Tu imagines bien que je me suis demand�, un moment, un long moment m�me, si ��a� faisait un sujet. ��a� ? L'histoire de la r�v�lation par l'�crivain allemand G�nter Grass, prix Nobel de litt�rature en 1999, qu'il a �t� recrut� � 17 ans dans les rangs de la Panzerdivision SS Frundsberg. 17 ans, un ��ge stupide� ! Aucun int�r�t pour nous, me susurre cette petite voix � vraiment petite, juste un filet, diaphane � qui tient la cr�te. L'autre voix, celle qui fait le guet dans la plaine, me dit, elle, que, certes, ce n'est pas mauvais de s'ouvrir sur le monde, mais ce n'est pas le moment de gaspiller des colonnes pr�cieuses avec le remords d'un �crivain s'all�geant d'un fardeau en torpillant sa cr�dibilit� morale. C'est le moment de quoi, alors ? Celui de t'enfoncer, t�te baiss�e, dans la surench�re populiste a�e a�e de solidarit� hezbollahie avec le Liban ? Ou celui de sortir, � l'occasion, tes meilleurs globules rouges qui ont tourn� un tantinet au vert pour jurer une fid�lit� de sang aux causes sacr�es des masses populaires align�es sur la ligne de d�part du m�me applaudim�tre ? Celui de joindre ta voix de rogomme pour d�noncer dans un concert bas de ra� les couacs de la concorde r�concili�e � coups de ratissages du c�t� de Zemmouri-les-Bains ? Celui encore de d�couvrir, en m�me temps que ces messieurs de l�-haut qui ne font jamais rien pour rien, qu'Abane Ramdane �tait un chic type que des soudards aiguis�s en majordomes d�guis�s eux-m�mes en h�ros de palace ont tra�treusement assassin� non point pour lui-m�me, mais pour l'alternative politique qu'il promouvait � leur encontre (cette manie, de notre gentille presse, de ne violer les tabous que quand l'arbitre le commande : c'est le cas pour le congr�s de la Soummam cette ann�e qui a b�n�fici� d'un tartinage sans �quivalent dans sa jeune histoire cinquantenaire) ? Celui encore � et encore � de t'amuser du choix de B�ja�a pour toutes les universit�s d'�t� de partis pr�historiques de substance et constants de code sans mesurer l'impudeur contenue dans cette absence totale de pudeur (oui La Palice est invit� � l'universit� du FLN en la personne de son premier responsable, qui produit des lapalissades � tour de bras) ? Tu peux encore aligner les sujets � blanc. L'actualit� nationale scabreuse, contrairement au patron des vacanciers, ne s'est pas sign�e elle-m�me son titre de cong�. Elle continue sans coup f�rir � alimenter nos robinets priv�s d'eau potable. Mais alors G�nter Grass ? Ecrivain et allemand, doublement r�dhibitoire pour ton int�r�t de lecteur friand de surr�alismes locaux. Dans un entretien accord� le 12 ao�t dernier au quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung ( FAZ), l'auteur de Le Tambour (1959), roman qui raconte la vie d'une famille prussienne pendant le nazisme et l'�crasement du Reich, avoue avoir appartenu quelques mois � la Waffen SS. La nouvelle fait l'effet d'une bombe. Les raisons pour lesquelles les d�tracteurs de Grass d�cochent ces fl�ches empoisonn�es, tenues en r�serve depuis belle lurette, sont, comme on l'imagine, nombreuses. L'une des plus perfides, sans doute, est celle de le soup�onner d'avoir avou� cette �t�che� comme un coup de pub pour son autobiographie, Beim H�uten der Zwiebel ( En �pluchant les oignons), sortie chez Steidl en Allemagne le 16 ao�t et quasiment �puis�e. L'argument s'annule de lui-m�me : G�nter Grass n'a pas besoin de �a ! L'�crivain est sans doute prisonnier de cette image de grande conscience qu'il a forg�e en soixante ans de vie publique. D�s le lendemain de la d�faite allemande, G�nter Grass a lutt� pour que soient r�v�l�s les crimes nazis. Apr�s la guerre, il rejoint les �crivains contestataires du Groupe 47 (fond� en 1947 et dissous en 1967, dont il �tait, avec Heinrich B�ll, les figures embl�matiques) et se rapproche du SPD dont il sera membre de 1982 � 1993. Il personnifie cette g�n�ration d'�crivains allemands de l'apr�s-guerre qui se sont jet�s dans la bataille d'une citoyennet� humaine et progressiste que les Allemands d'apr�s-guerre admiraient. Ecrivain, et de talent. Et homme de conviction dont les prises de position politiques ont �clair� la conscience de gauche. La jeunesse allemande et europ�enne de Mai 68 tenait G�nter Grass pour �la conscience morale de l'Allemagne�. L'aveu de G�nter Grass (�Il fallait que �a sorte, enfin�, a-t-il confi�, ajoutant qu'un �sentiment de honte� a pes� sur toute sa vie) a suscit� des commentaires virulents et pleins d'arrogance, d'un c�t�, et de soutien de l'autre. Parmi ceux qui comprennent G�nter Grass, l'ancien opposant polonais Adam Michnik critique, dans Gazeta Wyborcza, le plus grand quotidien de Varsovie, qu'il dirige, Lech Walesa qui se joint, dans Bild, �journal (populaire allemand) de caniveau �, connu pour son hostilit� � Grass, � la �meute de rabatteurs� pour demander que l'�crivain de gauche allemand rende la distinction de citoyen d'honneur de la ville polonaise de Gdansk, berceau de Solidarnosc, et ville natale de Grass qui y est n� d'un p�re allemand et d'une m�re kachoube (une minorit� du nord de la Pologne) lorsque cette ville �tait nomm�e de la toponymie allemande de Dantzig. Le journaliste polonais pr�cise qu'il n'a pas �crit pour d�fendre G�nter Grass (�Ce grand �crivain et cet homme formidable n'a pas besoin de mon aide�) mais �pour d�fendre Lech Walesa contre lui-m�me�. A l'autre bout, on salue la �victoire sur soi� de Grass. L'�crivain britannique Salman Rushdie, le cin�aste allemand Volker Schl�ndorff (qui a port� Le tambour � l'�cran), se joignent � l'�crivain autrichien Robert Schindel, (n� de parents juifs communistes d�port�s quatre mois apr�s sa naissance) pour r�sumer leur sentiment en un seul mot : �Respect�. L'�crivain autrichien, un des rares � conna�tre depuis plus de vingt ans l'interm�de nazi du jeune G�nter Grass, confie � Der Spiegel que G�nter Grass n'a jamais cach� cet �pisode de sa vie en priv�. Le toll� vient, selon Robert Schindel, de ce que �en Allemagne, cette terre vertueuse, une autorit� morale ne saurait avoir de d�faut. Un mod�le se doit d'�tre immacul�, un authentique parangon de vertu. Ce qu'il n'est �videmment pas � c'est un �crivain, avec toutes ses contradictions.� Martin Walser, cet �crivain � l'origine il y a quelques ann�es d'une pol�mique sur l'instrumentalisation d'Auschwitz, estime que dans l'actuel �climat triomphant de la pens�e et de la parole normalis�e �, il faut �tre reconnaissant � G�nter Grass �de donner cette nouvelle le�on hautement morale�. Face � l'offensive de ceux qui tiennent en cette erreur de jeunesse l'instrument pour diaboliser la �grande gueule� de gauche et d�l�gitimer sa participation au d�bat public, G�nter Grass expliquait le 14 ao�t lors d'une �mission litt�raire sur une cha�ne de t�l�vision allemande : �Ce que je vis en ce moment donne l'impression que l'on veut remettre a posteriori en question ce qui a fait les derni�res ann�es de ma vie. Et ces derni�res ann�es de ma vie ont �t� notamment marqu�es par cette honte�. Adam Michnick place le d�bat dans la bonne mesure. Il �crit : �Quand un �crivain reconnu pour son honn�tet� et son courage avoue publiquement, sans y �tre forc� par quiconque, une faute commise il y a soixante-deux ans, on ne peut dire que chapeau bas car il s'agit d'un acte absolument unique.� A. M