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Enquête-Témoignages
Hommes battus, une violence inavouée
Publié dans Le Soir d'Algérie le 28 - 01 - 2017

Lorsqu'on évoque la violence conjugale, nous pensons communément, et spontanément, à la femme battue. Il ne viendrait pas à l'esprit que le bourreau ou l'agresseur pourrait être la femme. Et pourtant, c'est une violence qui existe, et ce, même dans une société aussi machiste que la nôtre. C'est avec beaucoup de honte que des hommes témoignent.
Mokhtar, 65 ans, retraité : «Je ne sais pas comment j'ai pu en arriver là»
Hommes, femmes et enfants, nous ne sommes pas égaux devant la violence. Mais les psychologues le confirmeront, en cas de violence, chaque personne s'attache à un ultime sursaut de dignité comme un rempart pour faire barrage à une quelconque torture. C'est le cas de Mokhtar, qui, d'année en année, a fait reculer l'échéance d'admettre d'être victime de violence. «Je ne pense pas que l'on puisse admettre que votre épouse avec qui vous avez partagé les durs moments de la vie puisse vous faire du mal au pire moment de votre vie. Contrairement aux autres hommes, comme me l'a expliqué mon médecin, ce n'est pas ma deuxième ou troisième épouse qui m'a torturé mais ma seule femme, avec qui j'ai vécu plus de 30 ans. Elle a toujours eu un fort caractère mais pas au point qu'un jour, elle arrive à lever la main sur moi. Avant que je ne tombe malade, je pouvais esquiver ou faire semblant de ne pas y attacher d'importance mais du jour au lendemain, elle a commencé à me faire tomber par terre, parce que je devenais une charge pour elle. Elle voulait s'occuper d'elle-même, pouvoir passer la nuit auprès de ses enfants et être prise en charge, que s'occuper encore de moi.» Mokhtar tente de reprendre son souffle en se remémorant ces moments douloureux. «Durant toute ma vie, j'ai essayé d'être un bon père et un bon mari, comme on me l'a appris. Peut-être que j'ai fait des erreurs mais je ne pensais pas que je finirai ma vie dans une situation d'isolement total et de maltraitance. Au départ, elle avait commencé à retourner mes enfants contre moi en disant que je ne dépensais pas d'argent pour le foyer et que je ne faisais pas les courses, alors mes fils ont essayé de me faire comprendre que je n'avais pas le droit à mon âge d'être avare, et qu'au contraire, je devais profiter de la vie. Et puis, je n'étais plus invité aux fêtes parce qu'elle disait à sa famille que je ne voulais plus m'y rendre, et que je devenais grincheux. Mais personne ne voulait me parler. Ensuite, elle faisait en sorte que je n'aie plus de téléphone. C'est à ce moment-là que j'ai compris qu'elle voulait m'isoler.
Mes enfants n'ont rien vu venir ou peut-être fermaient-ils les yeux, c'est plus facile de ne rien voir», ajoute-t-il, amer. «Parmi mes six enfants, deux filles et quatre garçons, personne n'a réagi sur l'absence de communication qui régnait à la maison, moi qui d'habitude parlait beaucoup. C'est mon beau-fils qui a remarqué que je maigrissais à vue d'œil et a essayé de me faire parler. Mais que pouvais-je lui dire ? Que me femme ne cuisinait presque plus, qu'elle me bousculait, qu'elle ne me parlait presque pas, que même si je n'étais pas malade, je ne pouvais rien faire pour l'obliger à changer de comportement ? J'étais prisonnier. Par la suite, elle a commencé, en plus de me bousculer, de tenter de me faire tomber par terre jusqu'au jour où j'ai eu un ecchymose au visage. C'est ce bleu, dans mon malheur, qui m'a sauvé. Mon beau-fils l'avait remarqué et m'a demandé ce qui s'est passé. Elle a répondu : ‘‘Il est tombé dans la rue. Il veut toujours sortir alors qu'il ne peut plus.'' Alors, malgré ses protestations, il m'a obligé à le suivre pour partir chez le médecin. C'est à ce moment-là, dans sa voiture, comme libéré, que j'ai commencé à pleurer comme une petite-fille et j'ai pu tout lui raconter. Au lieu de m'emmener chez le médecin, il m'a pris chez lui auprès de ma fille. Pour la famille, je suis malade et je me repose chez ma fille pour camoufler la situation. Ma femme maintenant est libre et peut faire ce qu'elle veut. Mais, au moins, je suis en sécurité.»
Zoheir, 40 ans : «Oui, ma femme était violente avec moi»
Zoheir est architecte. Bonne situation, bel homme et une bonne éducation. Bref, un bon parti. «Je voulais à tout prix faire un mariage d'amour. Je voulais vivre une belle histoire. C'est mon côté romantique ; je voulais être aux petits soins avec ma future épouse, je voulais que nous ayons une belle vie. Je ne voulais absolument pas reproduire la vie de mes parents sans communication, sans complicité et terne. Ils cohabitaient tout simplement. Donc, j'ai pris le temps de connaître ma future épouse qui était médecin. Pour moi, elle était faite pour moi. Elle était gentille, attentionnée et désirable. Tout ce que je cherchais. Juste après notre mariage, au bout de quelques semaines, elle commençait à faire de mini-crises de jalousie vis-à-vis des clients ou des membres de ma famille. Peu importe, hommes ou femmes, elle était jalouse d'un quelconque intérêt que j'accordais à une autre personne. Au départ, cela a flatté mon égo en me disait qu'elle voulait me garder uniquement pour elle. Mais une fois, au détour d'une banale conversation, elle a cassé un verre. Elle s'est vite excusée en disant que c'était dû à sa grossesse, sachant que c'était mon point faible notre futur enfant. J'ai passé l'éponge, mais ce n'était que le début d'une longue série de scènes de ménage débouchant sur le fracassement de la vaisselle.
Après son accouchement, nous avons connu un petit moment d'apaisement. Les membres de nos deux familles étaient continuellement présents. Elle était plus que charmante. Pour moi, j'ai retrouvé la femme dont je suis tombée amoureux.
Au bout de quatre mois, ces vieux démons ont repris. Elle criait pour un rien, menaçait de divorcer et de prendre notre fille sans que j'aie un droit de visite. Moi, je ne voyais presque plus personne pour éviter qu'elle soit de nouveau jalouse. Le jour où il y a eu le déclic, c'est lorsqu'elle m'a giflé parce que je n'ai pas fait chauffer le biberon assez vite. La sensation de la douleur, de la chaleur a fait tilt dans ma tête. Je lui ai pris la main et j'ai commencé à la tortiller et à l'écrabouiller. C'était plus fort que moi. Et puis, je l'ai lâchée et je suis sorti en courant de chez moi. Je suis revenu le lendemain. Elle était calme, sans réaction et je me suis moi-même excusé. Et elle m'a pardonné. Mais j'ai compris qu'il fallait la stopper pour sauver notre vie et celle de ma fille.
En discutant avec elle, je l'ai persuadée de voir un psychologue, je croyais en notre couple. Elle avait accepté et me disait qu'elle y allait régulièrement. Mais j'ai compris qu'elle me mentait lorsque ses cris ont repris et qu'elle commençait à me pousser et à me bousculer. Il m'a fallu un certain courage pour tout raconter à l'avocat, c'est lui qui m'a accompagné. Ce n'était pas seulement un homme de loi mais mon thérapeute aussi. J'ai divorcé au bout de deux années d'enfer. Je vois de façon régulière ma fille en tentant de déceler si elle fait l'objet de violence elle aussi. Pour l'instant, ce n'est pas le cas.»
Souheib, 35 ans : «Elle a changé»
Je suis une personne sensible et qui accepte l'échange. J'ai connu ma future épouse alors qu'elle était encore étudiante. Elle habitait la cité universitaire de jeunes filles et cela nous a permis de nous connaître plus facilement. J'ai vite fait d'officialiser notre relation parce qu'elle m'avait fait comprendre que lorsqu'elle retournerait chez elle, ses parents feraient en sorte qu'elle se marie très rapidement.
D'autant plus que j'étais à l'aise. Mes parents m'avaient offert un appartement et j'ai un poste stable étant dans un corps constitué. Dès notre mariage, elle a adopté la position d'une femme sûre d'elle, qui veut tout gérer et être présente dans tous les pans de ma vie, et ce, que ce soit dans ma vie professionnelle ou personnelle. Elle connaissait tous mes collègues, tous mes amis et voulait être la confidente de tous les membres de ma famille. Cela m'a flatté au départ. Et puis, elle est tombée enceinte au bout de deux mois de mariage en disant à tout le monde que c'est moi qui voulait un enfant rapidement. Durant la grossesse, dans notre intimité, elle me criait dessus parce qu'elle estimait que je ne réagissais pas rapidement. Puis après l'accouchement, elle a complètement déraillé. Elle a commencé à me hurler dessus devant les membres de ma famille. Tout le monde a tenté de réagir.
Un jour, ma cousine l'a prise en aparté et lui a demandé de ne plus adopter ce genre de comportements devant elle. Cela l'a un peu calmée mais lorsqu'elle a trouvé un emploi elle a commencé à croire qu'elle était importante et qu'elle avait un pouvoir sur moi. Là, elle avait repris ses crises de pleurs. Elle alliait les deux : la colère et la détresse. Je ne savais vraiment pas comment gérer tout cela. Alors j'ai commencé à entrer de plus en plus tard à la maison. Je faisais des parties de cartes et je sortais de plus en plus avec mes amis. C'était ma façon de me rebeller. Et cela a marché. Maintenant, nous avons deux enfants. Et nous vivons tranquillement, même si des fois elle pique de petites crises sans gravité.»


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