On est au 26e du mois sacr� du ramadhan. A quelques jours de la f�te de l�A�d-El-Fitr, les familles sont plong�es dans les pr�paratifs des g�teaux et savourent les derniers jours de la chorba. Les restaurants de la Rahma ont fait le plein et le ministre de la Solidarit� doit avoir de bon chiffre � pr�senter d�ici la fin du mois de Ramadhan. Mes les statistiques qui seront donn�es ne seront pas tout � fait exactes. La pauvret� a, elle aussi, des degr�s. La me�da de Ramadhan est aussi s�lective. Tous ne peuvent pas b�n�ficier de la chorba de la Rahma. Surtout quand on d�sob�it aux r�gles impos�es. C�est le cas d�une famille, originaire d�Oran, qui a trouv� depuis maintenant une ann�e comme seul refuge le trottoir, sur le chemin menant de Ben Aknoun � Dely-Ibrahim, � proximit� du Centre familial. Cette famille compos�e de sept membres (les parents et cinq enfants), erre depuis cinq ans, d�un quartier � l�autre, chass�e et humili�e. La derni�re en date remonte � dix jours, lorsque le pr�sident de l�APC de Ben Aknoun a somm� le chef de famille de quitter les lieux illico presto. Oh ! Le lieu public qui est le trottoir. Cette famille expos�e � tous les dangers de la nuit, aux caprices de l�hiver, au soleil br�lant de l��t� et au regard humiliant des passants, aurait peut�tre g�n� le passage de ces derniers, pour irriter autant le premier responsable de la commune. Depuis une ann�e, l�image de cette famille vivant � m�me le sol, abrit�e par quelques branches d�arbre et des sachets en plastique, fait partie du d�cor de ce trottoir, qui est d�ailleurs tr�s peu fr�quent�. Nous l�avons approch�e pour d�couvrir le myst�re de cette pr�sence sans assistance. Lorsque notre v�hicule s�est arr�t� � proximit� dudit trottoir, le chef de famille a cru � une visite habituelle d�une �me charitable, sensibilis�e par l��tat pr�caire de cette famille et voulant apporter une aide. Une fois notre identit� d�clin�e, le chef de famille, nous a demand�, sur un ton respectueux et reconnaissant de partir. �Vos coll�gues sont d�j� pass� et n�ont rien pu faire�, nous dit-il. �C�est un Etat juif que nous avons. Il est sans piti� et sans compassion, alors quoi que vous direz, les responsables s�en ficheront �perdument�, ajoute-t-il, tout en insistant sur notre d�part. Mais le regard suppliant de ce p�re de famille est plus fort que ses paroles. Sa d�tresse se lisait sur ses traits fatigu�s dissimil�s sous une longue barbe. Il d�gage une assurance et une force inou�es, qui nous a accroch�s et qui nous a invit�s � s�asseoir sur un matelas pos� sur un carton, pour le prot�ger du sol. Les cinq enfants nous entouraient. A la fois curieux et heureux d�avoir de la compagnie, ils essayaient, qui d�un geste manuel, d�un sourire ang�lique ou d�un regard interrogateur, qui d�un stylo et d�un bout de papier de journal, d�attirer l�attention sur eux. Tandis que la maman, priv�e de parole par son �poux, se contentait de jeter un coup d��il de temps � autre en notre direction. De chacun de ses regards, un message, une sollicitude se d�gageait. Pendant un moment, un silence g�nant s�est install�. Notre pr�sence est encombrante. Nos questions sont rest�es suspendues, sans r�ponse. Nous d�cidons de quitter les lieux tout en nous excusant de cette visite. A ce moment pr�cis, une voix d�sesp�r�e nous retiendra. �Moi, je suis un Alg�rien, mais dans nos administrations, il y a des Juifs�, souffle-t-il. �Du ministre jusqu�au planton des diff�rents minist�res, ce sont tous des menteurs�, encha�ne-t-il avec beaucoup d�amertume. Il nous a fallu plus de deux heures de temps pour arracher quelques confidences sur le drame v�cu par cette famille qui a parcouru plus de 400 km, dans l�espoir de trouver une oreille attentive, du c�t� des institutions de l�Etat. Cinq ann�es sont pass�es, la famille s�est m�me agrandie et le calvaire reste au quotidien. Toutes les portes lui sont ferm�es. En cinq ann�es, la famille a connu les trottoirs du Grand Alger, l�humiliation du minist�re de la Solidarit� � tous les niveaux. �Nous avons �t� mis � Dar Rahma de Birkhadem, mais j�ai fui ce milieu o� r�gnent l�injustice et l�humiliation. J�ai refus� qu�on touche � ma dignit� et ce n�est pas maintenant que je vais accepter le m�pris de l�Etat �, dira-t-il r�volt�, sans pr�ciser le genre de probl�mes affront�s dans lesdites institutions. Le drame de cette famille a effectivement commenc� le jour ou les services de l�APC de Ras- El-A�n, dans la wilaya d�Oran, ont d�cid� de mener la fameuse �op�ration de d�molition des bidonvilles�. Travaillant comme couturier dans un atelier de confection de matelas, le p�re de famille a �t� convoqu� par les services de l�APC qui lui ont propos� de payer une importante somme �rachwa�, en contrepartie ils �pargneront de raser sa modeste demeure. Scandalis� et outr� par ce comportement irrationnel, bureaucratique et corruptible, le chef de famille a exprim� un refus cat�gorique � cette demande. C�est ainsi que sa bicoque s�est transform�e en quelques minutes en ruines, sous les bulldozers et sous le regard satisfait de la �mafia locale �. Refusant de se taire et r�clamant justice, la victime de l�administration oranaise s�est vu rejet�e par la force des �v�nements, dans la rue, alors qu�il venait de perdre son job suite � un accident de travail qui lui laisse un handicap au niveau de l��il droit. �Je ne suis pas venu � Alger pour faire la manche, mais pour r�clamer mes droits�, dit-il, furieux. Pour montrer sa col�re contre l�Etat, le chef de cette famille se fait la promesse que �de son vivant, ses enfants n�accompliront jamais le service national�. �Je ne permettrai pas � mes enfants rejet�s aujourd�hui et priv�s de nourriture et d��cole d�aller servir un jour ce pays. Ce sont mes enfants � moi seul�, clame-t-il encore, avant de sombrer pour quelques minutes dans un silence pesant mais qui dit long sur la souffrance de ce p�re de famille qui essaie de prot�ger ses enfants. Ces derniers manifestent l�un apr�s l�autre, des gestes d�affection et d�attachement � leur papa, ne comprenant pas grand-chose de leur p�nible malheur. De son regard per�ant et curieux, Abdellah se fait un sc�nario dans sa t�te sur cette pr�sence �trang�re dans les deux m�tres d�espace qu�ils occupent sur ce trottoir. A cette heure-ci de la journ�e, il ne devait pas �tre l�. A cet �ge (dix ans), ses pairs sont sur les bancs de l��cole. Un privil�ge dont ils n�ont pas pu b�n�ficier lui et son fr�re Mohamed qui ne conna�tra peut�tre jamais le premier jour de la rentr�e des classes, en compagnie des enfants de son �ge. Il �tait midi pass�, la maman a pens� au repas � servir � ses m�mes. Dans une casserole, elle rince des raisins, prend dans un sachet du pain rest� de la veille et r�unit les enfants. Ils �taient tellement excit�s par notre pr�sence, qu�ils ont d�tourn�s la t�te de ce �repas�. La maman tend un biberon au plus jeune des enfants �g� � peine d�une ann�e et demie. De toute cette situation, un fait attire notre attention. Tout comme les parents, les enfants sont habill�s correctement et sont tr�s propres. La mis�re n�a pas ainsi pris le dessus sur l��ducation de ces enfants et la volont� des parents de s�attacher aux valeurs de la soci�t�. La pauvret� n�a pas �t� un pr�texte pour plonger dans le laisser- aller et dans la salet�. Les quelques effets dispos�s sur cet espace intime sont dans un ordre exemplaire, qui impose le respect � cette famille rest�e debout malgr� la pr�carit� dans laquelle elle est oblig�e de vivre. �Vous savez, ces politiques sont en train de vendre le pays. Ce ne sont pas des Alg�riens. Allez voir le personnel qui travaille dans les collectivit�s locales d�Oran. Ils sont tous des Marocains. Voil� pourquoi nous Alg�riens nous sommes exclus et marginalis�s�, constate-t-il, encha�nant sur une s�rie de commentaires des �v�nements politiques sur la sc�ne nationale et internationale. Elle est l�, pr�sente et imposante, cette pauvret� qui ronge des milliers d�Alg�riens. Peu importe les statistiques, la r�alit� est effrayante et ils sont nombreux dans le cas de cette famille � croire � un changement de syst�me politique. �Vous croyez que je ne peux pas monter au maquis et me venger ? Si. Mais ce n�est pas l�avenir que je souhaite � mes enfants�, signale-t-il. �Mon seul et unique v�u c�est qu�on me laisse sortir des fronti�res. Je ne veux pas de visa, ni de carte, une autorisation me suffira et je ne retournerai pas en arri�re. Je ferai mon deuil de l�Alg�rie et mes enfants retrouveront une dignit� qu�ils ont perdue dans leur pays�, r�clame le chef de cette famille, qui insiste par ailleurs sur le fait qu�aucune force ne pourra l�obliger � se s�parer de ses enfants. En r�sum�, tel est l��tat des pauvres en Alg�rie. Et ceci est loin d��tre une affaire de statistiques et de chiffres.