«L'évènement africain» tant attendu par Alger a finalement été le théâtre d'une succession d'évènements incroyables qui révèlent l'ampleur de la fragilité des structures et institutions d'Etat dans le contexte politique que traverse le pays. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - Les incidents qui se sont déroulés samedi en fin d'après-midi au Palais des Nations sont d'une gravité extrême. Le Forum économique africain est une rencontre considérée par les autorités algériennes comme étant un évènement de grande importance qui se prépare depuis plus de cinq mois et pour lequel des moyens humains et matériels colossaux ont été dégagés. Seulement voilà, quelques moments après l'ouverture solennelle annoncée par le Premier ministre, un scénario, jusque-là impensable, se produit. Abdelmalek Sellal qui s'assoit pour assister à la suite des interventions décide de se raviser et de quitter la salle lorsque le patron du FCE (Forum des chefs d'entreprises) entame à son tour son allocution. Tous les ministres algériens présents le suivent spontanément. Le corps diplomatique accrédité en Algérie en fait de même. Des invités interloqués par la scène incroyable qui se produit suivent le mouvement qui, à leurs yeux, augure d'une situation singulière. Ali Haddad poursuit son discours le plus calmement du monde devant une assistance vidée de tout représentant du gouvernement. Les organisateurs paniquent mais tentent tout de même de fournir aux journalistes une explication «plausible» à l'incident qui vient de se produire. Il est mis sur le compte d'un problème de protocole, imputé à une modératrice qui aurait inversé les rôles dans la présentation du programme d'intervention... Certains évoquent la surprise et même la colère du ministre des Affaires étrangères qui a ainsi vu son tour d'allocution «sauter» au profit de Ali Haddad. Les chaînes de télévision privées retransmettent en direct les incidents qui se produisent. Des informations sûres attestent cependant que le retrait du Premier ministre et des autres ministres présents n'a que très peu de liens avec la maladresse de l'animatrice. Selon des sources bien au fait de la situation, le gouvernement et à sa tête Abdelmalek Sellal a en fait réagi en signe de désapprobation face «au comportement affiché par le patron du HCE durant toutes les étapes de préparation du Forum». Selon ces mêmes sources, le FCE aurait tenté de s'accaparer l'évènement et d'en faire «une rencontre qui tourne uniquement autour de son organisation et de l'orienter en fonction d'objectifs qui lui sont propres». Selon les mêmes informations, l'attitude du responsable du Forum des chefs d'entreprises a provoqué la colère du ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, qui a convoqué une réunion de dernière minute, mercredi dernier, pour remettre les pendules à l'heure et réaffirmer que cette rencontre pour laquelle son ministère travaille d'arrache-pied depuis de longs mois «doit s'inscrire uniquement dans des objectifs nationaux et concerne le privé dans sa globalité et pas seulement le FCE». Peu de temps auparavant, une autre mise au point, venant cette fois-ci du Premier ministre et du président de la République, a été adressée aux secteurs chargés de l'organisation de l'évènement afin qu'ils évitent de donner toute connotation politique à la rencontre africaine. «Seuls des ministres portant des porte-feuilles économiques ont été invités», nous précise-t-on. «Il est cependant déplorable de constater que la part de travail que devait entreprendre le FCE n'a pas été menée comme il se doit, pour ne pas dire pas menée du tout. Les invitations n'ont pas été adressées à temps, ou transmises par email, il a très peu participé aux frais de l'organisation de cet évènement, et a même refusé que se déroule une exposition avec tous les produits nationaux. Ce sont les affaires étrangères qui ont été obligées de rattraper comme elles l'ont pu les dégâts occasionnés par une telle attitude. Le MAE a pu ramener plus de 1 000 personnes d'Afrique. Le comportement du FCE a par ailleurs eu des répercussions très visibles au niveau du Forum, c'est la débandade, l'anarchie, regardez un peu ce qui s'est passé au niveau de la préparation des badges, c'est lui qui était en charge de préparer tout cela. Il y a eu sabotage.» Abdelmalek Sellal et les ministères concernés ont été régulièrement informés de ce qui se passait. Samedi soir, et constatant de visu le cafouillage qui a eu lieu à l'ouverture du Forum africain, le Premier ministre décide de se retirer dès la première phrase prononcée par Ali Haddad. Le feu vert est donné aux autres ministres présents qui lui emboîtent le pas. Une manière de briser le joug, de se révolter contre celui qui semblait avoir jusque-là toute la latitude de peser de tout son poids auprès de certains ministres ? Difficile d'oublier les audiences accordées par tous les ministres à Ali Haddad peu de temps après son accession à la tête du FCE. Seul Youcef Yousfi, alors en poste, avait refusé de le recevoir en expliquant que s'il devait le faire, il aurait reçu en même temps toutes les organisations patronales «pas seulement le FCE». Entre le gouvernement et le FCE, la guerre semble ouverte même si Ali Haddad a tenu hier à minimiser l'incident en le mettant sur le compte «d'une petite maladresse de l'animatrice concernant le déroulement du programme». Dans une interview livrée au site électronique TSA, il explique : «Dans le programme, le Premier ministre devait prononcer son allocution avant de quitter la salle pour ses obligations gouvernementales. L'animatrice devait l'annoncer avant de me demander de monter sur scène. Sauf que quand elle a vu le Premier ministre s'asseoir, elle a cru qu'il avait changé de programme et décidé d'assister à toute la conférence. Elle m'a donc invité à monter sur scène. J'avais moi-même cru que le programme avait changé. Donc, j'entame mon discours et je n'ai pas vu ce qui s'est passé dans la salle par la suite. J'étais très à l'aise. Et il n'était pas prévu que le ministre des Affaires étrangères intervienne». «Pour ce qui est du FCE, poursuit-il, je peux dire qu'il a très bien fait son travail. Nous avons pu accomplir toutes les tâches qui nous ont été confiées. Mais je vous rappelle que c'est la première fois qu'un événement de cette dimension se tient en Algérie. Evidemment, nous ne sommes pas hyper-professionnels. Le comité a décidé que tout soit fait par des Algériens. Evidemment qu'il y a eu des maladresses et des gens qui n'étaient peut-être pas contents. Pour moi, c'est une réussite !»