Commerce: installation de la commission interministérielle conjointe chargée de l'organisation de l'IATF    Le Data center de la Banque nationale de l'habitat obtient la certification "TIER III Design"    Route Tindouf-Zouérate: Rekhroukh appelle les sociétés de réalisation à assurer les moyens nécessaires pour livrer le projet dans les délais impartis    Cisjordanie occupée: l'agression sioniste contre la ville de Jénine et son camp se poursuit pour le 39e jour consécutif    Match MB Rouissat-USM El Harrach: la FAF appelle à préserver l'esprit du sport et contribuer à éradiquer la violence dans les stades    Boughali représente le Président de la République à la cérémonie d'investiture du Président élu de la République orientale d'Uruguay    Mexique: un parti politique proteste contre la visite du président du parlement marocain    Le Cheikh de la tariqa Belkaïdia El Hebria Mohamed Abdelatif Belkaïd inhumé à Oran    Merad met en exergue les efforts considérables des éléments de la Protection civile pour protéger les citoyens et leurs biens    Le ministre des Affaires religieuses préside une conférence scientifique sur les aspects éducatifs et spirituels du mois sacré    Décès de Mohamed Abdelatif Belkaïd cheikh de la Zaouïa Belkaïdia: le président de la Cour constitutionnelle présente ses condoléances    L'Algérie rejette les ultimatums et appliquera une réciprocité stricte à toutes les restrictions apportées aux mobilités par la France"    Le Maroc transformé en décharge européenne: scandale et indignation    Renouvellement par moitié des membres du Conseil de la nation: les candidats déposent la liste de leurs représentants au niveau des bureaux de vote    AG élective du COA: Abderrahmane Hammad réélu à la tête de l'instance olympique    Affaire USMA - RS Berkane: Verdict du TAS, une belle victoire de l'Algérie    Une alliance pour renforcer l'exploitation du gisement de Hassi Berkane-Nord    Des projets qui font honneur à l'Algérie victorieuse    Installation du nouveau secrétaire général de la wilaya    Les impacts des tensions géopolitiques au Moyen-Orient sur le cours des hydrocarbures via le rôle stratégique du détroit d'Ormuz    Six grands axes pour le développement du football national    USMA : Le Burundais Bimenyimana officiellement qualifié    18e journée championnat de Ligue 1 Peu de buts mais des satisfactions    Le sioniste Yehuda Glick mène l'incursion des colons dans la mosquée Al-Aqsa    Trente-et-un ans se sont écoulés depuis le massacre de la mosquée Al-Ibrahimi, commémoré hier    Lavrov : Le règlement à Ghaza doit s'appuyer sur les résolutions de l'ONU    Arrestation d'un narcotrafiquant et saisie de 60.000 comprimés de psychotropes et près de 6 kilogrammes de kif traité    L'impact d'une vidéo sur les réseaux sociaux à Mostaganem La Sûreté arrête deux voleurs de portable à l'arraché    Pas moins de 722 exploitations agricoles raccordées depuis le début de l'opération    Sept éléments de soutien aux groupes armés arrêtés et un terroriste éliminé    L'Italie lance un plan triennal    Tizi-Ouzou honore la mémoire de l'Amusnaw    Décès de Mohamed Abdelatif Belkaïd Cheikh de la Zaouïa Belkaïdia El Hebria : le président de la République présente ses condoléances    Distinction des lauréats de la 4e édition du Concours national de journalisme environnemental    Un projet monumental aux portes des pyramides    Le ministre de la Communication appelle la presse à faire preuve de professionnalisme        L'Algérie happée par le maelström malien    Un jour ou l'autre.    En Algérie, la Cour constitutionnelle double, sans convaincre, le nombre de votants à la présidentielle    Algérie : l'inquiétant fossé entre le régime et la population    Tunisie. Une élection sans opposition pour Kaïs Saïed    BOUSBAA بوصبع : VICTIME OU COUPABLE ?    Des casernes au parlement : Naviguer les difficiles chemins de la gouvernance civile en Algérie    Les larmes de Imane    Algérie assoiffée : Une nation riche en pétrole, perdue dans le désert de ses priorités    Prise de Position : Solidarité avec l'entraîneur Belmadi malgré l'échec    Suite à la rumeur faisant état de 5 décès pour manque d'oxygène: L'EHU dément et installe une cellule de crise    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



A quand mon p�lerinage ?
Par Le�la Aslaoui
Publié dans Le Soir d'Algérie le 26 - 01 - 2006

Assise face � ma machine � coudre, au fond de la boutique, j�ai la chance de voir gr�ce � une petite fen�tre, les passants de la rue Didouche-Mourad. J�ai appris � reconna�tre ceux dont la vie ressemble � un monceau de ruines. La mine renfrogn�e, le front pliss�, les l�vres pinc�es, ils ne voient rien ni personne. Leur vie, leur mort, quelle diff�rence ? Leur arracher un sourire serait peine perdue.
Leur annoncer une bonne nouvelle les plongerait dans la confusion. Il y a ceux qui d�ambulent sans trop savoir o� les porteront leurs pas. Ils s�arr�tent un moment devant la vitrine. Vont-ils p�n�trer ? Vont-ils continuer leur chemin ? Il y a �galement ceux qui sont press�s. Au volant de leur v�hicule, ils vitup�rent, blasph�ment, au moindre arr�t de la circulation. Pi�tons, ils courent, courent, derri�re les minutes, les secondes qui leur �chappent. Ils se vantent d��tre des l�ve-t�t et se plaignent, le soir, d�avoir perdu leur temps � cavaler pour rien. Ce petit hublot sur la vie ext�rieure rend mes journ�es de retoucheuse en confection dans ce magasin de pr�t-�-porter pour femmes et hommes, moins p�nibles et plus gaies. Je travaille ici depuis quinze ans et je n�ai aucune raison de me plaindre. Mon patron est correct. Tr�s correct m�me. Je veux dire que, certes, je ne suis pas d�clar�e � la S�curit� sociale, mais il me respecte. J�ai tellement entendu d�histoires de femmes harcel�es par leur employeur que j�appr�cie ma chance. Mon �salaire� n�est jamais le m�me. D�s qu�il me dit : �Zoubida, les affaires n�ont pas �t� bonnes ce mois-ci�, � et c�est souvent que j�entends ce refrain � je comprends que mon �salaire� vers� en esp�ces, sera fonction de son bon vouloir et de son humeur. Je me d�brouille avec les pourboires des clients. Il y a ceux qui paient le prix des retouches. Mais il y a aussi les g�n�reux comme M. Sa�d... ou Mme Fatiha... Je suis folle de joie lorsque je les entends dire sur le pas de la porte : �Zoubida est-elle l� ?� Je sais que la journ�e sera bonne et la recette excellente. Ceux qui me font rire, ce sont les parvenus, c�est-�-dire ceux qui ont l�argent mal acquis et qui sont convaincus qu�ils sont l�argent lui-m�me. Ce qui m�amuse, c�est moins leur insolence que leur manque de distinction. Ils sont �riches� mais ne seront jamais raffin�s parce qu�ils sont n�s vulgaires et ne pourront aucunement se d�faire de leurs origines poissardes. La soudaine abondance de leurs biens ne rime pas d�ailleurs avec largesses et bienfaisance. Que dis-je ! Leur soutirer le prix de mon travail n�est pas toujours une sin�cure. Ils finissent toujours par payer, car la vie, � ma vie � m�a appris d�s l�enfance que face � l�adversit�, il ne faut jamais tomber dans l�ab�me du renoncement. Et puis, il me faut reconna�tre que je n�ai pas de grosses charges. Apr�s mon divorce, mon p�re m�a r�troc�d�, avant de mourir, son petit appartement de deux pi�ces � Bab-El-Oued. Cherchait-il par ce geste � se faire pardonner mon mariage forc� avec un homme plus �g� que moi, polygame, et particuli�rement violent ? J�avais dix-huit ans et mon tuteur avait dit : �Elle sera � l�abri du besoin, c�est un riche commer�ant.� Je n�ai jamais profit� des biens de mon �cher� �poux. Lui-m�me n��tait pas ma propri�t� puisque je devais le partager avec mes deux co�pouses bien soud�es entre elles et ligu�es contre l��trang�re que je fus durant sept ann�es d�enfer conjugal. Un matin je me suis enfuie avec ma petite fille et j�ai obtenu mon divorce en rachetant ma libert� par �kh�l� (1). Mon ma�tre accepta de m�affranchir moyennant une rondelette somme d�argent que lui versa mon fr�re a�n�. Je n�ai jamais voulu me remarier. Une seule exp�rience m�avait suffi. Je n�avais pas fr�quent� l��cole tr�s longtemps, mais j�avais appris � coudre et la couture �tait devenue ma passion. C�est alors que l�id�e de confectionner des habits pour les femmes de ma famille, les voisines, germa dans mon esprit. Satisfaites, celles-ci le disaient � d�autres. Et c�est ainsi que tr�s vite le travail ne manqua pas. J��tais souvent d�bord�e et mon m�tier me permettait de subvenir aux besoins de Souhila � ma fille � et d��tre parfaitement � l�aise. Cependant mon enfant grandissait, et je craignais que les all�es et venues des femmes qui venaient d�sormais de tous les quartiers de la capitale soient responsables de son �chec scolaire. Je lui avais am�nag� un espace pour travailler, mais dans une pi�ce il y avait ma machine � coudre, dans la seconde �taient entass�s les coupons de tissu, les commandes des clientes. Se mouvoir n��tait pas chose ais�e. La r�ussite scolaire de ma fille n��tait pas seulement mon esp�rance, mais une exigence. Mon exigence � moi. C�est alors que je d�cidai d�arr�ter la couture. Il faut dire que je ne supportais plus les retards de mes clientes aux rendez-vous fix�s par mes soins, selon un planning con�u pour que les unes et les autres n�aient pas � se rencontrer, voire � se croiser. Je dus d�clarer forfait. Tr�s vite je n��tais plus seulement la couturi�re de ces dames, mais leur confidente, leur �psy�. Elles repartaient soulag�es d�avoir d�pos� leur fardeau. J��tais totalement �puis�e en fin de journ�e. Leurs querelles entre voisines, entre belles-m�res et brus me fatiguaient et aucune d�entre elles n�aurait pu devenir mon amie. Un jour j�ai averti tout ce beau monde que je changeais de cr�merie. Je dus affronter un toll� g�n�ral : �Et moi qui comptais sur vous pour le trousseau de ma fille comment vais-je faire ?� disait l�une. - Je n�ai rien � me mettre pour les mariages l��t� prochain, rench�rissait l�autre. - Vous pourriez tout de m�me nous prendre de temps � autre... Ignoraient-elles que les cimeti�res sont pleins � craquer de personnes qu�on croyait indispensables ? C�est ainsi, au moment o� Souhila acc�dait au coll�ge, que je devins retoucheuse. Je n�avais plus alors qu�un r�ve un seul r�ve : accomplir mon p�lerinage � La Mecque. Je n�ai jamais �t� plus loin que M�d�a, l� o� est n�e et r�side toute ma famille maternelle. Voyager, voir d�autres cieux, d�autres pays, n�est pas ma marotte. A cinquante-trois ans, je veux me rendre aux Lieux Saints. C�est mon unique ambition. Mes revenus de couturi�re m�ont permis d��conomiser et telle une fourmi, j�ai amass� toute la somme n�cessaire car d�sirant y aller avec mes moyens propres, je me suis priv�e de multiples plaisirs pour parvenir � prendre en charge les frais de transport et de s�jour. Mes seuls d�penses concernent Souhila. Mais elle est tr�s raisonnable et ne contrarie pas mon projet. Depuis six ans, six longues ann�es, j�attends que mon nom soit tir� au sort par la commission nationale du p�lerinage. Depuis six ans, ceux qui sont d�j� partis deux et trois fois ont la chance d��tre choisis et moi pas. A croire que leurs noms sont b�nis, le mien maudit. Un voisin est parti cette ann�e pour la vingti�me fois. Il est mort lors de la bousculade de Mina avec 361 autres p�lerins. Moi je ne demande pas dix fois, vingt fois, pas m�me deux fois. Juste une fois. Une malheureuse fois. Les ordinateurs du minist�re n�ont-ils pas enregistr� mon nom ? Zoubida M... ce n�est tout de m�me pas compliqu�. Comment faut-il leur expliquer ? Dans quelle langue faut-il que je m�exprime ? Ceux qui partent dix, quinze fois, vingt fois ne pourraient- ils pas se dire un jour qu�on les a suffisamment vus et honor�s et qu�ils pourraient offrir ne serait-ce qu�une fois leur tour � des retoucheuses paum�es comme moi ? Je sais bien qu�ils ont les moyens, d��normes moyens financiers. Mais math�matiquement parlant, Hadj + Hadj + Hadj = 1 (un) Hadj. Certaines mauvaises langues pr�tendent que le p�lerinage est devenu pour beaucoup une esp�ce de �trabendo� rentable. J�ignore si cela est vrai ou faux. Je sais seulement que je cr�ve d�envie d�aller l�-bas et ce sera la premi�re et derni�re fois (si j�en reviens vivante). Dans quelques jours ce sera l�A�d El-Kebir. Face � ma machine � coudre, je ne peux r�primer mes larmes. Le patron me dit que je suis une v�ritable �hadja� sans m�me m��tre rendue � La Mecque. Il fait allusion � ma moralit� et ma promptitude � toujours pr�ter main-forte aux plus d�munis. Je sais qu�il est pein� pour moi et tente de me r�conforter mais ses bonnes paroles ne me consolent pas. Qu�on m�explique comment au nom de l��quit�, de la probit� ou toute autre raison, j�attends depuis six ans, tandis que d�autres consid�rent La Mecque comme leur lieu de vacances ? Ils vont, reviennent, retournent. Sont-ils plus pieux que moi ? Sont-ils plus chanceux ? Ce n�est pas un mis�rable esprit envieux qui me fait parler ainsi, mais l�injustice de ne jamais voir mon nom tir� au sort. J�ignore de quelle mani�re la commission proc�de, mais il m�arrive souvent d�imaginer une immense jarre en terre cuite � l�int�rieur de laquelle il y aurait des petits bouts de papier sur lesquels un nom de �candidat au p�lerinage� est inscrit. Un monsieur feint de m�langer. Un autre lit � haute voix le premier nom. Personne ne v�rifie s�il s�agit d�un �r�cidiviste� ou d�un �primaire� Zoubida M. ? Tu d�lires ma pauvre ! Tu n�es pas � l�int�rieur du r�cipient. Cela ne se passe pas comme cela �videmment et je ne sais pas ce que tirage au sort signifie. Lorsque j�ai su que certains hauts fonctionnaires et parlementaires se voyaient offrir des passeports sp�ciaux pour le p�lerinage, j�ai tent� par le bais des clients de la boutique d�obtenir ce document. J�ai rendu visite en premier lieu � une de mes voisines dans l�immeuble attenant � celui o� j�habite. Son cousin est d�put�. Elle a ri aux �clats. Il n�est jamais venu la voir depuis qu�il est � l�Assembl�e alors m�me qu�enfants ils ont v�cu dans la m�me maison. Il ne doit plus s�en souvenir. Je ne me suis pas d�courag�e pour autant. M. Sa�d m�a promis qu�il solliciterait un ami � lui, lui-m�me ami d�un ministre. Je sais que c�est quelque peu compliqu�. Mais qu�importe le lien, compar� � mon passeport. J�ai attendu. Le repr�sentant de la R�publique avait d�j� distribu� son �quota�. C�est ainsi qu�on appelle les cadeaux offerts � ces personnalit�s. C�est vrai que parmi les connaissances de ces messieurs et de ces dames, une retoucheuse de la rue Didouche-Mourad ne doit certainement pas figurer. Certains � en petit nombre certes � ont pourtant profit� de mes talents. Leurs pantalons, leurs jupes, aux ourlets bien finis, les vestes et corsages bien ajust�s ne leur rappellent-ils donc pas Zoubida
? Cette ann�e je dois une �ni�me fois faire mon deuil. L�an prochain peut-�tre ? Je continuerai � r�ver, � esp�rer, chaque jour, chaque nuit de La Mecque et de mon p�lerinage. En rentrant � la maison aujourd�hui, je retrouve ma Souhila riant � gorge d�ploy�e en compagnie de ma ni�ce hilare elle aussi. Curieuse de savoir ce qui les rend si gaies, ma fille me dit :
- Maman si tu veux r�ellement accomplir ton p�lerinage l�an prochain, il faut que tu changes totalement de boulot.
- C�est-�-dire ?
- Tu dois rapidement apprendre � chanter et � te produire en public pour �tre retenue l�an prochain.
- Que me racontes-tu l� et o� as-tu �t� chercher ces sornettes ?
- Ce ne sont pas des balivernes maman. Cette ann�e, vois-tu ils ont innov� en haut. Ils ont d�cid� que le p�lerinage se ferait au son de la musique et � de la chanson � et gratuitement pour les hadjs et hadjates talentueux.
- Mais enfin ne dit-on pas que tu dois te prendre en charge toi-m�me avec tes propres moyens et tes propres deniers ?
- Tu parles de la r�gle fondamentale. Moi je te dis maman ou tu chantes, ou tu n�iras jamais � La Mecque sans d�bourser le moindre sou.
Je me joins � leurs rires, ma fa�on � moi d�exprimer ma col�re. Le lendemain je d�cide de d�poser au compte Cnep de Souhila toutes mes �conomies, car mon patron a raison : je suis une parfaite hadja chez moi. Je ne saurai jamais chanter et danser.
L. S. (1) Article 54 du code de la famille qui permet � la femme d�obtenir le divorce par versement de dommages-int�r�ts � l�ex-�poux (kh�l).


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.