Mouvementée ; c'est le moins que l'on puisse dire sur l'année qui vient de s'écouler. Le secteur de la culture a particulièrement vibré au rythme de l'instabilité politique et économique, mais aussi à cause des nombreuses disparitions qui ont endeuillé la famille artistique. L'inauguration de l'opéra d'Alger, la relance du tournage du film Ben M'hidi, une tendance annoncée à lever la mainmise étatique sur la production culturelle, une belle moisson pour les films algériens dans les festivals internationaux, un impact médiatique et social considérable pour les initiatives indépendantes, etc. Autant de belles choses qui ont jalonné l'année 2016 ne sauront pourtant occulter les innombrables dérives et carences gestionnaires dont se sont rendus coupables les responsables du secteur. LES HAUTS Un marché ressuscité A l'occasion d'une exposition pas comme les autres, un lieu tout aussi exceptionnel est revenu à la vie en avril 2016. Il s'agit du marché Volta, désaffecté depuis des dizaines d'années, qui a abrité la troisième édition de «Picturie générale», une exposition collective, parrainée par l'écrivain Samir Toumi, qui se déroulait habituellement au sein de son espace «La Baignoire». Entièrement indépendant, l'événement a prouvé, au fil de ses trois ans d'existence, une certaine volonté de rupture avec le mode d'organisation de ce genre de manifestations. Sauvage, atypique et iconoclaste, l'exposition l'est non seulement par son contenu, mais aussi par la manière de faire. Le lieu est donc à l'image des stylistiques des artistes : improbable et fascinant., La crise : une bénédiction ? La crise économique que vit l'Algérie a fini par convaincre, ou plutôt forcer, le gouvernement à lever le pied quant aux dépenses compulsives en matière de festivals. Malgré une apparence de générosité, cette pratique a longtemps verrouillé le champ culturel et est devenue un véritable outil pour «filtrer» les bons et mauvais créateurs, selon qu'ils soient politiquement corrects ou dérangeants. Avec les mesures d'austérité qui ont contraint la tutelle à supprimer un bon nombre de festivals et à en transformer d'autres en biennales, plusieurs analystes et experts en politique culturelle estiment que ce sera l'occasion pour le secteur indépendant d'occuper le terrain. Jugée comme une malédiction, la rente pétrolière a, en effet, érigé en système et en automatisme la dépendance financière complète de la production culturelle vis-à-vis de l'Etat. Ce dernier n'étant plus en mesure de dépenser des milliards pour l'événementiel et la subvention des films, les acteurs, dans tous les domaines, pourraient découvrir les bienfaits de l'indépendance économique, bien qu'elle s'accompagne certainement de difficultés inhérentes à tout apprentissage de la liberté ! Un atout capital Offert en cadeau par l'Etat chinois, l'opéra d'Alger est un précieux acquis pour la vie culturelle dans la capitale. La nomination du grand compositeur Noureddine Saoudi à la tête de cette infrastructure est perçue comme un choix judicieux, susceptible de garantir une programmation exigeante et une qualité organisationnelle appréciable. Par ailleurs, plusieurs festivals de musique s'y tiendront désormais, assurant ainsi une meilleure capacité d'accueil et une qualité technique et acoustique supérieure. Ben M'hidi, l'éternel retour Lancé en mars 2015, le tournage du long-métrage de fiction dédié à Larbi Ben M'hidi a été un véritable parcours du combattant pour l'équipe du film, selon les nombreuses et successives interventions médiatiques de son réalisateur et coproducteur, Bachir Derraïs. Ce dernier souligne d'ailleurs le caractère ambitieux et inédit de ce projet qui sera «le plus grand film jamais réalisé sur un personnage historique», toujours selon B. Derraïs. Après plusieurs retards et suspensions de tournage, celui-ci a repris en octobre dernier, suite notamment à une réunion avec le ministre de la culture, qui a abouti au déblocage du budget nécessaire. La sortie du film est donc annoncée pour mars 2017. LES BAS Cinéma : la censure de trop Lors des dernières Rencontres cinématographiques de Béjaïa tenues du 3 au 9 septembre 2016, le film documentaire Vote off de Fayçal Hammoum a été tout bonnement interdit par le ministère de la Culture. Evénement indépendant, les RCB ont dû néanmoins céder aux desiderata de la tutelle à la faveur de la loi sur le cinéma promulguée en 2011 et qui exige une autorisation préalable à la diffusion d'un film pour un grand public. Le documentaire, axé sur la campagne présidentielle de 2014, n'a pas reçu ledit document et a même été accusé par un communiqué du ministère de «porter atteinte aux symboles de l'Etat et de sa souveraineté», une accusation grave qui aurait pu valoir au réalisateur et au producteur de sérieux déboires avec la justice si celle-ci s'était autosaisie. Ce cas de censure marque une véritable escalade dans la guerre, naguère discrète, menée contre les images cinématographiques discordantes dans la mesure où elle atteint, cette fois-ci, une manifestation indépendante qui ne s'est jamais rangée sous la tutelle du ministère de la Culture. Par ailleurs, le cinéclub «Ciné-qua-none» avait programmé le même film pour novembre dernier avant de se rétracter le 6 décembre, en évoquant laconiquement «une erreur» et en annonçant l'annulation de la projection. JCC : le flop algérien Les 50es Journées cinématographiques de Carthage ont connu cette année un curieux absentéisme algérien : seulement deux longs-métrages étaient en compétition dans la section parallèle de la première œuvre. Dans un entretien accordé au Soir d'Algérie, le directeur des JCC, Brahim Letayef, s'était lui-même étonné de cette faible participation en affirmant que les services de programmation de l'événement n'ont pas reçu de films algériens. Déclaration démentie, entre autres, par le réalisateur Damien Ounouri, qui assure avoir envoyé son court-métrage Kindil. En tout cas, l'Algérie s'est faite beaucoup plus remarquée par la vidéo de l'actrice Bahia Rachedi qui, en larmes, a dénoncé des conditions d'accueil indignes tandis que les réactions sur les réseaux sociaux variaient entre colère et dérision : en effet, faisant partie de l'équipe du film Saint Augustin, projeté en dehors des JCC, l'actrice semblait néanmoins exiger un accueil fastueux, uniquement en sa qualité d'Algérienne ! Le FDATIC : coquetterie sémantique ! Gel ou plafonnement ? Après l'annonce par certains médias de l'arrêt des subventions du Fonds du développement de l'art, de la technique et de l'industrie cinématographique (Fdatic), un responsable du ministère de la Culture réplique, en déclarant qu'il s'agit plutôt de «plafonnement» : en effet, le ministère du Commerce a, selon lui, indiqué un seuil de 100 millions de dinars à ne pas dépasser pour l'exercice 2016. Or, certains réalisateurs comme Damien Ounouri et Karim Moussaoui qui avaient bénéficié de la subvention, n'ont toujours pas reçu la dernière tranche du budget. D'autres voix s'élèvent pour souligner que le Fdatic est un fonds censé être «intouchable» car ne dépendant pas des budgets et lois de finances fixés par l'Etat. Ibn Badis : énième pied de nez Contrairement aux projets à petits budgets menés par de jeunes réalisateurs algériens talentueux, les méga-productions, chapeautées par le ministère de la culture, ne semblent pas souffrir des mesures d'austérité. C'est le cas du film Ibn Badis qui, non seulement, va dévorer un budget considérable, mais est aussi confié à un réalisateur étranger, syrien évidemment. Il s'agit de Bassil El-Khatib qui s'est fait connaître dans le domaine strictement audiovisuel avant de faire une incursion plus ou moins ratée dans le champ cinématographique, avec son premier long-métrage Meriem. Malgré la profusion de jeunes cinéastes animés d'une verve artistique capable de donner un nouveau souffle à ce genre cinématographique, le ministère a préféré faire appel au réalisateur syrien. Chose qui soulève l'ire de nombreux acteurs du domaine qui y voit une énième preuve de l'allégeance culturelle prêtée par l'Algérie aux pays du Moyen-Orient, au mépris des compétences locales. L'HOMME-FEMME DE L'ANNEE Hassan Metref et les Racontaristes Incontestablement, le Festival Racont'art, dont la 13e édition s'est tenue en juillet dernier au village Souamaâ, dans la commune de Bouzeguène, en Kabylie, est l'événement le plus iconoclaste et indépendant en Algérie. Depuis sa création en 2003, il sillonne les villages de Kabylie et y invite des artistes et écrivains algériens et étrangers à faire vivre aux villageois une semaine entière de création, de divertissement et de rencontres enrichissantes. Les invités sont logés chez l'habitant, qui assure également la restauration dans une ambiance authentique et généreuse. Né à Béni Yenni il y a treize ans, Racont'art a ensuite traversé une dizaine de localités, à l'instar de Djemaâ Nsaridj, Taourirt Mokrane, Agoussim, Iguersafene, Aït Smaïl, Les Ouadhias, Ighil Bwammas, Bouzeguène et Souamaâ, alors que la prochaine édition est prévue à Ath Ouabane, dans la région de Aïn El-Hammam. Biyouna Malgré la cabale dont elle est victime depuis quelques années dans son pays, l'actrice et humoriste Biyouna est remontée sur les planches en octobre dernier, dans une première expérience de mise en scène. Mon cabaret raconte l'histoire d'une tenancière de cabaret qui fête la fermeture de celui-ci en invitant clients, amis et famille et en profite pour passer en revue le film de sa vie. L'humour corrosif et féroce de l'artiste est, ici, accentué par des moments d'authentique émotion et confirme Biyouna dans son statut de femme libre et incontrôlable. Se distinguant de l'ensemble de la scène artistique algérienne dite populaire, plutôt nécrosée par le politiquement correct, elle est quasiment la seule à ne pas se soumettre aux nombreux tabous et autres restrictions morales imposées tacitement ou officiellement aux artistes. Actrice talentueuse, notamment devant la caméra de Nadir Moknèche qui a réussi à la sublimer et à faire sortir le meilleur d'elle-même après tant d'années d'abêtissement dans les sketchs ramadanesques de la télé publique (dont elle nous dira en riant : «Ils m'ont prise pour une zlabia»), elle se révèlera, tout aussi incontournable, comme comédienne de théâtre avec son premier spectacle Biyouna en 2012 et, cette année, en tant que metteure en scène avec Mon cabaret, dont la générale, longuement applaudie, a eu lieu au prestigieux Palais des Glaces à Paris. Ils nous ont quittés en 2016 C'est au printemps que l'hécatombe a commencé pour une année, sans doute l'une des plus tristes pour la scène artistique et notamment musicale en Algérie. Le 3 avril, l'acteur et comédien Benyoucef Hattab décède à l'âge de 86 ans après une cinquantaine d'années vouées au théâtre radiophonique et au cinéma. Le lendemain, le 4 avril, l'écrivain Chabane Ouahioune tire sa révérence à 89 ans, laissant une dizaine de romans dont le dernier, L'aigle des rochers, est terminé peu avant sa mort. Le 14 juin, l'auteur Hachemi Larabi s'en va, trois ans après avoir publié son récit Chroniques d'un Algérien heureux, qui retrace, à travers un style autobiographique, soixante-dix ans de l'histoire de l'Algérie. Le 5 septembre, l'artiste de musique andalouse, Mohamed Benchaouch, décède après cinquante ans d'enseignement de musique au sein du Conservatoire d'Alger. Le 17 du même mois, le poète et critique littéraire Hamid Nacer-Khodja disparaît prématurément à l'âge de soixante-trois ans alors qu'il avait encore beaucoup à donner, notamment dans sa passion de toujours : la vie et l'œuvre du poète Jean Sénac dont il était devenu le spécialiste incontesté. Le 3 novembre, l'auteur-compositeur-interprète kabyle Lounès Kheloui nous quitte suite à une longue maladie laissant derrière lui un répertoire chaâbi lumineux. Une vingtaine de jours plus tard, c'est le comédien Hamid Remmas qui tire sa révérence à l'âge de 67 ans après avoir marqué la mémoire du théâtre et du cinéma algérien. Le mois de novembre se termine avec une disparition qui sera sans doute la plus douloureuse pour l'ensemble des mélomanes algériens : le maître du chaâbi Amar Zahi, septuagénaire, s'en va avec la même discrétion quasi ascétique qui a marqué sa vie. Accompagné à sa dernière demeure par des milliers d'Algérois, l'artiste aura laissé une trace indélébile dans la mémoire de l'art musical mais aussi dans celle du peuple, le sien, qui gardera l'image d'un virtuose atypique, spirituel et désintéressé. Enfin, l'année est sur le point de s'achever quand, le 7 décembre, la scène artistique apprend le décès du maître du malouf Mohamed Tahar Fergani, qui meurt à Paris à l'âge de 86 ans.