La colline �retrouv�e� comm�more le dix-septi�me anniversaire de la disparition de celui qui, fondamentalement, est donn� aujourd�hui comme un exemple de droiture, de patriotisme et de conviction d�mocratique. Un t�moin d��lite de la culture et de la langue. Dix-sept ans apr�s, la nouvelle g�n�ration n�a toujours pas appris ce que ce grand homme de la litt�rature alg�rienne a donn�. Ils sont rares � avoir repris le flambeau. En attendant une fondation qui portera son nom, les �uvres de Mouloud Mammeri doivent �tre port�es dans les programmes scolaires. Dix-sept ann�es apr�s, le d�fricheur attend toujours � ce qu�on exige � Daa l�mouloud di lakul�. Le bel hommage, "Mammeri � l'�cole" La comm�moration, loin des feux de la rampe, du dix-septi�me anniversaire de la mort de Mammeri aura �t� une opportunit�, une de plus, pour l�association Talwit d�Ath-Yenni, organisatrice de cet �v�nement de r�it�rer une �vieille revendication�. Celle de voir un jour les �uvres de Mouloud Mammeri dans les manuels scolaires. �C�est encore une fois une occasion pour nous, au-del� de lui rendre un bel hommage et de reprendre le flambeau, de mettre la puce � l�oreille � tous les concern�s par cette question�, soutient Sma�l Deghoul, le secr�taire g�n�ral de l�association. La cr�ation d�une fondation qui portera le nom de celui qui incarne le combat identitaire est vivement souhait�e par bon nombre de militants s�identifiant � cet illustre �crivain, des sp�cialistes et hommes de lettres et beaucoup d�autres �crivains linguistes. L�id�e a bien germ� lors de ces manifestations organis�es � Ath Yenni. D�abord, chez les conf�renciers Mme Amhis, Lakhdar Maougal et Youn�s Adli ont tous �mis le v�u de concr�tiser ce projet. Ensuite de Paris sur le plateau de Berb�re TV, l��crivain Ali Sayed a lui aussi r�it�r� �la n�cessit� de cr�er cette fondation dont le si�ge serait � Ath-Yenni�. On n�en saura pas plus sur l�avis de la famille et proches de l��crivain. �La famille h�site � donner le feu vert et � accompagner ce projet�, croit savoir Sofiane Moali, animateur au niveau de l�association. En revanche, pr�cise encore Sofiane, l�organisation d�un colloque international sur Mouloud Mammeri est s�rieusement envisag�e. Il aura lieu probablement au mois de mai prochain. Un comit� scientifique est d�j� mis en place pour les pr�paratifs. Le th�me du colloque se fera autour du dernier roman de l�auteur, La travers�e. �Notre souhait, c�est d�organiser cette importante rencontre au niveau du village�, conclut Sofiane qui regrette au passage �le peu d�engouement pour la comm�moration du dix-septi�me anniversaire de celui qui reste un inconnu pour beaucoup de jeunes notamment les lyc�ens�. Mammeri, "un �tre d�doubl�" Mouloud Mammeri �tait un �tre d�doubl�. Dot� � la fois d�une culture savante et populaire, Mammeri parlait de la soci�t� kabyle � la fa�on d�un monument de litt�rature. Ce don, il l�a puis� chez ses parents, artisans armuriers, aux Ath Yenni, qui forgeaient des vers cisel�s comme des bijoux anciens et aussi subtils, raffin�s et complexes que les plus �sot�riques compositions des po�tes symbolistes. H�ritier d�une lign�e de po�tes, il laisse parler en lui la culture kabyle, en particulier, et berb�re, en g�n�ral. Mouloud Mammeri �renoue avec lui-m�me, mais aussi avec les croyances, les valeurs, les convictions, les aspirations de tous ces gens qui, en Kabylie ou en France, sur leur terre natale ou en terre d�exil, portent dans leur m�moire et dans leurs mots tout un h�ritage oubli� ou refoul�. A propos de cette double culture qu�incarne �celui qui donne la parole et qui rend la parole�, Pierre Bourdieu expliquait que Mammeri �tait �divis� contre lui-m�me, comme tous ceux qui ont r�alis�, en l�espace d�une vie, l�extraordinaire passage d�une culture � une autre, du village de forgerons berb�res aux sommets de l�enseignement � la fran�aise, il aurait pu, comme tant d�autres, g�rer tant bien que mal sa contradiction, dans le double jeu et le mensonge � soi-m�me. En fait, toute sa vie aura �t� une sorte de voyage initiatique qui, tel celui d�Ulysse, reconduit, par de longs d�tours, au monde natal, au terme d�une longue recherche de la r�conciliation avec soi-m�me, c�est-�-dire avec les origines�. Mammeri, "le berb�risant" Dans toutes ses �uvres, la berb�rit� y occupe une bonne place, les h�ros paraissent � cheval sur deux cultures. La berb�rit�, chez Mammeri, n�exclut pas, en tout cas l�alg�rianit�. Ses romans sont alg�riens, leur berb�rit�, comme dit l�auteur, c�est l�habit que prend leur maghr�binit�. Mammeri aura �t� l�un des plus grands pr�curseurs de la renaissance berb�re. En s�attachant � retrouver et � restituer le texte berb�re, Salem Chaker expliquait que Mouloud Mammeri �s�adressait en premier lieu aux siens. Il s�appuyait pour cela d�abord sur une solide tradition familiale, il en a souvent t�moign�. Mais il connaissait aussi � et cela est parfois ignor� �, � travers la Kabylie, les meilleurs informateurs, les d�positaires les plus s�rs du patrimoine litt�raire kabyle. Ils ont �t� sa source permanente. Et puis, le magnifique corpus de po�mes rassembl�s est �galement servi par une belle traduction, �uvre elle-m�me d�un vrai po�te, dans les deux langues qu�il mettait c�te � c�te. De l�, vient la puissance de ces livres � deux publics simultan�s, le kabyle et l�universel. A la fois, ils r�actualisent et fixent pour les Kabyles un patrimoine d�une densit� exceptionnelle, le message profond et permanent des a�eux, et ils portent en m�me temps � la connaissance universelle le t�moignage et le chant d�un peuple�. Mouloud Mammeri se faisait �l�ethnologue de sa propre soci�t�, il met la culture qui l�avait un moment s�par� de sa culture, au service de la red�couverte et de la d�fense de cette culture. Il �tait un fin connaisseur et observateur de sa soci�t�. �Mammeri le porte-drapeau d�une culture qu�il a, plus qu�aucun autre, contribu� � faire reconna�tre sur la sc�ne internationale. Non pas que l�on puisse opposer son �uvre litt�raire � son �uvre berb�risante, bien au contraire, elles sont reli�es par une infinit� de fils et de chemins. Mais cet aspect de son travail de cr�ation, son importance, son impact, son caract�re unique et essentiel peuvent �chapper � l�observateur �tranger�. C�est ainsi que Salem Chaker d�crit Mouloud Mammeri dans l�une de ses contributions. Mammeri, c�est aussi l�artisan de la langue, il a laiss� la premi�re grammaire berb�re �crite en berb�re ( tajerrumt), initi� et dirig�, au d�but des ann�es 1970, le travail de modernisation linguistique, dans le domaine lexicale (l�Amawal, glossaire anonyme) de termes n�ologiques modernes et techniques qui est, pour l�essentiel, son �uvre. Mammeri est alors nomm�, en 1969, directeur du Centre de recherches anthropologiques pr�historiques et ethnographiques (CRAPE) d�Alger. A partir de ce moment, Mammeri voulait, selon Rachid Bellil, ��tablir un continuum� dans l��tude des cultures qui se sont succ�d� en Alg�rie, depuis la pr�histoire jusqu�aux p�riodes plus r�centes. Outre le renforcement global du p�le anthropologique, l�action particuli�re de M. Mammeri transpara�t dans l��mergence progressive au sein du CRAPE des recherches consacr�es � la litt�rature orale berb�re (collectes en Kabylie, au Gourara) ethnomusicologie, ethnohistoire. Tr�s rapidement, Mammeri s�attache � r�organiser le centre dont il a la charge en deux directions principales : d�une part, l�alg�rianisation du corps des chercheurs avec le recrutement progressif de jeunes dipl�m�s et, d�autre part, le r��quilibrage des deux disciplines qui y sont repr�sent�es, la pr�histoire et l�anthropologie. Jusqu�� 1978, Mammeri avait son autonomie qui lui permit de pousser ses �tudes de terrain, sillonnant l�Alg�rie d�est en ouest et du nord au sud, incitant les jeunes chercheurs en anthropologie � aller � la d�couverte du terrain. Dans un environnement hostile, il constitue autour de lui une �quipe de jeunes berb�risants pour un projet de cr�ation de n�ologismes berb�res et r�ussit � faire du CRAPE un espace plus officieux � une activit� berb�rologique, pluridisciplinaire, qui a permis la consolidation d�une nouvelle g�n�ration de sp�cialistes alg�riens. Salem Chaker pr�cise que �Mammeri, p�dagogue de la langue et de la culture berb�res pendant la p�riode h�ro�que de son cours � l�universit� d�Alger, de 1965 � 1972, n�a jamais occup� �la chaire de berb�re� de l�Universit� d�Alger, celle-ci ayant d�finitivement disparu en 1962. En fait, et selon le t�moignage direct de Mammeri, il s�est agi d�une initiative personnelle et verbale de Ahmed Taleb, ministre de l�Education du nouveau gouvernement de Houari Boumedi�ne, qui, � la rentr�e d�octobre 1965, lui a demand� d�assurer un cours de berb�re � la facult� des lettres. Cet enseignement, assur� dans le cadre de la section d�ethnologie, est toujours rest�, jusqu�� la fin, �hors statut� et facultatif. Il ne donnait lieu � aucune sanction universitaire ind�pendante. Vers la fin, sans doute � partir de 1969-70, il a pu �tre int�gr� en tant qu�option facultative au sein du certificat d�ethnologie et de l�examen de prop�deutique litt�raire�. Mammeri et le Printemps berb�re Quelques jours apr�s les �v�nements d�octobre 1988, Mouloud Mammeri d�clarait ceci : �Si les voix d�avril 80 �taient entendues, elles auraient �pargn� les drames d�octobre 88.� Il n�est pas donn� pour nous ici de relater les �v�nements du Printemps berb�re de 1980, annonciateurs d�une longue p�riode pour les luttes d�mocratiques dans le pays. L�interdiction, le 10 mars 1980, de la conf�rence de Mouloud Mammeri � l�universit� de Tizi-ouzou sur �La po�sie kabyle ancienne� aura suffi pour allumer le brasier kabyle, surtout dans un campus universitaire qui avait du mal � cacher, quelques mois avant, sa r�volte, lorsque des �tudiants mettaient en avant la question de la repr�sentation authentique. Le 10 mars 1980 aura �t� la goutte qui a fait d�border le vase. Mammeri et Chaker �taient intercept�s pr�s de Mirabeau et conduits chez le wali leur signifiant l�interdiction de la conf�rence et convi�s � quitter Tizi-Ouzou. Au centre universitaire de Hasnaoua, la tension et la col�re se m�langeaient � l�indignation. Une semaine plus tard, Mammeri est re�u par Brerhi, alors ministre de l�Enseignement sup�rieur. Rachid Chaker t�moigne dans son Journal des �v�nements de Kabylie que le ministre s�est montr� tout plein d�excuses �mielleuses� mais vagues, avant de lui d�conseiller fortement de participer � un cycle de conf�rences organis�es � la cit� universitaire de jeunes filles de Ben Aknoun, sur le th�me de la culture nationale. La machine r�pressive ne fait alors que commencer. Le pouvoir actionne ses m�dias et se lance dans une campagne de d�nigrement. Le quotidien El Moudjahid, dans sa rubrique culturelle, ob�it aux ordres et s�attaque, dans un papier sign� K. B., sans le nommer, � Mammeri, trait� comme �v�ritable collaborateur du colonialisme�. Le magazine R�volution Africaine se met aussi de la partie et s�en prend aux �fauteurs de troubles� de Tizi-Ouzou. Mammeri, d�fenseur des minorit�s Mouloud Mammeri est connu aussi comme l�un des d�fenseurs des minorit�s. Il a grandement contribu� au mouvement de lib�ration des �les Canaries. Il a exerc� son influence sur le mouvement autonomiste canarien qui devint par la suite le Mouvement pour l�autod�termination et l�ind�pendance de l�archipel canarien (MPAIAC). A l�un des responsables de ce mouvement, Antonio Cubillo, Mouloud Mammeri affirmait ceci : �II faut faire d�couvrir � ton peuple le sens de la continuit� historique parce que les Espagnols ont essay� d�effacer sa m�moire historique. Les colonisateurs ont toujours essay� d�effacer la m�moire historique des peuples pour les abrutir et mieux les dominer. Un peuple sans conscience historique n�est pas un peuple ou si tu veux c�est un peuple analphab�te. Le devoir des intellectuels et des hommes politiques engag�s dans la lutte de lib�ration est de leur enseigner leur histoire et r�veiller leur conscience historique pour qu�un jour ils se l�vent et luttent pour leur patrie soumise.� Mammeri, le romancier F�ru de culture kabyle dans son esprit universel Mouloud Mammeri est un romancier connu aussi bien sur la sc�ne nationale qu�internationale. Il est fondamentalement l�un des fondateurs de la litt�rature maghr�bine d�expression fran�aise. Ses classiques font l�objet depuis longtemps des th�mes et sujets de recherches dans plusieurs universit�s, en France, aux Etats-Unis, au Canada� Dans l��uvre de Mammeri, Tahar Djaout retient �cette apparence de profondeur et de densit� plus que d�innovation ou de creusement. Aucun livre du romancier ne donne l�impression d�un livre h�tif ou conjoncturel. On sent partout la conscience, l�application et le m�tier de l��crivain qui n��crit que lorsque la n�cessit� et la perfection sont toutes les deux au rendez-vous�.