Des affiches sont placardées un peu partout à travers les ateliers, les primes proposées étaient plus qu'alléchantes. En lisant ces offres mirobolantes, Doudine décida de se rapprocher du service du personnel afin de connaître le montant qu'il pourra recevoir. Le calcul fut rapide, 15 ans à 2 millions par année, on lui propose donc un chèque de 30 briques. Pour cela, il suffit qu'il fasse une demande manuscrite. Lui qui n'a jamais pu économiser un seul million durant toute sa vie n'en revenait pas. Tout ce pactole à sa portée ! Sans réfléchir et sans aucune hésitation, il accepte de mettre une croix sur son ancienneté, son emploi et sa couverture médicale. Une semaine plus tard, l'argent atterrit dans son compte en banque. «Je suis riche !» se dit-il. Il n'était pas le seul à succomber à cette tentation. Plusieurs autres travailleurs firent de même. Entre le départ volontaire, la retraite anticipée et la proportionnelle, l'usine se vida des deux tiers de ses employés. Doudine avait eu l'opportunité, à ce moment-là, de réaliser une très bonne affaire avec la somme encaissée. Un collègue lui a proposé la vente de son appartement dans un HLM, situé sur les hauteurs de la ville, pour 37 millions ; en négociant un peu, il aurait pu l'avoir et passer directement du statut de locataire à celui de propriétaire. Fini pour lui la galère de payer des loyers à chaque fin de mois. Mais il a décliné l'offre, il voulait d'abord se payer un peu de bon temps. Son carnet de chèques en poche, il loue une chambre dans un hôtel en bord de mer, à 18 km de chez lui. L'établissement est doté d'une discothèque où, tous les soirs, des créatures de rêve, légèrement vêtues, incitent les clients à la dépense. L'ambiance créée par des chanteuses et des chanteurs de raï est grisante et ne laisse que peu de place à la réflexion. L'alcool coule à flots, à la grande satisfaction du patron qui amasse des sommes vertigineuses à chaque fin de soirée. Les entraîneuses aussi tirent leur épingle du jeu. Lynda, une jeune et très belle jeune femme de 25 ans, a vite repéré en Doudine le pigeon facile à plumer. Elle décida de lui mettre le grappin dessus avant les autres. Elle l'aborde en s'asseyant à sa table et commença à jouer la comédie de la femme séduite par le charme irrésistible de l'homme en face d'elle. Flatté par ce subit intérêt que lui porte cette reine de Saba, le cerveau complètement noyé par les rasades de whisky ingurgitées, Doudine, comme hypnotisé, répondait aux questions de la dame qui cherchait à lui tirer les vers du nez sur sa situation financière. «T'inquiète pas mon coco», pensa-t-elle, je vais t'alléger de ce magot qui t'es tombé du ciel. Ses habituels complices l'aideront à réaliser son projet machiavélique. Elle avouera à son chevalier servant qu'elle est criblée de dettes, ce qui est bien entendu complètement faux. Notre ancien peintre, bombant le torse, lui répondra : - Ne t'inquiète plus ma princesse, maintenant, je suis là. Une nuée de sauterelles affamées lui tomba dessus, le dépouillement commença. Tout le monde s'y met. La première à se présenter fut la réceptionniste. Menaçante, elle va sommer Lynda de payer sa note de huit nuitées non encore réglée, sinon c'est la porte. Puis c'est au tour du chef cuisinier de réclamer son dû. Une copine suivra et exigera le payement de la grosse bague qu'elle lui a vendue, et ainsi de suite. A chaque fois notre ex-peintre sort son carnet de chèques pour sauver sa protégée. Le butin extorqué malicieusement au détriment de notre pauvre Don Quichotte est partagé moite-moite entre Lynda et ses compères. Croyant vivre une love story et s'imaginant que sa dulcinée était vraiment amoureuse de lui, il dépensera sans compter. Il voulait l'éblouir en l'inondant de cadeaux, bijoux, vêtements griffés, chaussures de luxe et prise en charge totale en ce qui concerne les notes d'hôtel. Quarante jours plus tard, l'argent ayant fondu comme neige au soleil, il ne lui restait plus un centime dans son compte. Son dernier chèque s'étant révélé être en bois, il est sommé de quitter sa chambre au plus vite et d'évacuer les lieux. Assis dans la grande salle d'attente, il a attendu plus de trois heures la venue de Lynda. A son apparition, il s'attendait à ce qu'elle vienne lui faire la bise comme d'habitude, mais à son grand étonnement, elle passe devant lui sans un regard, faisant semblant de ne pas le reconnaître. Il lui court après et lui demande pourquoi cette attitude. Elle le regarde bien dans les yeux et lui dit : - Ecoute mon vieux, tu as l'âge de mon père, si je suis restée durant tout ce temps avec toi, c'est uniquement pour ton argent, maintenant que tu es fauché, tu ne m'intéresses plus ! Lui, balbutia : - Je pensais que tu avais des sentiments pour moi... - Ici, je travaille, je n'ai pas parcouru plus de 700 km pour m'amouracher d'un vieux débris comme toi. Rentre chez toi et va retrouver ta femme et tes enfants s'ils veulent encore de toi. En voulant la gifler, il fut jeté dehors sans ménagement par deux videurs. Chez lui, c'était la consternation. Au lendemain de sa disparation, sa mère s'était rendue sur son lieu de travail où on lui expliqua que son fils avait démissionné et reçut une forte somme d'argent. Connaissant son rejeton, un adepte des breuvages alcoolisés, elle savait à quoi s'attendre. Il réapparaîtra à la maison les poches vides. Elle ne s'était pas trompée.
