«On se défend lorsqu'on dispose de moyens suffisants ; on attaque lorsqu'on dispose de moyens plus que suffisants.» Sun Tzu (L'art de la guerre) Les fonds souverains se sont dépêchés au chevet des grandes banques américaines lors de la crise financière de 2008. Par des injections massives de liquidités, ils ont contribué à les sauver d'une faillite certaine et du même coup à revivifier un système financier atteint par le même cataclysme. Ces fonds ont connu une ascension fulgurante au cours de la décennie 2000. Au centre d'un rééquilibrage des puissances de la planète, ils semblent s'imposer comme acteurs majeurs de la finance mondiale pour les décennies à venir. L'Algérie a créé son Fonds de régulation des recettes (FRR) en 2000. Il s'est épuisé à colmater les déficits budgétaires de ces dernières années. Au début de l'année 2017, le FRR est déjà à sec. Des fonds au périmètre complexe Pour éviter la spéculation sur une monnaie, les gouvernements interviennent ponctuellement sur le marché des changes en se servant des réserves de change (stock de devises). Ces dernières sont logées dans les banques centrales, néanmoins leur accroissement a permis à certains pays d'en placer une partie dans d'autres structures. Ainsi sont nés les fonds souverains. L'expression de fonds souverains s'est généralisée au cours des années 2000 mais leur définition reste peu précise tant elle rend compte de diverses situations politico-économiques et de multiples finalités. Selon la définition utilisée, certains sont considérés comme fonds souverains et par d'autres, comme une épargne de l'Etat ou un simple compte au niveau de la banque centrale. Les fonds souverains sont caractérisés par leur diversité et leur hétérogénéité dans leur nature et dans la taille des pays qui les détiennent. Cela va du micro-Etat insulaire du Kiribati (avec un fonds de 400 millions $) aux mastodontes chinois (plus de 800 milliards $) et norvégien (dépassant 1 000 milliards $). Pour l'Union européenne, les fonds souverains sont des fonds d'investissement public à long terme gérés par des gouvernements. Le FMI ajoute que ces fonds sont alimentés par des ressources propres des Etats et sont constitués par les revenus des matières premières (pétrole, gaz, minerais, etc.) ou des excédents des réserves de change (Chine, Singapour, Corée du Sud, etc.). Ils visent à générer une épargne qui servirait aux générations futures à long terme ou à lisser l'impact déstabilisant des fluctuations des prix des matières premières à court ou moyen terme. Ils peuvent constituer une force de frappe pour le contrôle des entreprises des pays développés et permettre également une meilleure valorisation des réserves de change. Pour International Working Group of Sovereign Wealth Fund, ces fonds ont des objectifs financiers et ont recours à une série de stratégies d'investissement qui comprend des placements sur actifs financiers étrangers. À l'entrée du XXIe siècle : de nouvelles interdépendances Selon l'Institut mondial des fonds souverains, leur nombre dépasse 80 intervenants gérant plus de 7 500 milliards $. Sept pays à eux seuls concentrent près de 86% du total de ces fonds. Le premier fonds souverain à avoir vu le jour remonte à 1953 sur décision du gouvernement koweïtien de placer à l'étranger 10% de ses revenus pétroliers. A long terme, ce fonds vise à diversifier les revenus de l'économie koweïtienne et subvenir aux besoins des générations futures. Fin 2016, il occupe la 4e place avec 592 milliards $. Il a injecté 7,7 milliards $ dans la banque américaine Citigroup et 6,6 milliards $ dans la banque Merrill Lynch au début de 2008. D'autres fonds souverains apparaissent durant les années 1990 en réaction aux crises et aux chocs pétroliers des décennies précédentes. Mais ils ont connu un essor fulgurant et se sont développés significativement aux cours des années 2000 où la moitié d'entre eux a été créée. La volatilité des prix des hydrocarbures a incité nombre de pays exportateurs de pétrole et de gaz à se doter de ce type de structure. (Iran en 2000, Qatar en 2005, Dubaï en 2006, Libye et Russie en 2008, etc.) En outre, le mauvais souvenir laissé par la crise asiatique des années 1996-1997 a amené également d'autres pays à en tirer quelques enseignements en adoptant un modèle de développement basé sur les exportations. De bas salaires et un régime de change administré avec des monnaies locales sous-évaluées, ils ont vu leurs exportations prendre un bond considérable. L'épargne massive ainsi constituée à partir des excédents commerciaux et des réserves de change, devenues colossales, — la Chine en détient le tiers — est confiée à des fonds souverains. Leur but est de permettre une meilleure rentabilité financière contrairement à une gestion jusque-là traditionnelle où ces réserves sont placées en actifs liquides - ou presque - à des taux faiblement rémunérateurs. Le développement des fonds souverains est allé de pair avec leur diversification en termes d'objectifs. Les premiers créés visaient à stabiliser les revenus fortement dépendants des mannes pétrolières, à la constitution d'épargne intergénérationnelle puis à la diversification de l'économie et à la rentabilité financière. Au cours de la décennie 2000, les pays émergents manufacturiers ou exportateurs de matières premières ont vu passer leurs réserves de change de 2 000 à 7 500 milliards $ dont une partie de plus en plus croissante est gérée par des fonds souverains. Cette manne est mise à la disposition des marchés financiers (actions et obligations, etc.), économiques (immobilier, transport, etc.) et productifs (mines, industries). Ainsi, voit-on la Chine devenir en moins de trois décennies la principale créancière du monde avec ses 1 150 milliards $ en bons du Trésor américain et 630 milliards d'euros en dettes souveraines européennes. La valeur des fonds souverains reste toutefois modeste, représentant 5% de la capitalisation boursière mondiale, comparativement aux fonds de pension (22%) et aux assurances (20%). Mais leur rôle devient de plus en plus important en raison de leur rythme de croissance qui était de 24% par an pour les années 2005 à 2008 selon l'étude du cabinet d'analyse américain Global Insight. Selon SWF Institute, à l'origine de ces investissements, qui pèsent désormais sur les dynamiques de la mondialisation, le triptyque Moyen- Orient (39%), pays émergents asiatiques (37%), Europe (16%), et le reste du monde avec à peine 8% de l'ensemble des actifs des fonds souverains. Les fonds souverains tirent leurs revenus des matières premières (70%) dont la moitié du pétrole alors que 30% proviennent des excédents commerciaux grâce aux ventes de produits technologiques (Corée du Sud et autres pays asiatiques) et de biens manufacturés (Chine). À la conquête de l'Est et... de l'Ouest Pour leurs destinations, les fonds souverains réservent 30% de leurs placements et investissements à l'Asie, attirés par la croissance de ses pays émergents, et l'Union européenne pour la même proportion (avec une préférence pour les principales plaques tournantes de la finance en Europe, le Royaume-Uni pour 30% et l'Allemagne pour 8%). Ensuite, les Etats-Unis avec un taux de 20%, principalement pour le sauvetage des banques lors de la crise financière de 2008 et le Japon en est destinataire à hauteur de 12%. Par ailleurs, pour la décennie 2000, les secteurs de prédilection des fonds souverains sont l'industrie et la finance avec les mêmes parts (22%) des investissements et placements, l'immobilier pour 15% et les technologies de l'information pour 11%. Si les stratégies d'investissement adoptées pour la gestion des excédents de réserves de change répondent en premier lieu à des besoins nationaux de stabilisation financière et budgétaire, optant pour des placements en obligations d'Etats mais faiblement rémunérés, certains fonds souverains ont été plutôt offensifs et éloignés des niveaux de prudence habituels. Ils ont démontré un activisme intense et une avidité accrue au milieu des années 2000. Ceux des pays du Golfe et des pays asiatiques, plus frénétiques, ont profité de la déroute des banques lors de la crise des subprimes de 2008 pour devenir des actionnaires importants des plus grands établissements financiers du monde. Toutefois, les fonds souverains n'ont pas toujours été les bienvenus dans les pays occidentaux. L'exploitant portuaire Dubaï Ports World, filiale du fonds souverain de Dubaï ICD, a suscité une vive controverse aux Etats-Unis lorsqu'il a racheté P&O quatrième opérateur mondial qui exploitait six terminaux portuaires américains. Il y a eu consensus des deux partis politiques dominants américains pour bloquer, puis rejeter le projet. Les fonds souverains sont suspectés de poursuivre des objectifs politiques et géopolitiques loin des motivations financières affichées. Le fonds souverain qatari a été également reçu avec les mêmes réticences et critiques en Europe quand il a enchaîné une série d'investissements dans l'hôtellerie et les grandes marques de prestige (LVMH, hôtels parisiens, clubs sportifs, etc.). En revanche, la raréfaction des liquidités, la frilosité des investisseurs et le désastre qui s'annonçait en 2007 ont fini par faire tomber, à l'automne 2008, Lehman Brother, la 4e banque d'investissement américaine, et par la même occasion balayer cette méfiance à l'égard des fonds souverains. Effectivement, entre 2007 et 2008, ces fonds se sont engagés dans les institutions bancaires et financières américaines et européennes à hauteur de 92 milliards $. En novembre 2007, le fonds souverain ADIA de Abu Dhabi injecte 7,5 milliards $ dans le capital de la première banque au monde Citigroup et devient un de ses principaux actionnaires (4,9%). Le fonds singapourien (GIC) offre 10 milliards $ à la banque suisse UBS. Quant au fonds chinois (CIC), il participe à raison de 5,5 milliards $ dans la banque Morgan Stanley et s'accapare de près de 10% de ses actions. Un mois après, Merrill Lynch, leader mondial de courtage en quête de 13 milliards $, les fonds souverains en proposèrent audacieusement 9. Les pertes qui leur ont été infligées en raison de la dépréciation des actifs bancaires ont amené les fonds souverains à revoir leurs stratégies en termes de diversification sectorielle (en s'engageant moins dans la finance et plus dans l'industrie et les matières premières) et géographique (moins de présence aux Etats-Unis et en Europe, plus dans les pays émergents essentiellement asiatiques). Lénine, qui avait en son temps étudié les mutations du capitalisme, a pu observer que «les pays exportateurs de capitaux se sont, au sens figuré du mot, partagé le monde. Mais le capital financier a conduit aussi au partage du globe». Certains y voient l'émergence d'une nouvelle forme de capitalisme financier avec un rôle accru pour les Etats. Pour l'économiste Michel Aglietta, «les fonds souverains pourront contribuer à une diminution ordonnée du désendettement en substituant du capital à la dette. La montée en puissance de ces nouveaux acteurs reflétera la diversité des institutions financières du capitalisme». Fonds norvégien : un colosse transparent En franchissant la barre des 1000 milliards $ en 2017, le fonds norvégien devient le plus grand fonds souverain, inconsidérément gigantesque pour un pays de 5,3 millions d'habitants. Créé en 1990 et géré par la banque centrale de la Norvège, son objectif est que ses rendements servent à couvrir les dépenses de l'Etat (3% sont affectés à son budget) et des générations futures, raison pour laquelle ses placements sont majoritairement en actions (62%) et en obligations (32%) réalisés en dehors de la Norvège. Les rendements du fonds étaient de 6,5% pour l'année 2016. Il est présent dans 9 000 entreprises et dans 77 pays. Ce fonds s'illustre également dans le chapitre de la transparence. Ses données sont facilement accessibles et des rapports périodiques et minutieusement détaillés sont régulièrement mis à la disposition des parlementaires et des citoyens. Il s'est désengagé de 187 entreprises (coupables de dommages environnementaux, de graves violations des droits de l'homme, etc.) qu'il a jugé contraire à son éthique dont des géants tels Walmart, Airbus, British American Tobacco, Boeing, etc. Un fonds alimenté par des revenus pétroliers s'interdit paradoxalement d'investir dans les entreprises d'extraction de ressources fossiles ou polluantes pour protéger les générations futures. Un fonds pour l'Algérie : c'était demain L'Algérie est dépendante des hydrocarbures à plus de 97% pour ses exportations, à près de 60% pour ses recettes budgétaires (atteint 70% pour la période 2000-2004) et 40% pour son PIB. Par conséquent, ses équilibres macroéconomiques (équilibres budgétaire et de la balance des paiements) sont fortement vulnérables, notamment face à la volatilité des prix du pétrole. Le choc pétrolier du milieu des années 1980 a eu des répercussions désastreuses sur son économie. Les exportations de l'Algérie ont chuté de 39% en 1986, les recettes de la fiscalité pétrolière de 50% et le déficit budgétaire atteint, cette année, 13% du PIB suite à la baisse du prix de l'or noir. Les réserves de change, englouties par le remboursement de la dette extérieure, dégringolaient dangereusement à 2 mois d'importation en 1994. En plus de l'effondrement économique, une instabilité politique chronique et un chaos social indescriptibles se sont ainsi implantés pour longtemps. Les différents plans d'ajustement et programmes de stabilisation du FMI (1994-1998) et les tentatives de réformes adoptées durant les décennies d'après ne semblent pas gommer ou du moins atténuer ce caractère de pays rentier fortement dépendant des hydrocarbures. En effet, il a suffi d'une baisse du cours du pétrole en 1998 pour que les réserves de change chutent drastiquement à 4,4 milliards $ en 1999 alors qu'elles étaient de 8 milliards $ tout juste deux ans auparavant. En revanche, le rebond du prix du pétrole au cours des années 2000 a inspiré les différents gouvernements algériens (une vingtaine) dans leurs multiples tentatives de relance et de développement économiques. Les réserves de change qui n'étaient que de 12 milliards $ en 2000, ont été multipliées par douze pour atteindre près de 150 milliards $ en 2008. Le prix du pétrole qui était autour de 30$/baril au début de la décennie atteint le double en quelques années et avoisinait assez souvent la barre de 100$/baril. Si ces réserves sont si élevées, elle sont surtout la preuve de la faible capacité de l'économie à les faire fructifier en investissements productifs. Durera l'embellie ! Pour la période de 2001 à 2004, un Programme de soutien à la relance économique (PSRE) est mis en branle pour la bagatelle de 525 milliards DA pour dynamiser les activités agricoles et de pêche, des transports et des infrastructures. Ce premier programme ne semblait pas atteindre les objectifs voulus puisqu'un second a été appelé à la rescousse. C'est le Programme complémentaire de soutien à la croissance (PCSC) s'étalant jusqu'à 2010 de 60 milliards $ pour améliorer les infrastructures. D'autres 250 milliards DA ont été additionnés pour le développement des Hauts-Plateaux et du Grand-Sud. Un troisième plan est initié pour couvrir la période 2010 à 2014 appelé Programme d'investissements publics (PIP) d'un montant de 286 milliards de dollars destiné, celui-là, à améliorer la qualité du service public. Toutefois, les trois plans ne sont rendus possibles que grâce à une conjoncture pétrolière favorable. Mesure prudentielle oblige, selon l'ex-gouverneur de la Banque d'Algérie, la mise en œuvre de ces plans a été accompagnée par l'institution d'un fonds de stabilisation en monnaie nationale appelé Fonds de régulation des recettes (FRR). Ce dernier est créé dans le but de contrer l'effet déstabilisant des fluctuations du prix du pétrole et préserver la viabilité des finances publiques. Une sorte de garantie ou de soupape de sécurité pour la réalisation de ces programmes en cas de conjoncture défavorable. Ainsi, en 2000, l'Algérie se dote d'un fonds souverain, considéré comme tel car il est répertorié dans la quasi-totalité des classements des fonds souverains et des études qui leur sont consacrées. Il est alimenté par le surplus de la fiscalité pétrolière au-delà d'un prix de référence du baril de pétrole. Compte distinct de celui du Trésor, le FRR est logé à la Banque centrale parmi les autres comptes d'affectation spéciale (CAS). Les règles régissant le fonctionnement du Fonds de régulation des recettes ont été fixées en 2002, révisées en 2004 puis en 2006 et enfin en 2017. Cependant, il est soumis à un contrôle annuel de l'Inspection générale des finances (IGF) et de la Cour des comptes. Le surplus de recettes, généré par le différentiel du prix du pétrole réel par rapport au prix de référence fixé dans la loi de finances, est mis dans le FRR, de façon à pouvoir y puiser les sommes nécessaires pour combler les déficits budgétaires. La fixation du prix de référence se fait une fois tous les dix ans. De 1998 jusqu'à 2007, il a été fixé à 19$, exception faite pour l'année 2002 où il l'a été à 22 dollars/le baril. De 2008 à 2016, les budgets ont été basés sur un prix de 37$. Durant toute la période 2000 à 2016, le prix réel du baril de pétrole était de loin supérieur aux prix de référence. La première critique vient d'un exministre des Finances qui s'est exclamé devant des journalistes pour qualifier, à juste titre, une telle méthode d'«aberration». Pour lui, «l'idée de base était d'isoler la dépense publique du prix du pétrole (...) pour une politique anticyclique en cas de besoin (...) la fixation du prix prévisionnel à 19$ était quand l'Opep se battait pour un prix à 22$». L'amendement de 2006 qui permet au gouvernement d'avoir recours au FRR pour tout déficit est un «non-sens», selon l'ex-ministre des Finances, qui ajoute que c'est trop facile pour un gouvernement de fixer un prix de référence irraisonnable et peu réaliste, et de financer le déficit en ayant recours au FRR. Il a été assigné au Fonds de régulation «le remboursement de la dette publique interne et externe arrivant à échéance, ou tout remboursement anticipé de la dette publique et le financement du déficit». La loi de finances de 2000 précise que le FRR compense les «moins-values d'un niveau de recettes de fiscalité pétrolière inférieure aux prévisions». En d'autres termes, on fera appel au Fonds si le prix de référence est inférieur au cours réel du pétrole. Or, il a été constaté qu'il n'y a pas eu besoin de prélever des sommes du Fonds car le prix du pétrole sur le marché a été supérieur à celui fixé dans les lois de finances d'où l'amendement de 2006. Conséquemment à la hausse du prix du pétrole au cours des années 2000 et de la première moitié des années 2010, les ressources accumulées dans le FRR ont fortement augmenté. De 5,6% du PIB, l'année de sa création, il atteint 43,1% du PIB en 2009 selon la Banque d'Algérie et 77 milliards $ en 2013, selon SWF Institute, 14e au niveau mondial et premier sur le continent africain. Par la suite, lors des modifications ultérieures, le FRR est appelé pour financer le déficit hors hydrocarbures. Désormais, à partir de 2006, il est devenu possible de puiser dans le FRR pour financer directement le déficit budgétaire (déficit hors-hydrocarbures) de l'Etat à condition de garder un solde minimum de 740 milliards DA dans le Fonds. Qui paie ses dettes s'enrichit ? Cette embellie financière a permis le remboursement de la dette publique. La dette extérieure qui s'élevait à 40 milliards $ en 2000 représentait 30% des recettes d'exportations. Fin 2004, elle n'est que de 18%. En septembre 2006, le ministre des Finances déclare à la presse que l'Algérie a remboursé par anticipation sa dette externe de 12 milliards $. Il a indiqué, par la même occasion, que ce montant est composé de la «dette rééchelonnée contractée auprès du Club de Paris (7,9 milliards $), du Club de Londres (près de 800 millions $) ainsi que des crédits multilatéraux pour un montant de près de 4 milliards $ contractés auprès des institutions financières internationales (Banque mondiale, Banque africaine de développement, etc.)». Le Fonds a permis également le remboursement de la dette interne à hauteur de 3208 milliards DA dont 608 milliards DA au titre des avances de la Banque d'Algérie. Fin 2008, près de 70% des prélèvements du FRR ont été utilisés pour réduire cette dette à 635 milliards DA. Alors que 1381 milliards DA ont été utilisés pour réduire le déficit du Trésor, soit 30%, selon un rapport du ministère des Finances. Avant l'épilogue, la case de départ La chute des cours du pétrole de 47% sur les marchés internationaux à partir de juin 2014 et tout au long de l'année 2015 a eu un impact évident et direct sur les exportations algériennes et, par voie de conséquence, sur ses réserves de change et le FRR. Si pour absorber le déficit budgétaire de 2013, il avait suffi de 70,2 milliards DA (0,4% du PIB) retirés du FRR, les retraits pour les deux années suivantes sont beaucoup plus importants: 7,3% du PIB pour 2014 et 15,4% pour 2015, soit une diminution de 62,8% du Fonds en l'espace de deux années et... une troisième qui a fini immanquablement par l'assécher. Au début de 2016, le FRR est au solde minimum légal de 740 milliards DA. La loi de finances pour l'année 2017 prévoit la suppression de cette disposition. A la fin de l'été de la même année, un gouvernement fraîchement installé annonce inopinément que le fameux Fonds de régulation des recettes est épuisé depuis février. Dans la foulée de ces nouvelles alarmantes, il en annonce également une autre, plus sidérante: il est prêt à exploiter le gaz de schiste. Cela n'était pas prévu! Car son prédécesseur, quelques mois auparavant, affirma que l'Algérie est engagée dans un «nouveau paradigme et modèle de croissance» pour sortir du tout-pétrole. En décembre 2017, la Banque mondiale conforte les écologistes du monde entier par sa décision de ne plus financer les projets d'exploration et de production d'hydrocarbures dès 2019. Au moment où le mouvement de désinvestissement des énergies fossiles gagne en ampleur à l'échelle planétaire, le gouvernement algérien, sans perdre ses illusions, s'apprête à s'enliser dans le schiste et dans le sillage des dégâts environnementaux irréversibles, ignorés ou soigneusement occultés. Le Fonds de régulation des recettes a servi une vision étriquée de l'économie. Il n'a pu satisfaire qu'à des exigences purement comptables et financières, celles d'équilibrer les comptes de l'Etat, indirectement avant 2006 en remboursant la dette interne et par des prélèvements directs après les amendements législatifs ultérieurs. Il a été conçu pour intervenir dans le cas de baisse du prix du pétrole en deçà d'un prix prévisionnel fixé dans la loi de finances mais à partir de 2006, le FRR a été dévoyé de sa mission initiale. Dépourvu de toute conception stratégique à long terme, la baisse des cours du pétrole a précipité sa fin. Sans rapports périodiques et détaillés sur les encaissements et l'utilisation des montants décaissés, il est incertain de retracer avec exactitude la trajectoire de l'éphémère Fonds algérien, de sa création jusqu'à son extinction. Le FRR s'est distingué par son opacité. Il a été gratifié par la plus mauvaise note (un sur dix) sur l'échelle Linaburg-Maduell qui mesure la transparence des fonds souverains. Avant les jours d'après Malgré une situation des plus favorables et la disponibilité d'une inestimable manne financière sans discontinuité durant deux décennies, l'économie algérienne demeure mono-exportatrice et peine à se diversifier. La dépendance à l'égard de l'or noir est l'une de ses plus significatives constantes. Les hydrocarbures ont représenté en moyenne 98% des exportations, 69% des recettes budgétaires et 36% du PIB tel que l'indique un rapport du FMI de mai 2016. Fondamentalement, la part des hydrocarbures dans l'économie reste dans les mêmes proportions que celles des années 1990. Même s'il participe à près de 40% au PIB, le secteur des hydrocarbures n'emploie que 4% de main-d'œuvre. Le même rapport pointe un chômage élevé (11%) et très élevé chez les jeunes (24%), une autre plaie dont souffre le pays. Les réserves de change, qui ont culminé à 194 milliards $ en 2013 (rapport du FMI, mai 2016) et oscillant actuellement autour de 100 milliards $, sont élevées en raison surtout de la faiblesse de l'économie algérienne et de son incapacité à absorber cette épargne abondante. L'Algérie s'est manifestement désindustrialisée au cours de ces trois dernières décennies. Selon l'OCDE, le secteur de l'industrie (hors hydrocarbures) participe à hauteur de 5% dans le PIB contre 35% à la fin des années 1980. Le secteur privé, sur injonction du FMI, était voué à prendre le relais de l'Etat planificateur et industrieux après les privatisations des années 1990. Cependant, il ne participe que de façon marginale à l'investissement industriel. La Banque africaine de développement (BAD) constate que le secteur privé algérien «caractérisé par son attrait pour la rente (...) reste sous-développé, à l'exception de groupes d'entreprises familiales possédant de solides attaches avec le secteur public». Les investissements directs étrangers (IDE), assez faibles, n'ont pas dépassé 2,5 milliards $ par an de 2007 à 2012 selon la Cnuced. Hors hydrocarbures, ils demeurent insignifiants, se cantonnent dans les services (téléphonie, banques, etc.) et semblent bien timorés pour investir dans d'autres secteurs. Il en est de même pour les banques étrangères installées en Algérie qui sont également réticentes à prendre des risques dans le secteur industriel productif. Selon la revue BP Statistical Review, citée par le FMI, l'Algérie dispose de dix-huit années de réserves pétrolières. En outre, la croissance de la consommation interne de l'énergie (qui a doublé entre 2000 et 2016) va continuer à peser sur les exportations et, par voie de conséquence, sur les rentrées de devises qui se raréfieront inexorablement mais qui demeureront néanmoins indispensables au fonctionnement de la machine économique algérienne. «L'avenir n'est pas ce qui va arriver mais ce que nous allons en faire» Ces quelques éléments sembleraient à première vue disparates, - pays mono-exportateur, réserves de change actuellement abondantes mais inutilisées, désindustrialisation presque achevée, chômage élevé, épuisement du pétrole - mais sommairement réunis, ils acculent le pays à prendre acte du compte à rebours qui a déjà commencé. Ce modèle de développement basé sur la rente pétrolière est à bout de souffle et le statu quo met le pays devant des périls imminents. Organiser la transition énergétique en transformant cette masse d'épargne en investissements industriels productifs dans les énergies renouvelables (solaire, éolien, etc.) et des projets écologiquement soutenables, d'intérêt général et stratégiques pour le pays (énergie, eau, sécurité alimentaire, agriculture biologique) est une question vitale. A terme, ces industries peuvent remplacer l'industrie pétrolière et aussitôt constituer un volant d'entraînement pour le reste de l'activité économique. Evidemment, pour une analyse plus fine, il est sûr qu'une réflexion plus profonde est à mener et à mettre en chiffres. L'actuel programme gouvernemental des énergies renouvelables ne semble pas porter cette ambition car à peine entamé, il est déjà révisé à la baisse. La part des énergies renouvelables dans la production de l'électricité est de 27% (au lieu du 37%, prévu initialement) à horizon 2030 avec un financement de 1% de la redevance pétrolière. Les 3/4 de l'électricité seront-ils produits par les énergies fossiles ? Le gaz de schiste sera-t-il l'avenir de l'économie algérienne ? A. M. NOTES : * Les données chiffrées concernant l'économie algérienne sont celles de la Banque d'Algérie sauf indication contraire. ** Les chiffres sur les fonds souverains sont ceux de SWF Institute et des livres cités en références. Quelques références bibliographiques Jean-Michel Rocchi, Michel Ruimy, Les fonds souverains, Economica, 2011. Henri Louis Védie, Les fonds souverains, Eska, 2010. Caroline Bertin Delacour, Les fonds souverains, Les Echos, 2009. Jean-Marc Puel, Les fonds souverains, Autrement, 2009. Mohamed Laksaci, Gestion des ressources et stabilité financière en Algérie ; Banque d'Algérie, octobre 2010. Michel Aglietta, Les fonds souverains des investisseurs à long terme en mal de stratégies efficaces, Revue d'économie financière, année 2009.