Voici huit mois que Rusana ne s'habille plus qu'en noir. Veuve � 27 ans, elle porte le deuil de son mari, Elmar Gusse�nov, journaliste sp�cialis� dans l'investigation, assassin� le 2 mars 2005 alors qu'il rentrait chez lui, � son domicile de Bakou, la capitale azerba�djanaise, apr�s sa journ�e de travail. Pour chasser le vide laiss� par la mort d'Elmar, elle redouble d'activit�, se concentre sur son travail de r�dactrice en chef des Nouvelles de Bakou, un journal proche de l'opposition tir� � 6 000 exemplaires, au ton particuli�rement vindicatif. Elmar Gusse�nov, 37 ans, �tait le journaliste le plus critique des cercles au pouvoir en Azerba�djan, r�publique riche en hydrocarbures sur la rive occidentale de la Caspienne, tenue de main de fer par la famille Aliev depuis l'�poque sovi�tique. Fondateur de trois revues ( Les Nouvelles de Bakou, Monitor et Le Boulevard de Bakou), ce g�ant au sourire d�bonnaire d�non�ait inlassablement les pratiques opaques et la corruption au sein de l'�lite politique, s'�rigeait contre le musellement de la presse. �Il les rendait fous�, se rem�more- t-elle un sourire aux l�vres. Mal lui en a pris : fermeture du Monitor, confiscation de ses biens, condamnation � en 2001 � � un mois de prison ferme. �Il �tait constamment harcel� par les autorit�s et, un an auparavant, il parlait d'une liste de personnalit�s � abattre sur laquelle son nom figurait.� Un jour, Elmar lui avait d�crit sa propre mort, lui expliquant que s'il �tait assassin�, cela serait d'une balle dans le dos. �Il avait vu juste.� Selon Rusana, �ce n'est pas par hasard qu'ils ont choisi de le tuer de fa�on d�monstrative. Il fallait un exemple afin d'�ter � quiconque l'envie d'�tre comme lui, de demander des comptes�. Elle en est s�re, les commanditaires sont � chercher dans le cercle proche du jeune pr�sident Ilham Aliev, qui a re�u le fauteuil pr�sidentiel des mains de son p�re, Gue�dar, � la mort de celui-ci, en 2003. Et l'enqu�te ? �Elle existe mais seulement en apparence.� �Ceux qui sont � la t�te du pays ne reculeront devant rien pour garder le pouvoir, estime Rusana. On a voulu m'acheter en me proposant un appartement, une somme d'argent, une destination hors du pays. Moi, je ne veux rien de tout cela, j'aime trop mon pays pour partir. Tout ce que je veux, c'est la v�rit�.� Pour que les id�es de son mari continuent � vivre, Rusana s'est mis en t�te de cr�er une fondation destin�e � encourager de jeunes journalistes talentueux et ind�pendants d'esprit, en leur offrant des bourses, des formations, des s�jours � l'�tranger. Reste � trouver les financements. Pour le moment, sa fondation n'a ni local ni statuts. Apparemment, les autorit�s se font prier pour l'enregistrer. Mais il en faudrait plus pour d�courager la jeune femme au visage de madone. Une seule chose compte d�sormais pour elle : �Qu'aucun adepte de la libre parole ne soit contraint au silence comme l'a �t� Elmar !�