C'est un cri de rage que lancent les victimes contre l'irresponsabilité de ceux qui n'ont pas mesuré le désastre de leur laxisme. Aujourd'hui contaminés par le virus de l'hépatite C, des malades se confient. Rabah, 40 ans, cadre dans une entreprise publique Quand il rentrait chez lui le soir après une journée harassante, il mettait sa fatigue sur le dos d'une journée de travail sans relâche. «Il m'arrivait de ne pas dîner. Tout ce que je voulais c'était retrouver mon lit et dormir. Mais je ne m'inquiétais pas outre mesure. Mon épouse me répétait souvent de ne pas me crever à la tâche, d'aller voir un médecin, mais je n'en tenais pas compte. Après une bonne nuit de sommeil, je retrouvais la forme. Un jour, mon ami devait subir une intervention chirurgicale, rien de méchant, des calculs dans la vésicule biliaire. Je me portais volontaire pour un don de sang. Comme par hasard, ce jour-là je me portais comme un charme. Je sortis du service de transfusion sanguine, heureux de mon geste. Quinze jours plus tard, je reçois un coup de téléphone. Je devais me présenter au même service. J'avoue que j'étais anxieux, mais j'étais loin de me douter qu'on allait m'annoncer que j'ai contracté le virus de l'hépatite C. C'est comme si on m'avait dit que j'avais le cancer. Je connaissais la gravité du mal, et croyez-moi, à cet instant, j'eus l'impression que ma vie était finie. Je suis rentré à la maison atterré. Mon épouse, tourmentée à la vue de mon visage blême, me questionna de ses yeux. Je ne pouvais pas lui cacher plus longtemps la tuile qui m'était tombée sur la tête. Elle pleura à chaudes larmes, puis se ressaisit en répétant qu'il fallait être fort, que ce n'est pas une fatalité, et qu'ensemble nous allons nous battre. Aujourd'hui, le remède existe. Et depuis, notre vie a complètement changé. Je ne sais toujours pas comment j'ai chopé ce mal, mon médecin traitant soupçonne une contamination chez le dentiste. En effet, j'ai entrepris des soins dentaires il y a de cela quelques années, mais j'ai du mal à croire que ça allait avoir des retombées aussi graves. Je me sens victime d'une erreur médicale qui pourrait m'être fatale.» Fatiha, 52 ans, femme au foyer Fatiha est une femme qui au moindre petit mal de tête court chez le médecin. Ses coups de fatigue commençaient à l'alarmer. «C'est vrai que je suis une maniaque de la propreté, que j'ai toujours une serpillière à la main, que je guette le moindre petit grain de poussière, mais pas au point de me sentir tout le temps épuisée. D'ailleurs, un mois avant de découvrir la maladie, je ne m'occupais plus du ménage. J'avais légué ça à mes deux filles et malgré cela je me plaignais toujours d'épuisement. Les résultats de mes premiers examens médicaux ont révélé une forte anémie. Le traitement ne donnait rien. Après moult explorations, le test de l'hépatite C s'est avéré positif. Ce fut l'affolement pour tout le monde. Je me voyais condamnée exactement comme une personne qui a le cancer. Et la galère a commencé. Après des démarches ici pour le traitement assez lourd d'ailleurs, et qui se sont avérées vaines, j'ai dû me déplacer à l'étranger. Mon combat ne faisait que commencer. Ma vie en est bouleversée. Je ne reste plus chez moi. Je cours les hôpitaux, les cabinets médicaux. C'est horrible, comme tout peut basculer en une fraction de seconde. Dans mes moments de désespoir, je me dis pourquoi c'est tombé sur moi ? La question de savoir comment j'ai attrapé le virus ne cesse de me tarauder l'esprit. Mon mari, furieux, soupçonne les dentistes. C'est vrai qu'il y a quelques années j'ai extrait bon nombre de mes dents, et à l'époque les dentistes n'étaient pas dotés d'autoclaves, mais je ne sais pas trop. En tout cas, si c'est vrai, je me dis que je suis une victime, et Dieu seul sait combien d'autres en souffrent. Ce n'est pas juste.» Zahia, 55 ans : «Ma mère est décédée à 84 ans» Atika est morte à 84 ans d'une cirrhose hépatique, après avoir contracté le virus. Sa fille témoigne avec beaucoup d'amertume. «Ma mère est morte il y a deux ans, et la douleur de sa séparation est toujours présente. C'était une femme instruite, qui s'intéressait beaucoup à la médecine et s'occupait très bien de sa santé. Diabétique et hypertendue, elle gérait parfaitement ses maladies. Autonome, elle se prenait en charge seule. Il y a à peu près dix ans, elle commença à se plaindre de fatigue qu'elle ne s'expliquait pas. Elle nous disait : «Je sais, je me fais vieille, je suis malade, mais pas au point d'être fatiguée sans que je fasse aucun effort, d'autant que je me nourris bien. Et puis je me regarde dans le miroir et je trouve que mon visage s'est assombri.» On la rassurait en lui rappelant son hypocondrie, qu'elle réfutait, du reste. Tenace, elle se rendait chez son médecin et subissait tous les examens possibles et imaginables, qui tous s'avéraient négatifs. Mais elle n'était toujours pas convaincue. Un jour, en visite chez sa diabétologue, elle lui fit part de son anxiété. C'est alors qu'elle lui prescrit le test. Non seulement ce dernier s'est vérifié, mais la cirrhose hépatique était là. A ma mère on ne pouvait rien cacher. Au départ elle était abattue, mais elle tenait tellement à la vie qu'elle s'est battue contre la maladie. Mais elle en voulait aux médecins, au système de santé qu'elle tient pour responsables. Elle savait qu'elle a été contaminée quand elle a subi une intervention chirurgicale, 10 ans auparavant. A l'époque, le sang des donateurs n'était pas analysé dans un cadre préventif pour détecter le virus. «C'est cette négligence qui tue beaucoup d'autres malades. Moi je suis en fin de parcours, je pense surtout aux jeunes. Aux terribles souffrances qu'ils endurent. Je trouve cela criminel», disait-elle, dans ses moments de déprime. Ce qui est dramatique c'est que lorsque le malade découvre son mal, son foie est très atteint. Il est pratiquement détruit.» «Ma mère dépérissait de jour en jour, mais malgré cela, elle est restée combative et autonome jusqu‘aux derniers moments de sa vie, sans faire souffrir ses proches.»