulémas» en annonçant la mise sous la loupe de ses experts l'ensemble des directives de ce ministère. Or l'absence d'une vigoureuse mise au point illustre parfaitement l'influence que possède toujours le courant théologico-éducatif dans l'élaboration des programmes. Pourtant, le système scolaire a peu changé durant les deux dernières années. En mettant l'accent sur le préalable recours aux bons diagnostics pour chaque palier, Mme Benghebrit a choisi le pragmatisme dont on suppose qu'il commence à fournir les premières réponses concernant des classes d'âges dans le primaire et le moyen. Celles qui pouvaient être considérées comme des prétextes en relation avec les contenus des futurs manuels pédagogiques et de fait ont déclenché les interpellations en question tant il est vrai que les obédiences religieuses se croient toujours investies du pouvoir d'accorder ou non l'imprimatur aux ouvrages scolaires ! Or, ce qui différencie une volonté réelle de refondation de l'école des velléités d'aménagement ponctuel de la méthode d'enseigner et du contenu de cet enseignement n'est-il pas résumé dans le rapport qu'une école publique entretient avec les idéologies ? Soustraire la diffusion du savoir dans l'espace scolaire aux interférences doctrinales fussent-elles celles de la foi que la Constitution met en exergue ne doit-il pas être le principe cardinal ? Or, depuis au moins un quart de siècle, c'est le contraire qui a été fait. En substituant à l'instruction civique l'éducation religieuse, l'école algérienne a de fait soldé sa positive laïcité en s'inventant une référence exclusivement religieuse. De compromis tactique en surenchères, l'enseignement de l'Islam s'imposera, non seulement comme matière obligatoire dotée d'un coefficient égal à celui des savoirs scientifiques, mais de plus remodèlera la totalité de l'approche pédagogique où le formalisme verbeux atrophie la capacité de réflexion du potache. En effet, en l'espace d'un quart de siècle, soit deux générations d'écoliers, le cursus des élèves a fini par être ponctué de références coraniques jusqu'à affecter même les sciences réputées exactes. Les raisons de cette interminable capitulation de l'Etat devant les exigences des islamistes quant au formatage de l'école algérienne s'expliquent par la culture du court terme des pouvoirs successifs lesquels, après avoir inventé le concept d'islamiste fréquentable que l'on intégra dans les rouages de l'Etat, lui accorda la caution sur l'école. Devenue chasse-gardée d'un enseignement oblitéré par les censeurs de la religion, l'école se révéla souvent comme une matrice inapte à modeler la citoyenneté de cohortes entières d'adolescents. Cette question de fond, sciemment éludée politiquement, sera-t-elle enfin la prochaine pierre angulaire de la refonte de l'école et en même temps le lieu géométrique où s'opérera la rupture avec le conservatisme d'un certain esprit de la médersa ? En tout cas, la récente grogne des vrais-faux oulémas marque le début d'une discorde en perspective.