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IKKEN FARID, QUI A AGRESSE UN POLICIER À PARIS
Ses amis et ses proches parlent d'une crise de démence
Publié dans Le Soir d'Algérie le 10 - 06 - 2017

Les images relayées en boucle sur les chaînes de télévision françaises, montrant Ikken Farid agressant, mardi dernier, au marteau un policier devant la cathédrale Notre-Dame, ont laissé sans voix tous ceux qui l'ont connu à Béjaïa.
L'a nouvelle a stupéfait sa famille et aussi ses amis journalistes qui l'ont côtoyé alors qu'il dirigeait une agence de communication et un site électronique d'information entre 2012 et 2014 à Béjaïa.
Apprécié pour ses grandes qualités humaines, sa simplicité, son professionnalisme dans son travail journalistique et son profond respect des autres, pour tous ses proches et ses amis journalistes de Béjaïa, il est impossible de croire à une radicalisation pour se transformer subitement en «monstre djihadiste islamiste», prêter allégeance à Daesh et devenir un soldat d'un califat envers lequel FarId Ikken avait toujours affiché «son profond dégoût».
Dans un témoignage, Sofiane Ikken, avocat et militant des droits de l'Homme à AKbou, raconte que dans une discussion sur beaucoup de sujets, situation politique en Algérie, le MAK durant l'été 2016 au bled mais aussi sur la grave crise qui prévaut au Proche-Orient avec son parent Farid, ce dernier n'hésitait pas à les qualifier de «singes de l'Etat islamique». «Farid ne croit pas au système de califat et je me souviens qu'il a qualifié Al Baghdadi d'abruti», signale Sofiane Ikken tout en rappelant que dans chaque discussion, Farid avait clairement affiché son opposition à toute forme de violence dans l'action politique, «proche à un certain moment des thèses politiques défendues par Aït Ahmed pour le départ du régime mais d'une façon pacifique. Occuper la rue, la désobéissance civile mais il faut surtout éviter la violence qui nous a coûté plus 200 000 morts, rappelait à chaque fois Farid. La dernière fois qu'il m'a appelé, c'était lors de la répression du meeting du Mak à Akbou. Il tenait à m'alerter sur les dangers d'un autre embrasement. Il faut surtout faire prendre conscience aux jeunes que ce régime maîtrise le sujet de la violence : il est aux abois. Il ne cherche que la violence. Il faut être intelligent et agir d'une façon pacifique, c'est dire que Farid ne peut pas, du jour au lendemain, verser dans la violence en commettant ce genre d'acte sous la bannière de l'Etat islamique», témoigne Sofiane Ikken qui est souvent en contact par téléphone ou par Skype avec Farid.
«On est souvent en contact, des fois, il m'écrit également. A la création du RPK, il m'avait appelé pour me dire qu'il était très content et qu'il trouvait le projet intéressant avec des gens qui peuvent faire changer positivement la situation en Kabylie», fait encore observer Sofiane Ikken.
L'un de ses frères, Karim Ikken, que nous avons rencontré à Akbou avec les membres de sa famille, n'a pas manqué de rappeler les qualités humaines de Farid. «Un homme très généreux qui se préoccupe énormément de toute sa famille et ne ménage aucun effort pour aider les autres», dira Karim. « En 2001, durant les événements tragiques du Printemps noir, un parent, Ikken Nordine dit Koceila, a été atteint d'une balle explosive, il a été amputé d'une jambe. C'est Farid qui l'a pris en charge chez lui en Suède pour lui faire une prothèse. Il est resté deux mois chez Farid qui a fait, à l'occasion, un reportage dans la presse suédoise sur les événements tragiques de Kabylie», témoigne Karim qui est convaincu que son frère ne devait pas être «en possession de ses esprits au moment de ce triste acte».
Pour Karim Ikken, son frère Farid, qui souffrait déjà d'un début de déprime quand il se trouvait au bled, a certainement pété les plombs pour se livrer à ce genre de comportement. «Farid appelle très souvent pour avoir les nouvelles de la famille. Il appelle presque chaque semaine. Son dernier coup de fil remonte à deux ou trois jours avant le Ramadhan. J'ai senti un homme désespéré, très angoissé, très stressé avec une voix très sèche. Il avait des difficultés à parler. Il faut dire que même lorsque il était au bled, Farid avait un début de déprime. On hésitait de lui dire qu'il n'était pas bien, car souvent, il conseille tout le monde : Farid se retient pour dire qu'il ne se sent pas bien mais je sais que quelque part Farid était très perturbé. Son cas s'est certainement aggravé, il était dans une crise de folie», pense Karim tout en soulignant que bien que son frère soit le plus jeune de ses huit frères et quatre sœurs, Farid s'est toujours montré très soucieux de la situation de sa famille . «Avec mon frère Younès qui se trouve en France, Farid était en contact avec lui. On a perdu un frère en 1999 suite à une chute d'une dalle. Ça l'a très affecté. On a aussi un autre frère dépressif à l'âge de 29 ans depuis 1992. A ce jour, Mourad est toujours sous traitement. Farid se soucie énormément de son frère Mourad. A chaque voyage au bled, il le prenait avec lui à la mer pour passer quelques jours ensemble. Il faut dire qu'avant sa maladie, mon frère Mourad était aussi quelqu'un d'exemplaire», affirme Karim Ikken.
Ses amis journalistes et correspondants qui l'ont connu à Béjaïa n'en revenaient pas en apprenant la nouvelle. «Il souffre certainement d'une crise de démence. On ne peut pas expliquer autrement son geste car un basculement de Farid dans la radicalisation est inimaginable. Il est reparti en France pour continuer ses études. Il n'avait pas de sensibilité religieuse moins encore radicale. Bien au contraire, il était très sensible à notre engagement pour la démocratie, les droits humains et la modernité. Connaissant bien la personne, je refuse encore de croire en le profil de djihadiste. Pour ma part, sous réserve des conclusions de l'enquête judiciaire et du diagnostic psychiatrique, il s'agit d'un acte criminel que je condamne sans équivoque», affirme Dalil Saïch, journaliste chef de bureau de la Dépêche de Kabylie qui a côtoyé de près Farid Ikken durant les deux années à Béjaïa. Aziz Kersani, journaliste au Soir d'Algérie, ami de Farid Ikken auteur de l'agression sur le policier devant la cathédrale Notre-Dame, a témoigné également d'un homme «très doux, incapable de faire du mal à une mouche». «On se voyant presque chaque jour durant ses deux années passées à Béjaïa avec Dalil Saïch de la Dépêche de Kabylie, Moussa Ouyougout, chef du bureau du quotidien Liberté à Béjaïa, Farid ne parlait jamais de religion. Alors qu on était presque chaque jour ensemble, j'ai appris qu'il faisait la prière par hasard. On avait rendez-vous un vendredi et comme il était arrivé en retard, il s'est excusé en nous disant qu'il était allé faire la prière. Très discret, Farid vivait sa foi en bon musulman, et c'est tout. Dans l'agence de communication et le site électronique d'information qu'il dirige, aucune trace de livres religieux ou autres signes religieux», affirme Aziz Kersani qui ne croit pas aussi que son ami s'est transformé aussi rapidement en soldat d'un califat auquel il ne croyait même pas. «Je ne peux pas imaginer un seul instant Farid verser dans la violence terroriste. Très engagé pour la démocratie, les droits de l'Homme et en faveur de la modernité, Farid a toujours condamné cette même violence terroriste islamiste que le peuple algérien avait subie durant la décennie noire. Tous les témoignages des gens qui le connaissent le décrivent comme un homme qui refuse toute forme de violence dans l'action politique. Je suis convaincu qu'une expertise psychiatrique attestera d'une dépression au moment de cet acte condamnable», poursuit dans son témoignage Aziz Kersani du Soir d'Algérie.
Moussa Ouyougout, qui l'a rencontré à deux reprises, en mars et juillet 2016, a parlé de la précarité la plus totale dans laquelle se trouvait Farid. «D'une immense générosité malgré toute cette précarité dans laquelle il se trouvait, il m'a hébergé dans son modeste F1. Il était tellement respectueux des gens qu'il dormait dans un sac de couchage et me laissait son matelas. Sentant ma gêne, il n'arrêtait pas de me dire, ne t'en fais pas mon ami, c'est avec un grand plaisir. Jai l'habitude, l'essentiel est que tu sois là. Avec toi, je discute. Tu sais, je ne fréquente pratiquement personne», témoigne Moussa Ouyougout de Liberté tout en soulignant la terrible solitude qui pesait sur son ami Farid. «Dans un moment de désespoir total, il a fait une dépression. C'est un geste de suicide maquillé en acte djihadiste. Sinon comment expliquer que voulant perpétrer un acte de djihad en attaquant, avec un marteau, deux policiers dans une place bondée de monde ? Lui-même, on est convaincu, qu'il aurait ironisé sur ce genre de comportement. On reste convaincu que l'expertise psychiatrique apportera toutes les preuves d'un acte commis par un dépressif, loin, très loin de tout lien religieux et qu'il payera uniquement pour ça», pensent ses amis journalistes qui l'ont côtoyé de très près.
Son cousin Sofiane Ikken a annoncé qu'il se rendra incessamment en France pour voir comment mettre sur pied un collectif d'avocats pour sa défense. Lui-même avocat, il envisage de défendre son cousin devant la justice française. Le jeune caricaturiste de TSA, Ghlias Aïnouche, qui l'avait aussi connu pour avoir contribué par des caricatures sur le site d'info de Farid Ikken, était aussi très surpris en apprenant la nouvelle. «Je me souviens de ses encouragements en apprenant la publication de mes dessins dans Charlie Hebdo. Il m'avait appelé pour me féliciter, il m'a transmis son numéro de fil, on s'est appelés quelquefois mais je n'ai pas senti une quelconque radicalisation», a indiqué Ghilas Aïnouche en parlant de Farid Ikken.
Il convient de rappeler qu'après une licence en traduction obtenue au début des années 2000 à Alger, Farid Ikken a rejoint la Suède où il effectua un master en journalisme dans l'une des plus prestigieuses universités d'Europe du Nord avant de partir travailler en Norvège. Il était marié avec une Suédoise dont il est aujourd'hui divorcé. Puis il revient en Algérie en 2001, au moment des événements du Printemps arabe, et s'installe dans la ville de Béjaïa où il crée une agence de publicité et un site d'informations régionales, Béjaïa aujourd'hui. Depuis 2014, il était inscrit en thèse à Metz. Il avait suivi son directeur de thèse à Paris en 2016, tout en restant inscrit à Metz.


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