Par Ahmed Halli [email protected] La riposte n'a pas tardé : l'Arabie Saoudite a convoqué, samedi dernier, le ban et l'arrière-ban des fidèles du wahhabisme pour riposter à l'excommunication de Grozny. Comme il fallait sauver les apparences et ne pas donner l'impression d'un rassemblement d'affidés, la rencontre a eu lieu à Koweït. A la conférence de Grozny, en Tchétchénie, qui s'est tenue le mois dernier, avec la présence active et remarquée d'Al-Azhar, le wahhabisme avait été exclu du sunnisme. Exclusion purement formelle, considérant l'emprise efficiente et durable que l'Arabie Saoudite exerce sur le monde musulman, en général, et sur la communauté sunnite, en particulier. La monarchie wahhabite et ses cheikhs se sont sentis doublement visés puisque la conférence a également exclu les autres courants intégristes, en particulier les Frères musulmans. Les théologiens saoudiens ont vivement réagi aux conclusions de la conférence de Gronzny, y voyant la signature du russe Poutine et de l'Egyptien Al-Sissi, dont la collusion leur a paru manifeste. Les cheikhs wahhabites se sont particulièrement déchaînés contre l'Université Al-Azhar, et à travers elle le Président égyptien, suggérant des sanctions financières contre l'Egypte. La colère saoudienne a d'autant plus été ravivée par les réactions de personnalités chiites, dont celle de l'Irakien Muqtada Sadr, qui avait salué les décisions de la conférence de Gronzny. Le leader chiite avait particulièrement souligné le rôle du recteur d'Al-Azhar, pour «la justesse de certains de ses choix». L'Arabie Saoudite, enlisée dans la guerre du Yémen et engagée dans une bataille religieuse contre le chiisme, dans la quasi-totalité des pays musulmans, devait reprendre la main. A Gronzny, il s'agissait de connaître ou de reconnaître «qui faisait partie de la Sunna et du consensus», alors que Koweït a répliqué avec «la vraie définition de la Sunna et du consensus». Ainsi, la déclaration de Gronzny, à laquelle il est fait implicitement référence, est nulle et non avenue, et son seul objectif est de diviser le sunnisme. Les Saoudiens, toujours soucieux de ne pas trop se mettre en avant, ont confié la présidence de la conférence à Ahmed Benmérabet, mufti de la Mauritanie, où la tolérance religieuse est légendaire. C'est le cheikh Abdelaziz Saïd, de «l'Université de l'imam Mohamed ben Saoud» qui a lu le communiqué final, dont le contenu reflète idéalement les idées et l'irrédentisme wahhabites. Ainsi est-il dit que «les gens de la Sunna et du consensus» répondent à plusieurs appellations, dont celle de «salafistes», autrement dit, le sunnisme c'est le salafisme, comprendre le wahhabisme et vice-versa. Le salafisme, ajoute-t-on, est une doctrine ancienne «qui n'est pas l'œuvre de l'imam Ahmed (Ibn Hanbal), d'Ibn Taymia, ou d'Ibn Abdelwahab. C'est la voie des Compagnons et de leurs successeurs». Au passage, le communiqué nie qu'il y ait une quelconque relation entre Ibn Taymia et Ibn Abdelwahab, «des réformateurs» et les extrémistes qui se réclament d'eux. Pour la conférence de Koweït, il ne s'agit plus désormais de désigner le salafisme comme un des courants du sunnisme, mais de l'identifier comme l'essence du sunnisme. Le communiqué saoudien appelle, donc, tous les courants musulmans à revenir à la «Sunna originelle», comme l'avait fait jadis Al-Ash'ari, «qui renonça à la dialectique et revint au salafisme». Là, il s'agit d'une ultime flèche à destination de l'université cairote qui a joué un rôle éminent à Grozny et dont la théologie se réclame de la doctrine asha'arite. En conclusion, et selon la tradition, la déclaration de Koweït met en garde contre le rigorisme, l'extrémisme sous toutes leurs formes, ainsi que la révolte contre le dirigeant musulman, même s'il est tyrannique. Cette révolte est déclarée illicite et les manifestations, ainsi que les révolutions menées contre des dirigeants musulmans sont également condamnables. Et comme il fallait se référer encore à l'actualité du moment, les participants ont condamné l'agression des Houtistes contre les Lieux Saints. Puisque tout sunnite est subséquemment wahhabite, ou si vous préférez salafiste ou fondamentaliste, vous apprécierez les dernières évolutions saoudiennes en matière de droits féminins. Répondant aux nombreux appels sur les réseaux sociaux à supprimer la tutelle masculine imposée aux femmes du royaume, le cheikh Mohamed Al-Arifi a répondu non ! Pour lui, ceux qui demandent la suppression de la tutelle réclament en réalité la fin de la suprématie de l'homme, telle qu'énoncée dans le Coran, et qui est une responsabilité et non pas un honneur. La suprématie impose à l'homme de prendre en charge sa famille et d'en assurer la responsabilité, «cela n'implique pas la marginalisation ou la négation de la femme». S'agissant de la tutelle, le cheikh a souligné que sa suppression est aussi en contradiction avec l'injonction divine sur le mariage conditionné à l'accord préalable des parents ou des proches. «La tutelle octroyée au père ou à quelqu'un d'autre, pour son mariage, est un honneur pour elle et une responsabilité qu'il assume avec elle, et pour son bien.» Avec de telles vérités, il ne faut plus s'étonner de voir Daesh et consorts se comporter comme ils le font avec les femmes, en n'importe quel endroit du monde. Mais comme nous sommes tous des salafistes, désormais, toute indignation est sans doute malvenue et inutile !