Depuis le début des années 2000, le plaisir de savourer la messe du football africain a souvent été gâché pour les Maghrébins. Chacun s'est débrouillé à sa manière pour trouver une solution. Certains ont bataillé pour se trouver une place dans des cafés qui sont bondés à l'occasion. D'autres ont bidouillé leur parabole pour la fixer sur une chaîne... tchadienne ou soudanaise, si par chance elles diffusaient les matchs. Seuls les plus aisés auront le privilège de regarder les matchs tranquillement sur leur canapé. Bein Sports leur permettra de suivre tous les matchs de la compétition contre un abonnement. La retransmission des Jeux olympiques et de la Coupe du monde de football est généralement assurée par les chaînes publiques, à défaut par les chaînes privées non-payantes. Assurer aux téléspectateurs la gratuité de ces événements marquants, revêt une dimension politique en rapport avec la bataille contre l'emprise du «sport-business». En Allemagne, les chaînes publiques allemandes ZDF et ARD avaient entamé un forcing contre Bein Sports lors de la dernière Coupe du monde au Brésil. Les Qataris, qui n'ont jamais participé à cette compétition, voulaient à tout prix empêcher les chaînes allemandes de diffuser gratuitement les matchs sur la région MENA. Sans cela, les Algériens n'auraient pas pu voir l'exploit de leur équipe nationale contre la Belgique et la qualification historique pour les huitièmes de finale de la compétition. Le constat est affligeant. Aucune agence africaine de marketing sportif ne détient les droits liés à la CAN ! C'est le groupe Lagardère qui en est propriétaire, via Sportfive, sa filiale spécialisée dans la gestion des droits marketing et audiovisuels sportifs. La Confédération africaine de football (CAF) lui a accordé un monopole sur le football africain depuis 2008. En 2016, ce monopole a été reconduit jusqu'en 2028. Un privilège facilité par Issa Hayatou, le sulfureux président de la CAF. Surnommé le «Blatter africain», il règne d'une main de fer sur le football africain depuis trente ans, malgré plusieurs accusations de corruption. Le groupe français aura bénéficié d'une mainmise qui aura duré vingt ans ! Et il ne s'en prive pas pour dicter ses conditions. L'absence d'une autorité de régulation continentale est un facteur qui laisse place à de telles dérives. Pas plus tard que ce 4 janvier, l'autorité de la concurrence égyptienne a intenté un procès contre Issa Hayatou, pour entrave aux lois de la concurrence sur l'attribution des droits de diffusion des compétitions africaines. De son côté, l'Union africaine de radiodiffusion (UAR), un organisme qui rassemble les radios et des télévisions publiques du continent, est montée au créneau afin de négocier une baisse des coûts de retransmission de cet événement populaire et d'élargir l'accès aux pays les plus pauvres du continent. La CAN coûte 2 fois plus cher que la Coupe du monde Depuis son édition de 2011, les droits de retransmission de la Coupe d'Afrique des Nations ont augmenté de 50% en 2013, puis de 20% en 2015, pour enfin se stabiliser à 1,35 million d'euros en 2017. Cette somme représente plus que le double des droits de retransmission de la Coupe du monde de 2014, pour moitié moins de matchs. L'augmentation prohibitive des droits de retransmission a empêché plusieurs chaînes publiques africaines de retransmettre la phase de qualification ou la phase finale de la compétition. C'est notamment le cas pour le Maroc, l'Algérie, la Tunisie et l'Egypte. Cette tendance inflationniste est irrationnelle au vu de l'évolution des différents championnats africains, ceux-ci ne sont quasiment pas retransmis dans le reste du monde. Ne parlons même pas de leurs revenus publicitaires. A ce rythme-là, la CAN pourrait un jour générer plus d'audience en Europe ou en Chine que sur le continent africain. Pourtant, la solution pour contrecarrer le diktat du secteur privé existe. En Amérique du Sud et en Europe, l'Organizacion de telecomunicacionesIberoamericanas (OTI) et l'Union européenne de radio-télévision (UER) ont réussi à conjuguer les efforts de leurs pays membres afin d'acquérir les droits de diffusion de leurs compétitions continentales. Il est vrai cependant que la présence des stars africaines (Aubameyang, Mahrez, Touré, Salah, Aurier, Mané, etc.) dans les équipes phares des championnats européens procure à la CAN un intérêt au-delà du continent. Mais cela reste hors de propos, on voit mal l'UEFA, l'équivalent européen de la CAF, donner un monopole de droits TV aux Chinois parce qu'ils sont friands de la Champions League.