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MENSONGES ET CALOMNIES D'UN TORTIONNAIRE DEVENU G�N�RAL DE L'ARM�E FRAN�AISE CONFESSION D'UN EX-PARACHUTISTE A ALGER (1955 A 1961)
Raymond Cloarec : �J�ai tu� 73 Alg�riens� IV
L. S. Que s�est-il produit en vous pour que vous vous d�cidiez � parler, � lib�rer votre conscience ? R. C. : Durant des ann�es, personne n�a su que j��tais parachutiste, que j��tais avec Bigeard. L. S. : Pourquoi ne l�avez-vous jamais dit ? R. C. : Parce que je n �en ai jamais �t� fier. Je n�ai jamais �t� fier d�avoir �t� parachutiste. Mon �pouse m�a connu lorsque j��tais parachutiste mais elle ne savait pas ce que je faisais. Elle ne savait jamais ce que je faisais. Je la voyais en coup de vent. Je lui disais qu�on partait au Sud, � Oran, � Constantine, sans donner de d�tails. Je vais vous surprendre en vous disant que lorsque je d�nais avec mon beau-p�re, un pied-noir, il y avait toujours � la table 2 ou 3 militants, chefs FLN. Des poseurs de bombes, des collecteurs de fonds, des chefs FLN � la m�me table que moi qui portaient la tenue para. Mon beau-p�re me disait �ce sont mes amis� ... Apr�s l�ind�pendance, je les ai retrouv�s ... Ils m�ont prot�g� alors qu�autour de moi il se produisait des enl�vements, des liquidations d�adversaires. C��taient des amis � mon beau-p�re. Nous ne parlions pas de parachutistes, de FLN. Comment pouvais-je rester � Alger durant deux ans sans �tre prot�g� par ces personnes ? Ils m�ont respect� parce que je ne les ai pas vendus. L. S. : Lors de notre rencontre ce matin, � la gare, vous �tiez pris par l��motion. Pourquoi ? R. C. : Je me suis rappel� que je dois la vie � deux Alg�riens... C��tait durant la nuit du 24 au 25 d�cembre 1960. Trois mois avant que je ne d�missionne de l�arm�e. Mon fils avait 8 mois, il �tait n� le 27 avril 1960. Dans notre compagnie, il y avait deux suppl�tifs, c�est-�-dire deux ralli�s alg�riens qui avaient d�sert� d�une katiba. Je pense qu�au 3e RPIMA, nous avions la 5e harka. C��taient tous des suppl�tifs ou des ralli�s, on les appelait des harkis. Nous �tions � S�tif et donc nous avons pris avec nous deux harkis qui connaissaient mieux que nous les lieux, les endroits de passage, les pistes et sentiers. Avant de d�serter, ces deux harkis appartenaient � la katiba que nous recherchions. Ils connaissaient tous les lieux et les espaces de repos dans les villages. La veille de No�l, nous avions pr�vu une embuscade � l�entr�e du village o� la katiba devait se rendre. Vers 23h, les rebelles sont arriv�s sans se douter de notre pr�sence parce qu�ils pensaient que la veille de No�l nous ne sortirions pas en embuscade. Mais ils nous ont entendus � cause des branchages, du sol pierreux. J��tais devant avec les deux harkis qui ont entendu les cliquetis d�armes. L�un des harkis m�a demand� de revenir en arri�re et m�a dit qu�il allait leur parler et se faire prendre pour des gens �gar�s. Les rebelles leur ont fait croire que la ruse a fonctionn�. �Adji mena, adji mena� leur criaient-ils. Les deux harkis ont entam� l�approche en descendant le versant. Quelques instants apr�s, quinze ou vingt m�tres plus loin, ils ont �t� mitraill�s. Ils ont �t� reconnus. J�ai eu juste le temps de me coucher � terre. Les deux harkis �taient morts J�aurais d� mourir avec eux, (l��motion est tr�s forte, Cloarec pleure...). Ils m�ont sauv� la vie. Ils ont sauv� la vie des 33 soldats de la section... je n�avais pas vu mon fils depuis longtemps parce que nous �tions en op�ration depuis trois semaines. Tout ceci est �crit dans mes manuscrits. L . S. : Est-ce que votre fils sait aujourd�hui que vous avez �t� parachutiste ? R. C. : Oui. Il le sait mais il n�a jamais su ce que j�ai fait. L. S. : C�est-�-dire quoi ? R. C. : Tout ce que je vous ai racont�. L. S. : Sait-il que vous avez tu� 73 personnes ? R. C. : Oui. Il le sait. L. S. : Comment a-t-il r�agi ? R. C. : C��tait la guerre. Mon fils appartient � une autre g�n�ration il est contre tout cela. Il ne veut m�me pas savoir. J�ai �t� trahi. L. S. : Par qui ? R. C. : Par les politiques et les militaires. Les militaires �taient aux ordres des politiques. Je ne recevais pas les ordres de la part des politiques. Mais Bigeard recevait les ordres des politiques. Arriver � ce r�sultat, ce n�est pas en disant � un suspect �monsieur je crois que vous �tes un responsable FLN�. Il fallait les faire parler. L. S. : Comment les faisiez-vous parler ? R. C. : Je vous l�ai d�j� dit. Il y avait les centres d�interrogatoires. Certains parlaient par peur. D�autres ne parlaient pas du tout. Ils pr�f�raient mourir que de �donner� leurs compagnons. Ghandriche avait peur, il s�est mis � table et � collaborer avec nous. Arr�t� dans la nuit du 5 au 6 ao�t 1957, Hac�ne Ghandriche s�est mis au service du 3e RCP en jouant double jeu. Il est � l�origine du d�mant�lement de la Zone autonome d�Alger. A l�ind�pendance, il s�est enfui en France o� il est d�c�d� il y a quelques ann�es non sans rencontrer des compagnons qu�il avait trahis auparavant. Selon d�autres sources, Hac�ne Ghandriche, alias �Judas�, alias �Saffy�, collaborait avec l�arm�e coloniale avant m�me son arrestation). Je ne l�ai pas connu personnellement mais je sais son apport. Comment avions-nous pu abattre Sa�d Bakel et arr�ter Louizette Ighilahriz ? C�est gr�ce � lui. Qui les a donn�s pour que nous sachions qu�ils �taient r�fugi�s � Chebli ? C�est Ghandriche. Bakel Sa�d s�est �vad� de son lieu de d�tention. L. S. : Mais Schmitt soutient que Sa�d Bakel a pris la fuite au cours d�un transfert alors qu�il �tait dans un v�hicule militaire. R. C. : (C�est une version fausse d�j� pr�tendue dans Les rebelles alg�riens, un ouvrage de Serge Bromberger publi� en 1958 aux �ditions Plon. Cet ouvrage a �t� lu par Schmitt dont il se r�f�re dans son livre. Touch�s dans leur vanit� et leur prestige, les officiers de la 10e division de parachutistes n�osaient pas d�clarer que Sa�d Bakel s�est �vad� du caf� Hamam, � leur nez et � leur barbe, malgr� une longue s�ance de tortures. T�moignage r�v�l� par le d�funt Ali Moulay et confirm� par d�autres militants). Je n�ai pas besoin de relire mes cahiers journal. Tout est ancr� dans ma m�moire. Comment peut-on accorder du cr�dit � Shmitt ? Dans un v�hicule militaire, nous �tions tous arm�s. Tous. Chacun de nous a soit une mitraillette, soit un PA, soit une carabine US 7,62 � crosse repliable, nous avions tous une arme lorsque nous �tions dans un v�hicule. Je n�ai jamais vu un rebelle se sauver d�un v�hicule sans �tre automatiquement mitraill�. C�est arriv� que l�on ait oubli� d�attacher un prisonnier, c�est humain qu�il se sauve mais il �tait abattu imm�diatement. L. S. : Pourquoi le g�n�ral Schmitt a-t-il menti ? R. C. : Bakel s�est �vad� en sautant par la fen�tre du caf�-bain maure � Alger (il s�agit du caf� El Hamaman, situ� dans une ruelle adjacente � la rue Bab-Azzoun). Il venait de subir un interrogatoire. L. S. : Interrogatoire ? R. C. : Enfin, il venait d��tre durement interrog�. Il s�est bless� � la cheville, quand m�me, il a r�ussi � s��vader. Nous ne l�avions plus revu. Entre le 10 et le 28 septembre 1957, il s�est �coul� 18 jours. Entre ces 18 jours, Ghandriche nous a renseign�s o� Sa�d Bakel s��tait r�fugi�. Il l�a dit aux renseignements de la 10e DP, � nous les parachutistes. Ghandriche jouait double jeu. C�est lui qui nous a affirm� que pour le capturer, il fallait monter une op�ration � Chebli. Sa�d Bakel �tait avec un commando compos� de 9 personnes dont Louizette Ighilahriz. Il nous a donn� le lieu et il ne restait plus qu�� monter l�op�ration avec les r�giments qui ont particip� dont le 1er REP qui �tait en premi�re ligne. Lorsqu�un d�tenu s��vade d�un palais de justice, ce n�est pas honorable pour la police qui est cens�e lui mettre les menottes. Aussi lorsque Bakal Sa�d s�est �vad�, c�est d�shonorant pour Schmitt. Voil� pourquoi il a piqu� une col�re avec le capitaine Chabane. Ils �taient fous de rage en apprenant l��vasion de Bakel. L. S. : Vous ne m�avez pas parl� du capitaine Chabane... R. C. : C�est le chef de Schmitt. Aujourd�hui, je ne comprends pas que le g�n�ral Chabane ne soit pas au proc�s de Schmitt. Ces gens-l� ferment leur g... il a peur de perdre une �toile, ses m�dailles ou sa retraite. C��tait le capitaine Chabane de la CA, avant Schmitt. L. S. : Selon certains t�moignages de rescap�s de l��cole Sarrouy, le capitaine Chabane ne participait pas directement aux tortures. D�autres t�moignages sont formels quant � sa participation. Mais tous les t�moignages concordent en ce qui concerne Schmitt consid�r� comme l�ordonnateur et le lieutenant Fleutiot qualifi� de principal tortionnaire qui maniait la g�g�ne ... R. C. : Ah Fleutiot, c�est autre chose. C��tait le tortionnaire pur. Il �tait connu comme �tant le chef de file des tortionnaires. Il �tait m�me plus atroce que Schmitt. Schmitt ex�cutait les ordres de Chabane qui ex�cutait les ordres de Bigeard qui ex�cutait les ordres de Massu. L. S. Dans vos cahiers journal, vous avez parl� de bavures... L. S. : Torturer quelqu�un, c�est une bavure. Tout �tait bavure. Tuer quelqu�un, pendre Ben M�hidi, c��taient des bavures. Nous, nous ne voulions pas d�un Ben M�hidi mort. Nous voulions le garder pour faire les grandes n�gociations, les grands accords qui se pr�paraient. Bigeard voulait le pr�server pour qu�il devienne le principal n�gociateur plus tard. L. S. : Dans vos �crits, vous �voquez le GRE (Groupe de renseignement et d�exploitation) plac� sous les ordres de Schmitt. Lui-m�me en parle. Cependant, ce groupe ne figure sur aucun document officiel. Etait-ce un groupe clandestin ? R. C. : Oui, exactement. C�est ceux qui y �taient qui ont fait le pire. Nous les surnommions �les rouleurs de m�caniques�. C�est bien beau de jouer le costaud lorsqu�on a une mitraillette � la main. A Alger, �a roulait les m�caniques. Apr�s avoir fait le djebel, lorsque nous arrivions pour nous reposer, nous ne pouvions pas les accepter parce qu�ils faisaient du sale boulot. Les interrogatoires, c�est facile lorsqu�on a en face un pauvre type sans aucune arme, sans force, on devient costaud le PA � la ceinture... Le GRE, c��tait clandestin. Ses membres ne venaient pas avec nous crapahuter dans les djebels. L. S. : Comment agissiez-vous pour obtenir des renseignements ? R. C. : Tout d�pend du r�giment du chef. En ce qui me concerne, j��tais habill� en bleu de chauffe. J�ai fait le terrassier, le cantonnier, le plombier. Sans arme, habill� en truffion de la ville d�Alger. Avec des compagnons, on s�asseyait sur les trottoirs et on faisait parler les enfants qui nous donnaient des renseignements. Nous nous faisions m�me passer pour des personnes qui d�siraient int�grer le FLN. Nous cassions la cro�te tout en les faisant parler en leur donnant des friandises. Nous obtenions de bonnes informations. On nous proposait de distribuer des tracts, de r�unir des fonds pour rencontrer ensuite un chef. Au fil des jours, nous progressions. Le soir, nous revenions au cantonnement de Sidi Ferruche, on donnait les renseignements pour exploitation. Le soir ou le lendemain, nous bouclions La Casbah. C��tait cela la guerre... Yacef Sa�di a �t� un dr�le de rus�. Plusieurs fois nous l�avions eu au bout de la mitraillette dans La Casbah, il arrivait toujours � se sauver. Une jour, nous l�avions situ� dans une maison de La Casbah que nous avions investie, dans une de ses pi�ces il y avait une pile de journaux de L��cho d�Alger qui �tait d�pos�e. Au milieu de cette pile, un carr� avait �t� d�coup� au milieu avec � l�int�rieur une bombe. En fouillant la pi�ce, un caporal a fait bouger le paquet de journaux. Boum, la cloison a saut�, le bras du caporal a �t� arrach�, j�ai failli y passer car j��tais juste derri�re. Yacef Sa�di qui �tait � c�t� a r�ussi � se sauver. C��tat un pi�ge pour donner l�alerte. Il �tait pass� par un souterrain. Plusieurs fois cela s�est produit sans jamais avoir pu l�avoir. L. S. : Avez-vous des informations relatives � Ourida Meddad ? (Cloarec se concentre. Il fouille dans sa m�moire) R. C. : C�est la petite de 19 ans. Elle a �t� tortur�e (...) et jet�e toute nue par la fen�tre. L. S. : Etiez-vous pr�sent ? R. C. : Non. Je vous disais auparavant qu�entre militaires de diff�rents r�giments nous nous �changions des renseignements. Cela s�est produit la nuit, le lendemain c��tait le branle-bas de combat puisque nous craignions des d�bordements � son enterrement... Il faudrait que je relise mes archives pour donner plus de d�tails. L. S. : Vous venez d�ext�rioriser vos remords. Cependant, en lisant vos cahiers journal, on constate que vous reprochez � Aussaresses d�en avoir fait de m�me. Votre d�marche est quand m�me contradictoire, n�est-ce pas ? Vous lui reprochez dans vos �crits d�avoir trahi un secret d�Etat... R. C. : Finalement, il a eu raison. Aujourd�hui, je pense qu�il avait envie de dire la v�rit� avant de mourir. Je le comprends mieux aujourd�hui. Maintenant que le d�ballage a commenc�, il faut avoir des hommes courageux pour continuer � exposer l�Histoire. L. S. : Vous avez affirm� qu�il m�ritait un bl�me... R. C. : Il n�a plus la l�gion d�honneur, il n�a plus les honneurs. Comme moi il a dit la v�rit�. Oui, il m�rite un bl�me, il m�rite ce qu�on lui a enlev�. Il a d�voil� des choses, il a tu� des personnes... Mais, c��tait visc�ral en lui. Il ne venait pas avec nous dans les maquis � la poursuite des fellagas. En ce qui le concerne, il fallait qu�on lui ram�ne des fellagas pour qu�il les torture, c��tait un sale boulot. C�est d�shonorant. Si j�avais fait comme lui, j�en aurais �t� d�j� mort. L. S. : Avez-vous subi des pressions depuis que vous avez d�cid� de parler ? R. C. : J�ai re�u des compliments aussi. �Cloarec, tu as bien fait. Tu es courageux. Je n�aurais pas pu faire comme toi�, m�a dit un ex-compagnon. Un autre m�a affirm� : �C�est bien ce que tu fais. Mais, entre nous on n�en a pas tu� assez�. Un autre m�a trait� de salaud en me disant : �Je ne voulais pas que ma femme sache. J�ai toujours tout cach� � ma famille, � mes petits-enfants. Je ne veux pas qu�ils sachent que leur p�re �tait un para, tortionnaire. Pourquoi tu as parl� ? Tu es un salaud�. Puis il a raccroch�, je ne sais m�me pas qui c��tait. L. S. : Pourquoi avez-vous d�cid� de parler ? R. C. : C�est visc�ral. C�est un besoin vital. Je pr�f�re parler de mon vivant. Si j�ai d�pos� mes cahiers journal aux archives de Vincennes, il y a bien une raison : c��tait strictement pour l�arm�e. Or, l�arm�e a ouvert les archives. Alors moi aujourd�hui, je dis que je suis coupable. D�avoir �crit cela, je ne regrette rien. J�ai bien fait. Est-ce qu�il existe des parachutistes qui ont �crit autant que moi ? Au 3e RPIMA, si je crois mes ex-coll�gues, ils font tous les morts. Ils sont tous abasourdis que je dise la v�rit�. Je suis satisfait de l�avoir fait pour l�Histoire, pour les historiens et pour les futures g�n�rations. Je pr�f�re qu�on lise mes �crits pendant que je suis vivant car je suis pr�t pour la justice des hommes face � laquelle je plaide coupable. Quant � la justice de Dieu, je sais qu�il jugera mieux les choses. L. S. : Il y a une contradiction dans votre d�marche. Dans certains de vos �crits d�pos�s aux archives, vous approuvez ce qui s�est pass�, mais, ensuite, comme si vous vous r�veillez d�un cauchemar. Dans vos autres �crits vous vous appliquez � d�noncer les m�mes faits... R. C. : Au d�part, je m��tais soumis � l�esprit de corps. Mais, j�ai ensuite compris que cet esprit de corps consistait � fermer sa g..., � ne rien dire. Sur le coup, j�ai estim� qu�il fallait d�fendre Schmitt puisque nous sommes tous coupables. Je n�admettais pas qu�il soit seul accus�. Comment cela se fait-il que Schmitt soit accus� ? Moi j�ai �crit et je ne suis pas encore accus�. Schmitt a �crit des livres pour faire du fric, mais dans son livre il pr�tend que Louisette est une menteuse, que Sa�d Bakel �tait un menteur, que nous n��tions pas � Alger lorsqu�il a �t� abattu, etc. Or, son livre est en contradiction avec la r�alit� des faits. Il a pris ses engagements de mentir. Dans certains passages du livre, il a racont� la guerre d�Alg�rie dans son int�r�t et pour sa d�fense... L. S. : Pourquoi tout � l�heure vous n�avez pas pu retenir votre �motion, pourquoi avez-vous pleur� ? R. C. : Je pleure souvent. L. S. : Est-ce que vous dormez bien ? R. C. : Oui. Mais si j�ai un cauchemar c�est toujours sur la guerre d�Alg�rie. Mon dernier cauchemar est plut�t un fait r�el, c�est lorsque j�ai abattu un homme qui me regardait les yeux dans les yeux et qui m�a demand� de tirer de sa poche une m�daille militaire, de la d�poser sur sa poitrine. J�ai �t� �tonn� par cette m�daille. Il m�a dit : �J�ai fait la guerre avant toi. J�ai fait la guerre 39/45 pour d�fendre ton pays. J�ai gagn� cette m�daille militaire�. �Mais alors pourquoi tu nous a tir� dessus toute l�apr�s-midi ? Tu aurais pu me tuer...�, lui ai-je demand�. Il m�a alors r�pondu : �Aujourd�hui, je combats pour l�ind�pendance de mon pays�. Il me fixait dans les yeux... J�avais la haine... Nous avions la haine... Nous avions l�ordre de le tuer... Je lui ai mis trois balles dans la t�te. C�est parce que j�ai re�u l�ordre de le tuer... C��tait visc�ral. On nous a inculqu� cela (...) on �tait form�s pour avoir la haine. Il fallait qu�on gagne la guerre d�Alg�rie. L. S. : Mais vous l�avez perdue... R. C. : Oui. Nous l�avons perdue. J��tais convaincu que nous allions la perdre. C�est �crit dans mes cahiers journal (...) nos politiques sont des nuls, nuls, nuls. Ils transforment les hommes en assassins. Permettez-moi d�ajouter quelques mots. L. S. : Avec plaisir... R. C. : Il y a trois jours que je viens d�avoir une petite-fille. Je souhaite que dans 20 ans elle puisse retourner � Alger pour voir la clinique Nancy � Bab-El-Oued, pour voir o� est n�e sa grand-m�re c�est-�-dire mon �pouse n�e � Alger, pour aller � la tombe de ses arri�re-grands-parents au cimeti�re de Saint-Eug�ne. J�aimerais bien qu�elle y aille sans arri�re-pens�es de guerre. Ma petite-fille me motive davantage pour favoriser la paix entre les deux peuples. Je donne raison � Abdelaziz Bouteflika qui fait pression dans ce sens. Je suis pour la concr�tisation du trait� d�amiti� entre la France et l�Alg�rie. Il faut reconna�tre qu�il y a eu des atrocit�s commises des deux c�t�s et qu�il faut tourner la page. Nous devons construire pour nos enfants. L. S. : Vous dites atrocit�s commises des deux c�t�s. Reconnaissez quand m�me que tout �tait permis aux Alg�riens pour recouvrer leur ind�pendance... R. C. : Un responsable du FLN a reconnu, lors d�une table ronde � la t�l�vision, que de nombreux civils innocents avaient p�ri � la suite des explosions de bombes. Mais c��tait pour l�ind�pendance de l�Alg�rie. Je suis d�accord. Je suis r�volt� lorsqu�on parle de fellouzes, de terroristes, non, c��taient des r�sistants comme l�ont �t� nos parents. Mon p�re, mon fr�re � 17 ans, �taient des r�sistants. Le FLN, c��tait aussi des r�sistants. L. S. : Je vous remercie.
Ourida Meddad, victime des tortionnaires Schmitt, Fleutiot et consorts �Elle s�est d�fenestr�e, elle s�est jet�e par la fen�tre, elle s�est suicid�e �� Le parachutiste qui criait cette consigne en d�valant les sombres escaliers de l��cole Sarrouy, ex�cutait magistralement l�ordre de son lieutenant, Maurice Schmitt alias �l�Intellectuel�, qui deviendra g�n�ral et chef d��tat-major des arm�es fran�aises pour services rendus aux politiques en bafouant et la D�claration des droits de l�homme et la Convention de Gen�ve. Un tortionnaire. Aucun doute � ce propos. Des dizaines de rescap�s l�attestent et le certificat avec une formelle conviction. Cette nuit-l�, �l�Intellectuel� a fait preuve d�un machiav�lisme extr�me : c�est le jeudi 29 ao�t 1957, une jeune fille, 19 ans, militante de l�ind�pendance nationale, agent de liaison d�un important responsable de la Zone autonome d�Alger, arr�t�e quelques jours auparavant vient d�entrer pour la �ni�me fois dans la salle de tortures o� officient les lieutenants Schmitt, chef de la compagnie d�appui, et Fleutiot. Il est environ 23 heures, c�est la quatri�me s�ance de tortures qu�elle subit depuis le d�but de matin�e. G�g�ne, baignoire, insultes� Fatigu�e, �reint�e, essor�e, Ourida r�siste. Mieux que cela, elle se moque, elle se joue de ses tortionnaires. A chaque fois, elle les m�ne en barque faisant mine de c�der. Eux jubilent croyant qu�ils vont arr�ter leur cible. En v�rit�, Ourida cherche des moments de r�pit, une bouff�e d�air pur. Alors elle fait mine d�accepter de les conduire au refuge du responsable politique de la ZAA. Une fois sur les lieux, les parachutistes du 3e r�giment de parachutistes coloniaux se rendent compte qu�Ourida, leur victime, se moque d�eux. Fous de rage, ivres de haine, ils la conduisent aux tortures. Pour la �ni�me fois depuis sa r�cente arrestation due � la d�nonciation d�un �bleu�, c�est-�-dire un ralli�. Fleutiot la pr�c�de de quelques pas et lance � l�adresse de Schmitt : �L�oiseau s�est envol�. Schmitt est exc�d�, touch� dans sa vanit�. Il ordonne une nouvelle s�ance de tortures. Ourida hurle, crie, crie, hurle � puis c�est le silence � Schmitt fixe Fleutiot qui fixe un autre, un deuxi�me, puis un troisi�me parachutiste. Un Alg�rien, militant lui aussi, assiste � la sc�ne. Des murmures, des chuchotements, puis l�un des parachutistes quitte la salle en criant �elle s�est d�fenestr�e, elle s�est jet�e par la fen�tre, ��. Les Alg�riennes et Alg�riens d�tenus dans les autres salles, qui ont d�j� subi les tortures, avalent la couleuvre. M�me apr�s l�ind�pendance. Schmitt a r�ussi son coup. Un mensonge, bien concoct� mais qui n�a pas r�sist� � la v�rit� gr�ce � des t�moignages de rescap�s. Qu�elle se soit �d�fenestr�e� (hypoth�se fort peu probable pour qui conna�t Ourida la pieuse impr�gn�e par les valeurs de la religion qui interdisent le suicide) ou qu�elle ait �t� �d�fenestr�e� par Schmitt et ses complices, il est pr�cis� par plusieurs t�moins qu�une fois tomb�e dans la cour, Ourida Meddad n�est pas d�c�d�e sur le coup. G�missements, hurlements, douleurs jusqu�� son agonie au cr�puscule. Donc il s�agit l� d�un cas flagrant de non-assistance � personne en danger. Pourquoi donc n�a-t-elle pas �t� dirig�e vers un h�pital ? Ourida portait en elle, sur son visage, sur son cou, sur son ventre, sur ses jambes les stigmates des tortures ordonn�es par Schmitt et ex�cut�es par Fleutiot et autres. Ses tortionnaires redoutaient l�effet boomerang de leurs ignobles agissements. Alors, il ne leur restait qu�� la laisser mourir et � faire accroire qu�elle s��tait �d�fenestr�e�. Ses oncles, ses cousines, ses tantes qui l�attendaient � sa derni�re demeure (la d�pouille a �t� transf�r�e sous bonne escorte directement de la morgue vers le cimeti�re d�El Kettar) ont bien constat� les h�matomes, les traces de br�lures � la g�g�ne sur diff�rentes parties de son corps ; ils sont formels : Ourida ne pouvait plus r�sister aux tortures. C��tait son sacrifice supr�me. Gloire � l�h�ro�ne.