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ICI MIEUX QUE L�-BAS
Marseille sous la pluie Par Arezki Metref [email protected]
Publié dans Le Soir d'Algérie le 13 - 11 - 2005

Matin poisseux. Il bruine sur les tuiles patin�es. Au loin, les cloches sonnent dans le boulevard des tympans. La mer, sur le Vieux Port, broie du bleu sombre. C'est le 12 novembre, tu vois. C'est le lendemain de l'anniversaire de l'armistice. J'ai toujours entendu, dans la bouche de la g�n�ration de nos p�res, prononcer ces bornes d'une guerre qui a inaugur� le si�cle comme un code : 14-18. Comme dit l'autre, c'est dans la m�moire qu'il pleut.
Selon les journaux qui y ont bien s�r dirig� leurs coups de projecteur, seuls 5 ou 6 �poilus� seraient encore en vie. C'est par ce surnom capillaire qu'on d�signait les �petits gars� qui allaient se faire massacrer dans les tranch�es de l'Est. Toujours selon les journaux, le gouvernement fran�ais redoute que le long week-end du 11 novembre ne soit propice � l'investissement de Paris par les jeunes �meutiers des banlieues. Des marches pour la paix sont organis�es dans les principales villes de France, Paris en t�te. Ce copain fait dans l'humour noir : �On va finir par un r�f�rendum sur la paix et la r�conciliation nationale�, l�che-t-il, pince-sans-rire. Ce qui est effarant dans cette histoire d'�meutes, c'est qu'ici, comme l�-bas, on n'�coute pas. �a fait des lustres que des sociologues pr�viennent qu'un jour la marmite va exploser. Elle explose. Et comme l�-bas, ici aussi ce malaise terrible qui conduit au d�sespoir devient un enjeu dans les joutes politiques. Aucun bus ne roule � Marseille, aujourd'hui. Les conducteurs sont en gr�ve. Alors, on se d�place � pied ou en bagnole. �a fait des bouchons partout. Et puis, seulement pour cet apr�s-midi, il y a une marche du Mrap, une conf�rence sur la question berb�re dans le quartier qu'on appelle �les Puces� � cause du march�, les fameuses journ�es Averro�s. Le Rap, que tu traduis par Rassemblement pour une Alg�rie progressiste, r�unit, lui, � la salle Seita de la Friche de la belle de mai, des impavides � qui l'Alg�rie colle aux synapses, � moins que ce soit aux fibres du cour, pour parler d'Alg�rie. C'est pass� de mode, l'Alg�rie ! L'�poque est r�volue o� on d�bitait le pays, avec plus ou moins de sinc�rit�, comme un corps mort-vivant que l'on enterrait ou � qui on faisait du bouche-�- bouche en fonction des id�ologies et des scrupules. La pompe lacrymale est aujourd'hui vide. C'est pourtant maintenant qu'il faut parler d'Alg�rie car s'il y a moins de victimes du terrorisme, il y a, en revanche, une victime de l'islamisme, c'est l'�tat himself. Je me souviens de ce qu'�crivait, vers 1994, le vieux renard de Serge Michel dans Alger-Info- International. C'�tait quelque chose dans ce go�t-l� : �Les Alg�riens qui ont quitt� l'Alg�rie pour des raisons de violence politique pour se r�fugier en France peuvent enfin se reposer. Il y a des Fran�ais qui vont leur expliquer ce qui leur arrive.� Il y en a de moins en moins de ces gens qui nous reposent. Nous devons, de nouveau, nous fatiguer � comprendre ce qui se passe. Une travailleuse sociale m'explique, � la buvette, que si les quartiers nord de Marseille ne suivent pas le mouvement des banlieues, c'est gr�ce au travail des associations de terrain. Mais �a nous �loigne de l'Alg�rie. A la tribune, Malika Remouan, pr�sidente de l'Afepec (Association f�minine pour l'�panouissement de la personne et l'exercice de la citoyennet�), bas�e � Oran, fait part de leur travail avec des femmes du quartier populaire �Victor- Hugo�. Elle introduit l'exp�rience de son association �comme il n'en existe pas en Alg�rie� par un bref historique du mouvement des droits des femmes en Alg�rie de ces trente derni�res ann�es. Comme dans tout travail militant, elle explique les choses en les simplifiant. L'essentiel, c'est le message essentiel, disait mon prof de �techniques r�dactionnelles de presse�. Le d�bat est plut�t chaud. Connaissez-vous un d�bat qui a, de pr�s ou de loin, un rapport avec l'Alg�rie qui soit serein ? Dans la cour bitum�e, des groupes se forment pour d�battre du d�bat. Il pleut, toujours. Chacun � son Alg�rie et chaque Alg�rie est unique. H�ritage du FLN, cette manie de ne vouloir dialoguer qu'avec ses termes � soi ? Peut-�tre. Deux syndicalistes, l'un du Snapap et l'autre du Cnapes, font part de l'exp�rience de syndicats ind�pendants qui butent sur un retour � l'h�g�monisme de la Centrale, inf�od�e au pouvoir. Comme le mouvement pour le droit des femmes, les syndicats autonomes n'ont pas droit � la parole parce qu'ils militent pour le contraire de l'autoritarisme. Il y a d'autres mouvements, comme celui pour la libert� de la presse qui se r�duit comme peau de chagrin mais qui persiste quand m�me. Tout � l'heure, Hassane Zerrouky va exposer son analyse sur la place de la presse ind�pendante dans la construction d'une soci�t� d�mocratique. Puis, on parlera de �la travers�e�. Pas le roman de Mouloud Mammeri. C'est un projet radio entre les deux rives, qui se passe dans un bateau. Tu prends la rue int�rieure. Tu d�passes le cabaret al�atoire. Une feuille 21X27 pr�cise au stylo bleu : couscous clan ! C'est quoi, �a ? Un resto ? Radio Gal�re, tu y acc�des en tapotant sur un digicode. Je prends l'escalier en lisant le d�pliant du Rap : �La r�sistance des diff�rents secteurs de lutte de la soci�t� est la condition n�cessaire de l'entr�e de l'Alg�rie dans la phase d'�dification d'une soci�t� d�mocratique�. Marseille, c'est une entr�e et une sortie. C'est cette ville paradoxale qui ressemble tellement aux tiennes que le seul exil que tu ressens est un exil int�rieur. Il y a des pages sublimes dans Transit d'Anna Seghers sur cette impression d'�tre, � Marseille, chez soi sans y �tre. Mais ce que je ne savais pas, c'est qu'il pouvait pleuvoir � Marseille.

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