L��minent �crivain du XXe si�cle, surnomm� le doyen de la litt�rature arabe contempo-raine, Taha Hussein, a �voqu� dans son livre intitul� Naqd oua Islah le roman du grand �crivain alg�rien Mouloud Mammeri, La Colline Oubli�e. Voici le texte int�gral traduit de l�arabe, en guise d�hommage aux deux hommes de lettres et � l�occasion de la comm�moration du 22e anniversaire de la mort de Mammeri, le soir du 26 f�vrier 1989, des suites d�un accident de la circulation survenu pr�s de A�n-Defla. L�auteur de ce livre est un de nos fr�res d�Alg�rie. Nous ne le connaissons pas, et nous ne r�alisons presque pas son nom. S�il �tait d�origine arabe, il serait possible de r�tablir son caract�re initial. Mais puisqu�il est issu d�une tribu berb�re donc son nom aurait subi l�influence de sa premi�re langue et ne peut �tre prononc� que Mameri. Il est fort probable que ce soit Maameri. L��crivain appartient � une tribu berb�re install�e sur une colline au pied d�une dominante montagne qui la s�pare de la plaine qu�habitent les Arabes. Ces gens croient � l�islam, mais ils le pratiquent avec une na�vet� de pa�ens. Ils sont � la d�votion totale de leurs saints qu�ils consid�rent capables de leur concr�tiser leurs v�ux et souhaits. Et en guise d�hommage, ils leur organisent des f�tes et leur versent des offrandes � des dates bien pr�cises. La tribu dont il est question dans ce roman ne communique que rarement avec le monde ext�rieur. Elle est presque isol�e si ce n�est la n�cessit� qu�imposent certaines affaires administratives qui font sentir aux citoyens l�existence d�un gouvernement. Ce dernier est form� de Fran�ais, �les ma�tre des lieux�, et quelques ca�ds, serviteurs d�sign�s parmi les hommes de la tribu. Ceux-ci assurent la m�diation, avec beaucoup d�orgueil et de fiert�, entre les citoyens et les Fran�ais comme le font les saints entre les hommes et Dieu. On respecte les ca�ds tout en les d�testant, et on sacralise les saints de peur de la mal�diction dont ils sont capables. C�est ainsi que la vie se d�roule sous la crainte d�un Fran�ais qu�ils ignorent d�o� il est venu, comment il est parvenu jusqu�� eux et comment se d�livrer de ses affres. Cependant, ils l�acceptent en se r�signant � leur destin. Tel est l�environnement d�crit et repr�sent� avec une perfection et �l�gance remarquables. Nous pouvons ajouter � cela, sans risque de nous tromper, qu�un tel livre est parmi le meilleur de ce qui a �t� �dit� ces derni�res ann�es en langue fran�aise. L��crivain est un instituteur dans une des �coles de la ville d�Alger. Il est fort probable qu�il n�ait pas la ma�trise de la langue arabe, la preuve : la lettre qu�il nous a envoy�e pour pr�senter son �uvre depuis quelques mois. Il est vraiment regrettable qu�une telle �l�gance soit exerc�e dans une langue autre que celle des Alg�riens, l�arabe. Nous n�avons jamais re�u de ce pays une �uvre litt�raire, �crite en arabe, r�ussie avec une pareille perfection et excellence. Nous pensons que les conditions de la naissance d�une litt�rature d�expression arabe en Alg�rie ne sont pas encore r�unies, car on n�accorde que peu d�importance � la langue arabe. Ceci est la moindre des choses qu�on puisse r�clamer de la France, quoique les Fran�ais continuent toujours � consid�rer que la colonisation de l�Alg�rie est un bienfait que les Alg�riens feignent de reconna�tre. Nous ne pensons pas qu�il arrivera un jour o� ils le reconna�tront. Comment b�nir le fait d�apprendre aux gens une langue qui n�est pas la leur jusqu�� ce qu�ils la ma�trisent mieux que beaucoup de ses locuteurs en les privant de la langue de leurs p�res et de leurs m�res ? Mais avons-nous oubli� qu�aujourd�hui nous �crivons en litt�rature et pas en politique. Revenons donc � ce roman � qui son auteur donne le titre de La colline oubli�e ; nous lui aurions pr�f�r� �la fianc�e de la nuit� pour ce que nous allons voir tout � l�heure. N�anmoins, l��uvre a deux qualit�s principales, chacune d�elles suffit de la rendre int�ressante et excellente. Que dire maintenant qu�elles sont associ�es harmonieusement pour produire une musique qui satisfait le c�ur et le go�t ensemble. Il s�agit bel et bien d�une �tude sociale profonde et pr�cise d�une soci�t� dans l�isolement total. Les gens de cette colline ne connaissent presque rien de ce qui est au-del� des montagnes. Ils ne quittent leur village que par n�cessit� extr�me. Ils ne sentent pas l�autorit� du gouvernement que lorsqu�on vient leur extorquer les maigres rentes que leur apporte la terre. Deux cat�gories de gens vivent en harmonie et dans une communion qui semble imperturbable ; ceux qui poss�dent les terres, les riches, et ceux qui les travaillent avec d�autres activit�s comme le p�turage. Le tout vit en fraternit�, en �galit� et selon la tradition d�entraide, notamment dans les p�riodes dures. Sinon, en mati�re de la r�partition des biens, tous sont contents de leurs parts dans la vie en se confiant au destin. De leur vie, ils ne contestent rien mis � part ce diff�rend, entre vieux et jeunes, qui a surgi apr�s que ces derniers eurent fr�quent� l��cole fran�aise. Celle-ci leur a inculqu� des id�es qui vont souvent � l�encontre des traditions ancestrales � qui les vieux accordent beaucoup d�int�r�t. Ils ont appris de leurs ma�tres d��cole un raisonnement qui nuit aux traditions sacr�es. Et, malgr� tout, les vieux ont fini par accorder aux jeunes le droit de voir les choses autrement � condition qu�ils ne l�exhibent pas ouvertement. Les jeunes, de leur c�t�, ont accept� de respecter les traditions sans qu�ils en soient vraiment convaincus. C�est dans cette situation pr�caire et d�inqui�tude que la guerre surprendra les villageois. Les �chos �taient d�j� parvenues � la colline avant que les convocations n�arrivent. Des jeunes sont mobilis�s pour les combats et cens�s gagner leurs positions dans les plus brefs d�lais. Imaginez l�impact qu�aurait un tel �v�nement sur le moral des p�res et des m�res � qui on retire les plus chers �tres pour les livrer � une guerre sans merci ! Ces guerres que provoquent les roumis (les roumis chez eux sont les Europ�ens) devraient-elles les concerner, eux qu�on ne consulte jamais ? Les r�ponses importent peu, puisque les jeunes doivent aller maintenant rejoindre, au-del� de la mer, les champs de bataille o� les attend la guerre pour les engloutir. Ces m�res et ces p�res ne disent rien de cela. Ils le gardent sur le c�ur en ayant les sentiments les plus p�nibles. Ils souffrent, mais ils ne montrent rien, au contraire, ils s�efforcent � para�tre heureux par complaisance et solidarit� entre eux. Quant aux jeunes, en hommes courageux, ils se pr�parent au voyage. Ils n�aiment pas voir leurs parents souffrir sans rien dire. Ils d�testent qu�on soup�onne chez eux une quelconque peur parce qu�ils sont hommes d�un c�t� et pour all�ger les peines des plus �g�s de l�autre. Quand vient le jour du d�part, et vient cette heure d�avant le lever du soleil, les jeunes sortent attrist�s et absorb�s par les cris des m�res, des s�urs et des �pouses ainsi que les implorations des p�res qui savent �touffer les sentiments d�angoisse et d�inqui�tude. De ces gens-l� la guerre ne retire pas seulement leurs fils, mais elle leur �te aussi l�espoir. Elle ne leur apporte pas que la peur et la tristesse mais aussi les peines de tous bords. Le gouvernement leur confisque tout ce qu�ils poss�dent en mat�riel, b�tes et ce que leur donne la terre comme maigre r�colte. A peine cette guerre d�clar�e, vient la hausse des prix pour rendre la vie des pauvres insupportable. En d�pit de tout, la guerre, dans ses premiers mois, n�exhibe pas tout son mal, puisque bient�t la d�faite des Fran�ais surviendra et aura des cons�quences apparentes en Alg�rie. On d�mobilise les jeunes qui iront reprendre l��ternelle vie p�nible. Quelques mois plus tard, viennent les Am�ricains en Alg�rie et commencent � chasser les Allemands de l�Afrique du Nord. Les Fran�ais s�invitent aux combats et au triomphe ; ce qui impose le rappel des jeunes qui reprendront la vie d�enfer qu�ils ont men�e il y a de cela quelques mois seulement. Telle est l�image sociale que nous pr�sente l��crivain dans son �uvre. Nous l�avons r�sum�e, et nous en avons laiss� le meilleur de ce qui irrite et satisfait, ce qui attriste et rend heureux. Nous �vitons les d�tails et laissons les lecteurs le d�couvrir dans la mesure du possible. Jusque-l�, nous n�avons �voqu� que la qualit� sociale, il y en a bien une autre plus excellente ; c�est celle qui consiste en la vie de cette bande de jeunes entre eux d�un c�t� et entre eux et eux-m�mes de l�autre. Ce sont des jeunes appartenant � des cat�gories sociales distinctes. Mais malgr� cela, ils s�assemblent en oubliant tout ce qui les diff�rencie les uns des autres. Ils s�associent aux jeux et au s�rieux de la jeunesse. Ils se r�galent de l�amour lorsqu�ils y trouvent le plaisir. Ils souffrent de d�sespoir quand leurs r�ves s�av�rent irr�alisables. Celui-ci a aim� sa compagne d�un amour fou. Il n�a jamais dout� en cela, et son objectif �tait de l�avoir comme �pouse. La famille de la fille lui a pr�f�r� un autre, un riche, mais elle, elle garde toujours son premier amour. Elle accepte de se soumettre aux traditions de la tribu en offrant � son mari tout ce que doit offrir une bonne femme � son mari en mati�re de respect et de fid�lit�. Quant aux c�urs, ils ne rel�vent gu�re de la volont� de ceux qui les portent, mais d�pendent de ces sentiments sans bornes. Celui-l�, un autre jeune amoureux d�une fille qu�il devait �ter � un amant dur qui n�est autre que la nuit. La fille aim�e s�est habitu�e, depuis longtemps, et � l�instar de beaucoup d�autres, � s�isoler la nuit et jouer la journ�e avec ses amis de la bande. Ce jeune a pu extraire sa bienaim�e de la nuit et l��pouser. Ils sont maintenant tous les deux heureux si ce n�est cette guerre qui vient les s�parer, et cette m�re qui n�a pas mari� son fils pour le satisfaire mais pour mettre au monde un gar�on qui gardera le nom de la famille et pr�servera son patrimoine de passer dans les mains des �trangers. L�attente de la m�re dure quelque temps avant de c�der au d�sespoir. Elle ne veut plus de cette mari�e heureuse et demande � son fils de la r�pudier pour �pouser une autre qui lui donnerait un enfant. Le fils oppose un refus cat�gorique, mais il finit par accepter d�aller chercher l�enfant chez les saints et les vieilles de la tribu en oubliant ce qu�il a appris � l��cole et � l�universit�. La jeune �pouse ne retrouve plus la qui�tude et le bonheur. Le vieux, au d�part, est ind�cis mais progressivement il rejoint le camp de la vieille. Il profite d�une absence de son fils pour emmener la jeune mari�e chez ses parents. D�s lors, le jeune homme peut partir � la guerre de nouveau sans regret ni h�sitation. En revenant des combats par une permission en compagnie de certains de ses amis, il s�impatiente � revoir son village, les siens ainsi que sa bienaim�e. Elle lui a d�j� �crit une lettre dans laquelle elle lui dit son amour d�sesp�r� et sa mis�re av�r�e. Elle lui y dit, entre autres, qu�� peine arriv�e chez ses parents elle a senti une grossesse, et elle attend maintenant l�accouchement. Les jeunes venus en permission ont emprunt� le chemin vers leur village par une journ�e orageuse et neigeuse. La voiture qui les transportait avan�ait mal, et ils se rendirent compte des risques qu�ils encouraient. Ils d�cid�rent d�attendre le lendemain, le temps de voir la temp�te se calmer, sauf celui qui pressait � voir sa femme r�pudi�e sans raisons valables, il d�cida d�atteindre le village en marchant. Il aper�ut sa femme, la fianc�e de la nuit, lui paraissant de loin et l�appelait tant�t, l�appel du c�ur, et tant�t le bl�mait en lui reprochant d�avoir os� l�aventure. Il lui parut qu�il n��tait pas loin de son village, mais il n�avait pas de force pour continuer sa marche. Il �tait fatigu� de ce combat �puisant. Il s�assit pour prendre du repos, et il ne se l�vera jamais, la mort l�attendait pour le prendre avec sympathie. Le roman nous donne �galement une pr�cise et belle image d�autres jeunes et vieillards par une description progressive qui atteint parfois le paroxysme avant de revenir au calme et � la souplesse. S�ajoute � cela la privation que l�on retrouve tout au long de l��uvre, et qui se manifeste sous deux formes diff�rentes : la privation �ternelle et celle des circonstances. Cette privation touche les �mes aussi. Elle vient attrister une vie heureuse qui aurait demeur� tout bonheur si ce n�est cette guerre qui s�invite encore une fois avec ses malheurs et ses catastrophes pour appauvrir des riches et enrichir des pauvres qui n�auraient v�cu qu�une vie moyenne. La tristesse qu�on sent dans ce livre, en compagnie de la privation, n�est pas une tristesse de d�sespoir et de r�volte, mais une tristesse de r�signation au destin et une attente de ce qui pourrait sortir de cette colline de l�oubli qui l�a submerg�. Ce livre nous a vraiment plu. Nous ne lui aurions reproch� que le fait qu�il ne soit pas �crit en langue arabe. Mais cela n�est pas imputable � l��crivain mais au colonialisme. Combien sont nombreux les d�fauts et les torts du colonialisme ! Extrait du livre Naqd oua Islah de Taha Hussein. Traduit de l�arabe par Mohamed Rezzik, �crivain, journaliste. MAISON DE LA CULTURE DE TIZI-OUZOU Evocation de Mouloud Mammeri La maison de la culture Mouloud-Mammeri de Tizi-Ouzou abrite, du 24 au 28 f�vrier 2011, une s�rie d�activit�s culturelles et artistiques en hommage � Mouloud Mammeri, et ce, � l�occasion du 22e anniversaire de la disparition tragique de l��crivain, dans un accident de la circulation, le 26 f�vrier 1989 pr�s de A�n-Defla. Durant la journ�e d�aujourd�hui, samedi, est pr�vue une c�r�monie de recueillement sur la tombe de d�funt � Ath-Yenni (Beni-Yenni). A la maison de la culture de Tizi-Ouzou sont pr�vues d�autres activit�s, notamment une conf�rence-d�bat sous le th�me de �Mouloud Mammeri � travers l�entretien avec Tahar Djaout� anim�e par Sa�d Chemakh, Malika Ahmed Za�d et Idir-Ahmed Za�d. Le public pourra �galement assister � la projection du film en tamazight La colline oubli�e de Abderrahmane Bouguermouh, r�alis� d�apr�s le roman �ponyme de Mammeri. En cl�ture de cette manifestation, le 28 f�vrier prochain, les organisateurs ont programm� une projection du film L�Opium et le B�tonr�alis� par Ahmed Rachedi, d�apr�s une autre �uvre litt�raire de Mouloud Mammeri. Cette semaine d���vocation de Mouloud Mammeri� est organis�e par la direction de la culture de Tizi-Ouzou, l�Association des enseignants de tamazight et l�Association culturelle pour la sauvegarde du patrimoine et de l�authenticit�.