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A FONDS PERDUS
Fossoyeurs d'id�aux Par Ammar Belhimer [email protected]
Publié dans Le Soir d'Algérie le 05 - 09 - 2006

L'arrogance dans laquelle s'est install� le capitalisme imp�rial am�ricain depuis la chute du Mur de Berlin fait craindre le pire. Elle est tellement outranci�re, et par ailleurs dilatoire, qu'elle ne se prive d'aucune arme pour parvenir � ses fins. Par la voix de ses plus illustres porte-parole, elle broie sans faire dans le d�tail, de �l'Axe du Mal�, du �fascisme islamique�, de �la Vieille Europe�, etc.
Une r�cente lecture semble �difiante quant � cette insolente arrogance. La Revue de l'OTAN, num�ro du Printemps 2006 qui vient d'�tre fra�chement mis en ligne, cette fin de semaine, c�l�bre de fa�on stalinienne la victoire du lib�ralisme sur le socialisme en rendant hommage � �trois grands strat�ges de la Guerre froide r�cemment disparus�. Les enfants de toutes les Communes r�unies (aussi �ph�m�res que celles de Spartacus, des Qarmates, de Budapest, de Vienne, de Paris et de Berlin ou, plus durable encore, l'exp�rience malheureuse du socialisme sovi�tique), ne mourront pas idiots en apprenant que les espoirs les plus r�cents de leurs a�n�s ont pour fossoyeurs trois grandes figures jusque-l� inconnues. �Trois figures centrales de l'�poque de la Guerre froide (�) un �v�nement marquant, m�me s'il n'a peut�tre �t� remarqu� que par les sp�cialistes� prend soin de pr�ciser la Revue. L'hommage qu'elle leur rend t�moigne, � l'endroit des �mes sensibles, du poids de la violence dans la mise en �chec des id�aux de progr�s et de justice, de lib�ration nationale et de souverainet�. C'est la raison pour laquelle nous tenions � vous en r�v�ler la teneur. Le bras arm� du capitalisme monopolistique avait donc pour cerveau trois personnalit�s que le destin a r�unis m�me dans la mort puisqu'elles ont toutes disparu en l'espace de six mois. Il s'agit de George F. Kennan, Paul H. Nitze et Andrew J. Goodpaster. George F. Kennan � qui est mort en mars 2005, � l'�ge de 101 ans � est certainement le plus influent des trois parce qu'il est l'artisan de la politique de �l'endiguement� qui assura aux Etats-Unis la victoire dans la Guerre froide. Il �uvra loin des feux de la rampe, dans une courte carri�re qui prit fin au milieu des ann�es 1950. La Revue rel�ve, par un curieux rapprochement, au demeurant loin d'�tre innocent, que �sa mort a �t� le deuxi�me d�c�s en importance apr�s celui du pape Jean-Paul II quant au nombre de n�crologies qu'il a inspir�es l'ann�e derni�re�. Autrement plus visible et plus longue aura �t� la trajectoire de Paul H. Nitze. Il d�buta sa carri�re au sein et en dehors du gouvernement sous l'administration Truman pour ne l'achever que sous celle de Reagan : secr�taire � la Marine et secr�taire adjoint � la D�fense � l'�poque de la guerre du Vietnam (�poque o� il devint une colombe refoul�e), il n�gocia pratiquement tous les trait�s majeurs de ma�trise des armements avec l'Union sovi�tique. Il est surtout connu pour �tre le r�dacteur de l'essentiel du document d'orientation de la p�riode : la directive NSC-68 (National Security Memorandum No. 68) de 1950 sur les Objectifs et programmes des Etats-Unis pour la s�curit� nationale. La mission qu'il imagina pour mettre en �uvre la strat�gie du gouvernement am�ricain consistait �ni plus, ni moins � sauver la civilisation de la tyrannie sovi�tique� en triplant, voire quadruplant les d�penses de d�fense, en militarisant le plan d'endiguement de Kennan et en l'�tendant audel� de l'Europe. Toutefois, Kennan, l'id�ologue, et Nitze le �faucon �, entretenaient des relations cordiales, m�me s'ils se m�fiaient occasionnellement l'un de l'autre. A ce titre, ils furent des �partenaires d'une tension entre des extr�mes�. La troisi�me figure de la croisade victorieuse du capitalisme sur le socialisme est Goodpaster, soldat de profession, g�n�ral quatre �toiles de l'arm�e de terre et ancien commandant supr�me des forces alli�es de l'OTAN. Il �tait le �Staff Secretary�, l'�quivalent de l'actuel conseiller � la S�curit� nationale, du pr�sident Dwight D. Eisenhower. A ce titre, il �tait un assidu des r�unions du pr�sident, en plus de ses fonctions d'officier de liaison en chef avec l'administration du d�partement d'Etat qui lui valut le qualificatif d' �Alter ego de Ike�. Goodpaster conseilla huit autres pr�sidents, persuadant en fin de parcours Ronald Reagan d'apporter son soutien � Mikha�l Gorbatchev et � ses r�formes. Le trio formait les trois piliers intellectuels d'une m�me architecture. �Une synth�se tripartite sup�rieure � la somme de ses composants �, pr�cise la Revue. Eisenhower adopta la doctrine de �l'endiguement � de Kennan �pur�e de ses outils de pr�dilection et s'en remit � la NSC-68 pour en faire une directive op�rationnelle minimale consistant pour les Etats- Unis et leurs Alli�s � �surclasser l'Union sovi�tique en termes de d�penses et d'effectifs en tout point du monde constituant un terrain d'affrontement�. Mais elle �tait minimale, aux yeux de l'Ex�cutif am�ricain, parce qu'il lui manquait �un plan r�aliste pour mener un combat � long terme contre le communisme �. Pour ce faire, Eisenhower d�cida d'�organiser une comp�tition� entre trois �quipes de conseillers charg�es d'examiner en d�tail � � court, moyen et long terme � les implications des diff�rentes approches politiques possibles. Leur travail d�buta au cours de l'�t� 1953 et porta ses fruits sept mois plus tard. Comme la comp�tition se d�roula en partie dans le solarium de la Maison Blanche, elle porta le nom de �Projet Solarium�. Le principal document politique qui en r�sulta est le NSC-162/2. Les trois �quipes travaillant sur le projet ont imagin� l'ensemble du sc�nario de la Guerre froide anticipant � d�s 1953 � quelle serait son issue. Chaque �quipe se composait d'une dizaine de membres issus de divers composants du d�partement d'Etat, ainsi que de quelques universitaires externes. La �ligne tendre� �tait confi�e � l'�quipe A que dirigeait Kennan. Sa mission : d�finir une strat�gie principalement politique envers l'Union sovi�tique, focalis�e sur l'Europe et sans grands engagements militaires dans d'autres parties du monde. Kennan avait une pr�f�rence marqu�e pour la propagande, l'action occulte et les pressions politiques. Son �quipe plaida l'efficacit� de la gestion d'un front occidental uni, mais �galement les entraves associ�es � la faiblesse militaire et aux fluctuations de la politique europ�enne, en particulier en Allemagne. Une �ligne plus dure� incombait � l'�quipe B, men�e par Nitze et instruite pour s'appuyer davantage sur l'arsenal nucl�aire am�ricain dans une action plus unilat�rale, mais sans intervention militaire directe � l'int�rieur de la sph�re d'influence sovi�tique. L'�quipe B proposa une solution �m�diane�, les Etats-Unis devant alors supporter seuls la charge de la d�fense occidentale. Le mandat de l'�quipe C que dirigeait Goodpaster portait sur une approche �muscl�e� s'appuyant presque mot pour mot sur les recommandations de la NSC-68 : faire diminuer la puissance sovi�tique � et le territoire contr�l� par l'URSS � partout et par tous les moyens disponibles. On accorde � l'esprit de synth�se d'Eisenhower le m�rite d'avoir transform� une doctrine ambivalente d'endiguement en une politique de dissuasion r�alisable. La synth�se consistait � dissuader toute agression sovi�tique, tout en maintenant un front commun avec les alli�s des Etats-Unis et en limitant les co�ts, pour l'Am�rique, d'un combat long et on�reux. �Le monde est moins s�r � pr�sent qu'ils ont disparu �, conclut l'auteur de l'hommage � la surprise du lecteur attentif. Est-ce leur disparition qui convient de regretter ou celle de l'antidote au capitalisme arrogant ? Pour leur malheur, au demeurant bien m�rit�, les Etats-Unis et le Royaume- Uni sont les premiers � payer les frais de ce tournant. La d�mocratie lib�rale y a du mal � r�sister aux imp�ratifs s�curitaires, avec leur lot de tribunaux d'exception, de torture, de prisons secr�tes, de Parlements phagocyt�s par les ex�cutifs, d'�coutes ill�gales, etc. Tout cela au nom d'un �combat strat�gique du monde civilis� contre les successeurs des nazis, des fascistes, des communistes et autres totalitaires du XXe si�cle". A. B.

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