Par Arezki Metref [email protected] Il m'a pos� la colle des colles : quel lien y a-t-il entre le projet de loi sur les hydrocarbures et l'incarc�ration, depuis neuf mois, de Mohamed Benchicou, directeur du Matin, suspendu ? Bien s�r qu'il n'y a aucun lien. Bien s�r que ce sont deux choses distinctes qui n'ont connu, ne connaissent et ne conna�tront jamais un point de rencontre, de quelque nature que ce soit. Bien s�r qu'on ne parle pas de la m�me chose selon qu'on �voque l'une ou l'autre de ces questions. Je donne donc ma langue au chat. Mais, lui, cet ami avec qui je dialogue souvent avant de r�diger et � qui je devrais donner un nom une bonne fois pour toutes, plus fut� que moi qui ne le suis pas du tout, il le voit, ce lien. Non seulement il le voit, ce qui ne suffit pas � faire la mat�rialit� du lien, mais il soutient qu'il existe, ce qui est encore plus fort que de le voir. Le lien, c'est tout simplement, th�orise-t-il, l'instauration d'un capitalisme "sp�cifique" autant que l'�tait le socialisme de Boumediene, c'est-�-dire qui puise dans l'id�ologie lib�rale uniquement ce qui ne d�range pas la fermet� du pouvoir politique. Ainsi, la loi sur les hydrocarbures, en bradant la souverainet� de l'Alg�rie sur les gisements au profit de soci�t�s �trang�res, participe de cet aggiornamento capitalistique, de cette adaptation d'une Alg�rie, jusque-l� enferm�e dans son d�lire obsidional, � la mondialisation �conomique, au laisser-faire qui serait la loi naturelle de l'�conomie. La loi sur les hydrocarbures, c'est l'ouverture, en un mot. L'incarc�ration du journaliste Benchicou et le harc�lement judiciaire des journalistes et �conomique des titres de la presse ind�pendante conf�rent la dimension sp�cifique au mod�le lib�ral alg�rien en cours. On ouvre l'�conomie en mettant en vente les richesses et les outils de production publics et on ferme, plut�t � double tour qu'� un seul, l'expression et on obtient, l'un dans l'autre, l'incomparable, l'unique, l'inimitable mod�le alg�rien. Mon interlocuteur, roi de la th�orie mais aussi de la projection dans le futur, me fait remarquer cependant de quelle ringardise je fais preuve en parlant encore de capitalisme. Aujourd'hui, tout le monde est acquis � la n�cessit� de laisser les lois de l'�conomie se faire naturellement. Je baisse les bras, il est trop fort pour moi. Mais je ne peux baisser la t�te devant l'arrogance des nouveaux riches qui ont achet� les entreprises publiques pour une bouch�e de pain enlev�e � des millions d'Alg�riens pouss�s � la paup�risation. Comment feindre de ne pas voir l'injustice sociale qui produit de plus en plus de pauvres, de mendiants, deprostitu�es ? Comment accepter qu'au nom d'une soi-disant fatalit� id�ologique lib�rale, tant d'Alg�riens et de citoyens d'autres pays dans le monde, pareillement soumis � la dictature du profit pour quelques-uns, r�pandent en lambeaux leur dignit� parce que la m�canique lib�rale, bas�e sur le credo "malheur aux vaincus", les a broy�s et qu'ils ne trouvent plus de ringards pour les aider � se d�fendre? Ringarde, bien s�r, cher ami, cette col�re suscit�e par le spectacle de ces femmes et leurs enfants, de ces hommes livr�s au d�nuement de la rue, sans protection aucune, l�ch�s par tous et accabl�s, en plus, de l'infamie d'�tre les perdants, les losers. Ringard de s'�lever contre le bradage des biens publics au profit des pratiquants de d�lits d'initi�s, anciens ou actuels responsables de la devise humanitariste "charit� bien ordonn�e commence par soi-sm�me", lanc� dans une course � l'enrichissement par des chemins de traverse qui aboutissent en quelques ann�es � des fortunes qui, en temps capitalistique normal, c'est-�-dire non sp�cifique, se font en des g�n�rations enti�res. Ringard de consid�rer l'�cart entre tr�s pauvres et tr�s riches comme une insulte non seulement aux chiffres mais aussi et simplement au bon sens. Ringard de s'interroger sur le culte de l'Alg�rie qui gagne et le malheur de celles qui perdent, qui ont tout perdu? Ringard de supposer que les Alg�ries des multiples pauvres le sont devenues parce que l'Alg�rie qui gagne a gagn� sur eux. Et en toute d�loyaut�. Ringard surtout—mais d'un ringard!— de s'attendre � ce, comme cela se fait ailleurs, que si l'�conomie s'ouvre dans une b�ance sans fonds au lib�ralisme bushien, l'expression, dont la presse, soit synchrone. On ne peut pas, d'un c�t�, ouvrir un bazar et de l'autre jeter en prison ceux qui sont votre politique. Voil� le lien, selon mon pote th�oricien et projet� dans le futur, entre la loi sur les hydrocarbures et l'incarc�ration du journaliste Benchicou, le harc�lement contre d'autres journalistes et l'�p�e de Damocl�s suspendue sur la t�te des titres dissonants. Comme je suis un regard qui tente de se sp�cialiser dans le sp�cifique, je dis qu'il faut choisir et que c'est la seule chose sp�cifique qui soit acceptable. Ou on est dans le lib�ralisme et alors on fait comme dans les pays lib�raux, y compris et surtout pour la libert� de la presse. Dans ce cas, on d�p�nalise les d�lits de presse et jamais on ne met un journaliste en prison et jamais surtout on ne d�guise grossi�rement la p�nalisation de l'expression en d�lit de droit commun. Ou alors on est dans un r�gime autoritaire qui ferme la presse, s'entend parler lui-m�me � lui-m�me, dirig� par des hommes messianiques qui ne savent ni ne peuvent se tromper, il faut, � ce moment-l�, renationaliser les entreprises d�nationalis�es, reprendre les travailleurs licenci�s avec les lettres de cachet du FMI, revenir � un minimum de s�curit� sociale, mener une politique sociale contre le ch�mage. Je veux bien rester un ringard car, au moins, c'est plus lisible qu'un demi-ringard, c'est-�-dire un ringard sp�cifique. A. M.