8 mars 2006 Comme tous les autres jours de l�ann�e, Amina s�est lev�e � cinq heures du matin. Pour quelles raisons d�ailleurs aurait-elle modifi� ses habitudes de l�ve-t�t aujourd�hui ? �Mais parce qu�il s�agit du 8 Mars !� lui auraient fait observer en ch�ur celles qui persistent � croire que cette journ�e est faiseuse de miracles et annonciatrice de bonnes nouvelles pour la gent f�minine. Douch�e, coiff�e, parfum�e, Amina s�installe � sa table de travail. Journ�e de la femme ou pas, elle profitera comme tous les autres jours de l�ann�e, de ces instants bien � elle. �Les meilleurs moments�, dit-elle. Elle �crit... elle �crit, le trait est l�ger, les mots viennent d�eux-m�mes, les id�es foisonnent, l��criture est fluide. Moment d�ivresse et d�extase indescriptibles ! Est-ce cela le bonheur ? Est-ce cela la libert� ? Est-ce cela aussi la souffrance du corps et de l�esprit ? Sans doute tout cela � la fois. Quel titre va-t-elle choisir pour raconter les 8 mars ? Elle r�fl�chit et �crit : �Lettre aux petites filles d�Alg�rie� : �A toi fillette qui seras demain, une belle adolescente, puis une femme, je sais qu�un jour tu me poseras la question l�gitime de savoir ce qu�auront fait tes a�n�es pour que tu n�aies plus jamais honte d��tre �n�e femme�. Bien avant toi, moi aussi, j�ai interrog� mes s�urs a�n�es. Bien avant toi, j�ai demand� � l�Histoire de me r�pondre. Rassure-toi enfant, ne crois surtout pas qu�elles ne se sont pas battues pour ta citoyennet�. Mais vois-tu ces combattantes qui n�avaient aucunement sollicit� l�avis ou requis l�autorisation de leur tuteur en 1954 pour prendre le chemin du maquis, mourir les armes � la main, ou supporter sto�quement les affres de la torture, se virent soudainement affubl�es d�un tuteur. Pas seulement elles : elles, leurs s�urs cadettes, leurs filles et petites-filles. Cela se passa un jour de juin 1984. Malgr� ton tr�s jeune �ge, je vais te dire quelques mots de cette loi �sp�cial femmes�. Je sais que tu comprendras, parce que la majorit� et la minorit� ne se racontent pas, ne s�expliquent pas, elles se vivent au quotidien. Mon enfant, tu pourras voter d�s que tu en auras le droit, tu pourrais �tre jug�e et condamn�e � A Dieu ne plaise ! � � dix-huit ans. Mais au moment o� tu d�cideras de partager ta vie avec l��lu de ton c�ur, il te faudra la pr�sence d�un tuteur quel que soit ton �ge ! Si demain fillette, ta maman mettait au monde celui qui deviendra ton petit fr�re, il te faudra apprendre par c�ur la table de multiplication de 2 (deux) puisqu�il poss�dera le double de tout ce qui te reviendra � sais-tu pourquoi ? parce qu�il aura eu �l�id�e g�niale� de na�tre gar�on ! �D�vergond�es�, �d�bauch�es�, �m�cr�antes� : ainsi furent surnomm�es celles qui refus�rent le �statut de l�indig�nat�. Comprendras-tu alors pour quelles raisons ce 8 mars comme beaucoup d�autres qui l�ont pr�c�d�, me laisse de marbre ? Pourquoi donc toi et moi, sous-citoyennes durant 364 jours devrions-nous exploser de joie le 8 Mars et remercier ceux � les hommes � auxquels il ne co�te rien de nous offrir une rose, ou un sourire ? Qu�en penseraient donc si elles �taient encore de ce monde, les pionni�res auxquelles nous devons cette c�l�bre journ�e de la femme ? Que diraient-elles des 8 mars o� l�on organise des concours culinaires entre femmes (cela va de soi...) tout en nous r�p�tant � souhait que �l��mancipation de l�Alg�rienne doit ob�ir aux sp�cificit�s de sa soci�t� �! Il y a �videmment celles qui inventent le 8 mars ou si tu pr�f�res la f�te. Celle-ci invitera ses amies au restaurant. Celle-l� r�ve un mois auparavant, au bel apr�s-midi qu�elle passera en compagnie de son amoureux. Ce jour-l�, elle sait qu�il sera tendre et attentionn�. Il aura 364 jours pour se rattraper. Les 8 mars que j�ai affectionn�s fillette malgr� le sang, les larmes et la peur, sont ceux de la r�sistance. Notre solidarit� de femmes �tait r�elle, nos slogans, nos marches, nos rassemblements avaient un sens. Ils disaient que jamais plus l�obscurantisme n�aurait la pr�tention d�imposer son diktat et son jilbab. En ce temps-l�, nos 8 mars �taient une f�te. En ce temps-l�, mon enfant, nos victimes s�appelaient : �victimes de la barbarie islamiste� et �victimes de la d�mocratie�. En ce temps-l�, nous racontions le courage des m�res dont les youyous fusaient lorsqu�on enterrait leurs fils assassin�s. Ou encore celles, qui, le c�ur serr�, le corps tremblant accompagnaient leurs enfants � l��cole ou au lyc�e sans �tre s�res de les revoir le soir. En ce temps-l�, vois-tu tout �tait logique, tout �tait clair. Il y avait eux et nous. On ne nous m�langeait pas. On appelait ces femmes �el fahlate� (courageuses, h�ro�nes). Les hommes disaient : �Le pays sera sauv� par les femmes.� Sit�t pass�e la temp�te, ils prirent conscience de leur �garement et se demand�rent quel �tait donc ce fou qui avait dit que l�Alg�rie avait besoin de ses femmes ? �Au foyer !� d�clar�rent- ils �C�est l� qu�est leur place�. �Au foyer et que �a saute !� Sais-tu seulement fillette ce que cela signifie �au foyer�? Lorsqu�un homme dit : �Ma femme est � la maison�, il faut comprendre : �Elle ne fait rien�. Ses chemises impeccablement repass�es, sa maison bien tenue, les tables bien garnies, et tant d�autres choses encore, ne sont pas des responsabilit�s de femmes ce sont �des riens�. Rien de rien. Celle qui exercent une activit� professionnelle sont elles aussi �rien de rien� puisque incapables d�assumer �l�int�rieur�. Entre celui qui osera te demander si tu es dou�e pour la p�tisserie et l�autre qui te questionnera sur l�organisation de ton temps de femme �d�ext�rieur� et �d�int�rieur�, tu auras t�t fait de comprendre que tu es �moins que rien de rien�, c�est aussi cela le 8 mars. C�est surtout cela... Toutes des �rien� de �rien� ! Comment te parler de cette date sans �voquer ces fonctionnaires de mairies qui feignent de confondre certificat pr�nuptial et certificat de virginit� ? en toute impunit� bien entendu ! Comment faire de cette journ�e une f�te alors que nous sommes accus�es d�attirer les calamit�s naturelles et la col�re de Dieu, parce qu�impudiques ? Tu veux savoir qui sont les auteurs de telles stupidit�s ? Des ignorants aux barbes longues et aux id�es courtes. Comment te dire le 8 mars, fillette, alors que des employeurs harc�lent quotidiennement celles qui ont besoin de leur salaire pour vivre ? Comment te faire croire que le 8 mars est une f�te alors que des femmes acceptent d��tre la seconde, la troisi�me, la quatri�me �pouse d�un homme qui ne fait aucune diff�rence entre ses femmes et ses chemises ? Comment te raconter le 8 mars alors que des jeunes m�res de filles d�sesp�rent comme nagu�re leurs m�res et leurs grands-m�res de ne pas avoir le gar�on ? Comment te le dire mon enfant lorsqu�un �imam� recommande aux maris de battre leurs �pouses sans laisser de traces ? Un jour, fillette, tu deviendras citoyenne. De cela je suis convaincue. Mais pour l�instant il te faudra comprendre que le chemin � parcourir est encore bien escarp�. Il te faudra serrer les dents, il te faudra te battre afin que le 8 mars ne soit plus jamais un apr�s-midi, une matin�e, mais 364 jours de libert�s et de droits. Tu seras citoyenne mon enfant et pour cela, il te faut, d�s � pr�sent, apprendre � dire non avant de dire oui. Si l�on dit de toi que tu as un sale caract�re, re�ois cela comme un hommage et un compliment puisque tu ressembleras � la terre qui t�a vue na�tre : fi�re, rebelle et insoumise.� Amina relit son texte. Puis elle ajoute : �Je le d�die � toutes les petites filles qui naissent et demeurent libres en droit�.