Par Ahmed Halli [email protected] La laïcité, ce vilain mot disparu de notre lexique démocratique, et dont la simple prononciation en arabe, «al-ilmaniya», vous met le feu aux narines, est abusivement assimilée à l'athéisme. Cette classification de fait par les «saintes chapelles» de l'islam sunnite et chiite, pour une fois réunies, s'est imposée comme dogme intangible dans tout le monde musulman. Le mot fait tellement peur que des courants démocratiques, qui croient en la nécessité de séparer religion et politique et militent dans ce sens, n'osent plus se référer directement à ce concept. Ainsi, les égyptiens ont mis au goût du jour le projet de «Dawla madania», qui renvoie à l'Etat laïque dans sa formulation arabe, mais ne lasse pas d'étonner dans sa traduction française «Etat civil». Selon qu'il s'énonce dans sa première lettre en majuscule, ou en minuscule, sa qualité première dans nos contrées, «l'Etat civil» des Egyptiens peut prêter à sourire, confrontés que nous sommes aux errements de notre état civil. D'autres préfèrent l'habiller plus décemment en l'engonçant dans la démocratie, terme plus seyant et moins rebutant. Il est même question désormais de «laïcité voilée» dans certaines communautés musulmanes fondamentalistes en Occident, qui veulent accommoder les systèmes politiques en place à leurs règles. On est alors dans le système des «accommodements raisonnables», auquel se prêtent actuellement les autorités du Québec, et qui consiste à laisser s'installer un nouvel apartheid, sous couvert de respect de la liberté religieuse. Il s'agit plus clairement, pour ces immigrés qui croient fermement en la prédominance future de l'Islam en Occident, d'y poser les premiers jalons en imposant le voile et la polygamie. Deux attributs que des musulmans, conscients ou non, rétribués ou non, travaillent avec le plus d'acharnement à rattacher à l'Islam, tel que le monde doit le voir. C'est cet Islam-là que la Turquie présente d'une main à l'Europe et à l'Occident, tout en tenant de l'autre main dissimulée derrière le dos, le drapeau de l'islamisme, alloué à Daesh. Alors que c'est la Turquie qui frappait avec insistance à la porte d'une Europe circonspecte, il y a quelques années, c'est désormais l'Europe qui courtise la Turquie et lui ouvre ses portes. Accueillons la Turquie nouvelle, avec son arrogant Erdogan, qu'il est interdit de critiquer, et ses jeunes filles pudiques aux voiles multicolores, l'uniforme de l'islam validé par l'Europe ! Alors que Mme Merkel concélébrait ces fiançailles douteuses, entre une Turquie islamiste et une Europe de plus en plus islamophobe, le pays d'Atatürk prépare derrière le hidjab les funérailles de la laïcité. Lundi dernier, le président du «Grand Parlement» turc, Ismaïl Kahramane, considéré comme reflétant les vues du Président Recep Tayyip Erdoğan, a lancé : «Nous sommes un pays musulman !» Par conséquent, la prochaine Constitution de la Turquie devra être religieuse, et la laïcité, comprise évidemment comme synonyme d'athéisme, ne devra pas y figurer, a proclamé Kahramane. Notre confrère kurde, Abdallah Jassem Kiriani, rappelle dans le magazine Elaph les précédentes tentatives islamistes pour changer le caractère laïque de l'Etat turc. Il souligne que l'actuel Président de la Turquie n'a jamais fait mystère de ses intentions de mettre fin à la laïcité, en introduisant des changements progressifs dans les lois et règlements en vigueur. Tout comme il a pour objectif de doter le pays d'une nouvelle constitution plus conforme à son idéologie, et où figurerait sans doute l'Islam comme religion de l'état. Finalement, note-t-il, tous les tenants de l'Islam politique se ressemblent, et il n'y a aucune différence entre islamistes, qu'ils soient éclairés, modérés, démocrates, ou autres qualificatifs. Ce ne sont que des noms qui leur ont été attribués, alors que leur réalité démontre le contraire, ils font comme dans le feuilleton égyptien «ils jouent les pauvres, quand ils ne peuvent agir autrement». Autrement dit, ils se courbent sous la tempête, font profil bas, et dès qu'ils se sentent suffisamment forts, ou que la conjoncture s'y prête, ils redressent la tête et passent à l'offensive. C'est d'ailleurs leur drapeau islamiste, dans sa version saoudienne sur fond vert au lieu du noir, qui est apparu lundi 25 avril, lors des manifestations du Caire célébrant la «libération» du Sinaï. Le plus étonnant, c'est que ce sont des partis égyptiens qui ont distribué à leurs militants et sympathisants des drapeaux saoudiens, sous prétexte de célébrer l'amitié entre les deux pays. Il s'agissait, en fait, de répliquer aux Egyptiens qui avaient manifesté contre la rétrocession des îlots de Tiran et Sanafir à l'Arabie Saoudite, lors de la visite du roi Salman au Caire. L'un des plus célèbres chroniqueurs de télévision, Ibrahim Aïssa, s'est indigné de cette intrusion du drapeau saoudien, «à croire qu'il s'agissait de célébrer la libération de Tiran et non du Sinaï». Il a rappelé que des égyptiens avaient été condamnés à des peines de prison en Arabie Saoudite, parce qu'ils avaient brandi des drapeaux égyptiens lors d'une célébration. «Paradoxalement, ce sont ceux-là mêmes qui ont manifesté contre le traitement réservé à leurs concitoyens par l'Arabie Saoudite, qui ont brandi lundi dernier le drapeau saoudien», a souligné Ibrahim Aïssa, dans sa chronique quotidienne sur la chaîne privée Al-Kahéra Wal-nass. Ce sont aussi les mêmes qui ont protesté quand les salafistes ont arboré l'emblème saoudien, lors de la manifestation dite du «Vendredi de Kandahar», sur la célèbre place Tahrir, a renchéri un autre chroniqueur Mohamed Dessoki, sur la chaîne égyptienne Al-Nahar. Il a noté que la police avait été très coopérative avec les porteurs du drapeau saoudien, alors qu'elle avait molesté ceux qui brandissaient le drapeau égyptien. «Un jour de honte et d'humiliation pour l'égypte», a conclu le chroniqueur. Réaction d'orgueil légitime, mais un tantinet tardive, sachant qu'avant de servir aux manifestations de rues, le drapeau saoudien, ou islamiste, si vous préférez, flottait déjà au-dessus d'Al-Azhar.