Karim Bouyahi demeure un joueur légendaire qui a écrit une belle page de l'histoire du NAHD durant les années 1960 et 70. Il est aussi milieu de terrain offensif reconverti en défense centrale, il avait intégré les seniors à l'âge de 16 ans et s'était imposé en sélection aux côtés des Attoui, Belloucif et Bentahar, d'autres défenseurs de légende. Retour sur une partie de l'âge d'or du foot algérien avec celui qui fut un héros malheureux d'une mémorable finale de Coupe d'Algérie. Le Soir d'Algérie : Pour débuter, que devient Bouyahi ? Karim Bouyahi : D'abord, je tiens à remercier votre journal pour s'être intéressé à moi, car c'est très important. Les anciens sont complètement oubliés et ce genre d'initiative honore Le Soir d'Algérie. Maintenant pour répondre à votre question, je dois dire que je coule une paisible retraite entre la France où je réside et l'Algérie. Vous êtes devenu célèbre au NAHD, mais ce n'est pas dans ce club que vous avez débuté ? J'ai débuté à l'école de l'OHD, puis je me suis retrouvé en benjamins et minimes au NAHD. Et vous êtes l'un des plus jeunes joueurs de l'histoire du NAHD à avoir intégré les seniors à 16 ans seulement ? Oui, et à l'époque c'est le coach Bellamine «Allah yarahmou» qui avait osé me donner ma chance. A un poste de milieu offensif ? Tout à fait. Je jouais comme milieu offensif et au fil des années, les différents entraîneurs m'ont décalé au poste de milieu défensif, puis je me suis retrouvé défenseur central. Avec un titre de champion d'Algérie en 1967 ? Nous étions sur une bonne période avec ce titre suivi de cette fameuse finale de Coupe d'Algérie en 1968 contre l'ES Sétif. Une finale dont vous aviez été le héros malheureux en inscrivant un but contre votre camp permettant l'égalisation de l'ESS dans les dernières minutes ? Nous étions à égalité avec les Sétifiens à un partout. J'amorce une montée offensive et j'inscris un deuxième but pour le NAHD. Ensuite à quelques minutes de la fin, il y a eu un malentendu avec mon gardien. Qu'est-ce qui s'est passé exactement alors que près de 50 ans après, d'anciens supporters nahdistes n'ont toujours pas compris ? C'est tout simple. J'étais endéfense centrale en possession du ballon. A ce moment-là, notre gardien Omar «Allah yarahmou» crie : «Karim». En m'interpellant ainsi, j'avais compris qu'il voulait que je lui donne la balle et c'est ce que j'ai fait. Au départ, je voulais dégager le ballon vu que Koussim, le centre-avant sétifien était derrière moi. Finalement ma passe en retrait s'est transformée en but contre mon camp, permettant aux Sétifiens de revenir et aux prolongations, ils ont ajouté un troisième but qui nous a été fatal. Depuis ce temps, le NAHD a disputé seulement trois finales dont une victorieuse en 1979 alors que l'ESS en a joué sept, comment expliquez-vous cet écart ? Le NAHD a toujours été une école dont la force était la formation. Mais d'un autre côté, c'est un club qui s'est toujours fait piller ses meilleurs éléments parce qu'il ne pouvait pas les retenir. Le meilleur exemple que je pense citer c'est celui d'Ali Fergani qui a été formé au NAHD mais a fait les beaux jours de la JS Kabylie par la suite. Après la finale perdue, que vous a dit le Président Boumediène après vous avoir remis la médaille de la consolation ? Il m'a glissé des mots d'encouragement mais ce qui m'a étonné chez lui, c'est qu'il connaissait tous les joueurs, c'est-à-dire leur nom et prénom et même leur lieu de naissance. Combien de sélections avez-vous totalisées ? Je pense avoir 25 sélections avec une quinzaine de titularisations dans des rencontres officielles qui n'étaient pas aussi nombreuses qu'aujourd'hui. Par contre, on a disputé beaucoup de matchs amicaux contre les pays de l'Europe de l'Est comme la Hongrie, la Bulgarie et bien d'autres. A propos de l'EN, en ce temps-là, il y avait une forte opposition entre Lalmas et Mekhloufi. Qu'est-ce qui se passait dans les vestiaires ? Même après tout ce temps, cela doit rester dans les vestiaires. Lalmas c'est mon grand frère. Il venait souvent à la maison avec mon frère aîné justement. Mais qui était le vrai patron de la sélection algérienne, Lalmas ou Mekhloufi ? Incontestablement Lalmas. D'abord pour moi, il est le meilleur joueur algérien de tous les temps et à ce jour aucun autre footballeur du pays n'a pu l'égaler. En plus de son talent, il avait une forte personnalité, c'était vraiment le boss et il est vrai qu'il ne s'entendait pas avec Mekhloufi. D'ailleurs, un jour, le photographe de France Football était venu à Sidi Moussa et il voulait prendre une photo de la star vieillissante Mekhloufi et de la star montante Lalmas, ensemble. Mais ce dernier a refusé. Avez-vous une anecdote avec Lalmas en sélection ? Oui, j'en ai plusieurs, mais il y en a une qui m'a marqué. On devait affronter la Hongrie en match amical qui, elle, se préparait pour la Coupe du monde de 1966. C'est ce qui se faisait de meilleur en Europe à l'époque. Je ne pensais pas être titulaire, mais ce jour-là, Leduc m'a fait confiance et m'a confié le poste de milieu défensif. Dès qu'il m'a annoncé que je devrais m'occuper d'un certain Albert, j'ai paniqué. En ce temps-là, Albert était l'équivalent d'un Ronaldo aujourd'hui. Et qu'avez-vous fait ? Dans le bus qui nous menait vers le stade du 20-Août, je me suis approché de Lalmas et je l'ai supplié de dire à Leduc que je ne voulais pas jouer. Alors, il s'est retourné vers moi en fronçant ses gros sourcils et il m'a dit d'une voix ferme : «Quand est-ce que tu deviendras un homme ?» Finalement, j'ai tenu ma promesse. Et Albert ne vous a pas fait de misère ? Non, j'ai pu le contenir en réalisant un bon match. On dit que ce sont Lucien Vernier et Jean Snella qui ont façonné la grande équipe du NAHD. Vous êtes d'accord ? Je dirais que c'est plutôt Lucien Vernier qui a été le premier à ramener une touche professionnelle au NAHD. C'est lui qui a imposé le sauna pour la récupération par exemple. Quel regard portez-vous sur le NAHD d'aujourd'hui ? Je résumerai la situation en un seul mot, il n'y a rien. Pour un véritable professionnalisme, il faut de la formation et une bonne santé financière. Ce n'est ni le cas du NAHD ni celui des autres équipes à part peut-être l'USMA qui a bénéficié de l'apport d'un grand entrepreneur que je ne connais pas personnellement mais qui est en train de construire un vrai club professionnel. Après votre carrière de joueur, pourquoi vous ne vous êtes pas reconverti au métier d'entraîneur ? Pour la simple raison que dès que j'ai raccroché, je me suis retrouvé à Paris pour occuper un poste de responsabilité avec la compagnie aérienne Air Algérie. Toutefois, j'ai dirigé une équipe amateur avec laquelle j'ai réussi quelques accessions puis j'ai arrêté. Ça vous dirait d'être le président du NAHD ? Pour être président, il faut beaucoup d'argent et je n'ai pas les moyens. Par contre, Moh Cherif Hannachi est président de la JSK depuis 25 ans et vous l'aviez affronté à plusieurs reprises avec le NAHD. Comment était-il comme joueur ? Il occupait le poste de défenseur latéral et avec lui si le ballon passait, le joueur, lui, n'allait pas plus loin et à l'inverse, si le joueur passait, le ballon ne suivait pas. A vous entendre, Hannachi était un hachoir ? Oui, c'était un arrière rugueux et un vrai «hachoir» comme vous dites, sur le terrin. Depuis votre époque, les règles du foot ont beaucoup changé. Aujourd'hui, le gardien ne peut plus jouer le ballon à la main sur une passe en retrait de son défenseur ? Oui, et c'est mieux. De mon temps, la passe en retrait au gardien cassait le jeu. Aujourd'hui, il est obligé de jouer au pied et c'est mieux pour le rythme de la rencontre. Autre nouvelle règle. Une faute commise par le dernier défenseur peut lui valoir un carton rouge ? C'est une bonne règle et elle avantage l'attaquant. Etes-vous pour ou contre l'utilisation de la vidéo ? Au début, j'étais contre mais lors d'une rencontre internationale l'arbitre avait signalé un hors-jeu imaginaire sur un but, et la vidéo a corrigé l'injustice. Par conséquent, je crois que de nos jours, le recours à la vidéo est nécessaire. Combien de cartons rouges avez-vous reçu tout au long de votre carrière ? Un seul et c'était lors d'un derby contre l'USM Alger. Leur milieu défensif, Saâdi, avait agressé Ali Fergani qui se tordait de douleur sur le terrain. En voyant mon coéquipier à terre, j'ai asséné un violent coup de pied sur la poitrine de Saâdi ce qui m'a valu mon unique carton rouge. Que pensez-vous de ce professionnalisme instauré depuis quelques années en Algérie ? Ce n'est pas du professionnalisme. Si de mon temps, on était des amateurs, ce professionalisme à l'algérienne c'est de l'amateurisme aggravé. Les clubs sont en crise financière, les infrastructures sont désuètes ou inexistantes, et le spectacle est pauvre. Par conséquent, on ne peut pas parler de professionnalisme dans de telles conditions. Le président de la Ligue a déclaré que l'arrangement des matchs existe depuis l'indépendance dans notre football. Que répondez-vous ? Je ne sais pas où était ce monsieur à l'époque, mais je peux vous dire que de mon temps, on n'a jamais arrangé des matchs. On jouait pour les couleurs, le spectacle et le fair-play. D'ailleurs, cette idée d'arranger les rencontres ne nous a jamais traversé l'esprit. Pour moi, c'est un phénomène nouveau.